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Critique

DRACULA, PAGES TIRÉES DU JOURNAL D'UNE VIERGE

publié le

Guy MADDIN, un cinéaste hors normes


Le roman de Bram Stoker, Dracula , dansé par le Canada's Royal Winnipeg Ballet, et transposé au cinéma. Danse, extase, narration elliptique. Musique symphonique lyrique. Noir et blanc d'un
film muet sonore, touché par la couleur. Trois prétendants et un quatrième malvenu : le comte Dracula. La pure jeune fille, désirée par tous, succombe à l'érotique morsure du comte qui la laisse exsangue. Une transfusion est demandée d'urgence, le sang sera offert par l'officiel fiancé : « rien ne vaut le sang d'un brave pour une femme dans le malheur... ». La mort est un recommencement... La folie gagne la maisonnée poursuivie par des daguerréotypes d'apparitions et Dracula en fantôme de la nuit. Maîtrise étonnante de la caméra, de l'image, des attitudes, des visages, des corps qui se nouent et se dénouent; stylisation baroque de la mise en scène. Conte vénéneux dit avec élégance et distinction. Le cimetière où errent les cœurs en peine est comme un parc à lutins diaboliques ! L'animation se fait image, par image. Plans américains, gros plans, tournés d'un fauteuil roulant, pour saisir in vivo les attitudes, les visages des danseurs. Fragmentation du déroulé de l'image au grain velouté et comme tracée au fusain. Sur le noir et blanc, perce l'écarlate des yeux, des lèvres, du sang, l'éclat de l'or volé. Une porte en forme de vulve, par laquelle les personnages entrent et sortent, marque l'espace du mélodrame. L'usage de fumigènes, de voiles qui s'interposent entre l'objectif et l'action, expliquent la texture vaporeuse de l'image. Les fins de mouvements sont flouées, un halo lumineux entoure l'image, des volutes vertes infinies s'échappent dans l'espace, l'ambiance est au rêve. La démultiplication des points de vue dynamise les décors inspirés d'icônes, comme ce couvent bucolique, entre sacré et profane, où se cache l'héroïne. La réalité doit rester ambiguë. Le vampire empalé trône en pleine lumière. Mort ? La symphonie n°1 Titan et n°2 de Mahler accompagnent le ballet.
Film de genre où le spectateur identifie tout de suite le mythe, hallucinant, plein d'objets étranges (l'appareil respiratoire de la mère, la scène de la transfusion de sang), ovni-collages développant ses thèmes dérangeants : Dracula, être diabolisé, séduit les femmes par l'attrait de l'interdit sexuel, les libère des conventions sociales puritaines qui les asservissent aux désirs des hommes, et devient l'expression des fantasmes féminins et masculins. Il est, pour les humains, l'image de l'étranger, de l'immigré, du juif dont on se méfie, du porteur de maladie honteuse, du bouc émissaire. Le noir et blanc : « ... les hommes racontent beaucoup de mensonges à propos des femmes et des hommes, c'est une forme de propagande, c'est du noir et blanc, c'est le contraste entre le bien et le mal. La vérité ne s'y loge pas, ce sont juste deux extrémités ». Ces comportements, Guy Maddin les dessine dans la valse hésitation des hommes autour de la femme qui les rejette, mais se donne au vampire, de l'acharnement bestial de ceux-ci dans son anéantissement. Le réalisateur dit avoir tourné ce film comme s'il s'agissait d'un épisode de Friends ou d'une quelconque série policière. Le choix de danseurs comme comédiens, vient du fait qu'ils sont de très bons mimes, ont une manière particulière de marcher, de bouger avec grâce et poésie, et sont de grands acteurs de cinéma muet : « filmer un ballet m'a donc aussi appris à véritablement raconter une histoire ».

Le cinéaste veut faire une oeuvre primitive, comme aux débuts du cinéma, comme dessine un enfant. Il pense à l'art tribal, à l'artisan qui usine sa pièce dans la sensibilité de ses mains. Furieusement artificiel, tourné en super-8, travaillé pour retrouver l'esthétique des films muets des années vingt, avec pellicule fissurée qui saute, son « craquelant », le cinéma de Guy Maddin apparaît composé de faux vieux films étrangement poétiques, oniriques, et convoque les stéréotypes hollywoodiens : monstre, prince charmant, femme fatale... dans un désordre réjouissant. Derrière le chaos des images, pointe l'autobiographie si longtemps dissimulée et cependant tant promise. Marqué par la disparition de son père, il exprime un très fort désir de retour à l'enfance, pratique un collage de contes pour enfants et de sujets adultes, veut faire ressentir aux gens le picotement du crépuscule de la vie.
Par les thèmes abordés, la mise en scène, les partis pris, l'esthétique, les obsessions, on peut déterminer les influences de créateurs considérables tels Jean Cocteau, David Lynch, Jean Genet, Fritz Lang, Friedrich Murnau, Abel Gance, David Cronenberg, Serguei Eisenstein, Tim Burton, Georges Méliès, Griffiths, Vidor... ou encore Félicien Rops et Odilon Redon. En défricheur de codes et de tabous, Guy Maddin, réalisateur hors normes, est bien « le plus queer des réalisateurs straight » !

 

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