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Critique

CARLITOS MEDELLIN

publié le

Sans nouvelles du Bon Dieu

Sans nouvelles du Bon Dieu

 

Ancien assistant-réalisateur (notamment sur Les nuits fauves de Cyril Collard, Louise, Take 2 de Siegfried et Seul contre tous de Gaspard Noé), Jean-Stéphane Sauvaire réalise son premier long-métrage, celui-ci, en 2003.

Parti en Colombie en vue d’y réaliser une fiction sur ceux que la presse surnomme « les enfants tueurs à gage de Medellín », le cinéaste et son producteur, Nicolas Daguet, sont vite rattrapés par la triste réalité : après de premiers repérages convaincants en octobre 2000, les deux hommes y retournent trois mois plus tard pour se rendre compte que l’enfant retenu pour le rôle principal s’est fait tuer dans une rixe. Ils se font en outre menacer par les milices locales.

 

Rapidement, l’idée d’un documentaire germe dans leurs esprits. En arpentant les rues de Santo Domingo Savio, quartier particulièrement dangereux situé sur les hauteurs de la ville, ils en rencontrent les habitants, épuisés par la violence quotidienne. Abandonnés par les autorités, ils doivent faire face aux milices armées et à des paramilitaires connus pour avoir la gâchette facile : chaque jour, la ville de Medellín recense quinze tués par balles. Tous ont moins de 25 ans.

 

Jugeant totalement indécente l’idée de tourner une fiction dans un tel environnement, Jean-Stéphane Sauvaire décide de donner la parole aux habitants de Santo Domingo Savio, où l’on ne sait jamais quand on sort de chez soi si l’on reviendra vivant. Chaque jour, le quartier est le décor de violents affrontements - pour qui, pour quo i? Les raisons sont aussi simples qu’absurdes et tiennent en quelques mots : « Le gouvernement est corrompu depuis longtemps. Les narcotrafiquants financent la guérilla. La guérilla essaye de renverser le gouvernement. Les paramilitaires cherchent à mettre fin à la guérilla, et tout le monde s’entre-tue en se foutant bien de la paix. » Voilà ce qu’explique, en voix off, Carlitos, 13 ans, habitant de la rue la plus violente du quartier le plus violent de la ville la plus violente au monde.

 

carlitos

Carlitos est notre guide et narrateur, un gosse qui a grandi trop vite, comme tous les gamins de son quartier. Un petit fumeur de joints tatoué comme un vieux baroudeur dont la dureté du regard contraste étrangement avec la silhouette de préadolescent.

Le jeune garçon trimballe avec lui une statue de la Vierge et recueille, de maison en maison, les confessions de ses compagnons d’infortune. En voix off, la lecture d’une lettre à la Sainte éclaircit les propos de certains témoins, donne des chiffres alarmants et informe les spectateurs du sort de différents intervenants après le départ de la « Virgencita ». Plusieurs d’entre eux sont morts, emportés par une guerre dont tout le monde semble se moquer. Ils n’étaient pourtant ni militants, ni criminels: rien que les habitants d’un quartier rongé par un conflit dont nul ne comprend réellement les tenants et aboutissants. Des gens simples qui, avec des mots clairs, expriment leur incompréhension et leur soif de vie, de paix, et non de vengeance. Leur désir de cohabiter sereinement avec ceux qui leur tirent dessus jour après jour.

Si plusieurs témoins pleurent leurs proches disparus, ils versent leurs larmes avec une dignité que l’on a rarement vue à l’écran: ils les laissent couler sans y toucher, car tant que personne n’y touche, elles n’existent pas vraiment. Leur douleur est pourtant bien réelle, palpable, vivace. Mais aucun des intervenants ne prononce un seul mot de rancœur ou de haine vis-à-vis des groupes armés. Au contraire, tous semblent s’accorder sur une seule et même chose : la paix. Pour tous !

 

La grande réussite de ce documentaire est sa sobriété et le respect évident que le réalisateur voue à ses témoins. Sans jamais tomber dans le sensationnalisme, Jean-Stéphane Sauvaire parvient à faire passer un message fort au sujet d’une terrible réalité. Se servant de la Sainte Vierge comme d’un intermédiaire (les gens semblent se confier plus facilement à elle qu’à la caméra), le cinéaste est arrivé à obtenir les témoignages extrêmement touchants de mères, de femmes, d’amis de défunts, évitant d’appuyer à outrance sur les glandes lacrymales du spectateur. Nul besoin de pathos quand les propos sont si forts. Nul besoin de violons dégoulinants ni d’images chocs. Le seul choc que Sauvaire se permet est une visite à la morgue, en début de film : là gisent trois corps criblés de balles. Des images douloureuses, à la limite du soutenable et pourtant nécessaires, car elles enfoncent le clou des témoignages qui vont suivre : ce film parle d’une guerre que tout le monde semble ignorer. Une guerre de clans, une guerre de pouvoir qui emporte chaque jour de nombreux innocents.

 

Comme le dit Carlitos en guise d’épilogue, « tuer c’est facile : tu prends une arme, tu appuies sur la détente et voilà. Ce qui est dur, ce n’est pas de mourir. Ceux qui souffrent sont ceux qui restent et enterrent leurs proches sans savoir que faire. (…) Je crois que je n’ai plus peur de la mort. Finalement, on est nés pour mourir. Vis ta vie aujourd’hui, tu peux mourir demain, comme on dit ici. »

 

Catherine Thieron

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