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Critique

I'M NEW HERE

publié le

Magistral retour de soul : voix de raison

 

 

Magistral retour de soul : voix de raison

 

« Je suis nouveau ici » : fausse déclaration ? Publicité mensongère, trompe-le-monde ? Celui auquel, très spontanément, on associe la première personne du singulier de cette simple assertion affirmative de quatre mots – première erreur, peut-être : « je » peut aussi traduire un « jeu », un autre – est né « on April’s Fools Day », le 1er avril 1949 à Chicago. Une vingtaine d’années plus tard, il y a donc quarante ans déjà, peu de temps après les assassinats de Malcolm X en février 1965, et de Martin Luther King en avril 1968, le jeune étudiant de la Lincoln University publie un recueil de poésie et un roman et, en 1970, jeune griot urbain opérant désormais depuis Harlem – NYC, il enregistre A New Black Poet Small Talk at 125th and Lenox, son premier LP de spoken words. Avec déjà, d’entrée de jeu, sans attendre, en premier morceau de la première face, la version initiale – chétive, encore quasi nue – du titre qui, pour le grand public et les non-spécialistes comme moi, reste le plus immédiatement associé au nom de Gil Scott-Heron : « The Revolution Will Not Be Televised ». Poème marquant au drôle de destin, dont le titre – devenu slogan – a fini, en partie, par  occulter la richesse du texte entier ou, par ailleurs, par  se retrouver recyclé par KRS 1 en musique publicitaire pour Nike… alors que ses paroles originales incorporaient, dans une démarche claire de détournement critique, une bonne demi-douzaine de slogans commerciaux de l’époque (« Tiger in your tank », « Giant in your toilet bowl », « Fight the germs that may cause bad breath », « Put you in the driver’s seat »… ). Suivront, au point de rencontre de la poésie, du blues, du jazz et de la soul, une douzaine d’albums – sous son seul nom ou aux côtés de son fidèle camarade Brian Jackson – jusque Moving Target en 1982, puis un premier hiatus discographique, interrompu par l’album Spirits en 1994…

gshEn 2010, Gil Scott-Heron est donc loin d’être un jeunot ou un nouveau venu. Par contre, le présenter comme un revenant ne doit pas trop travestir la réalité. I’m New Here est l’album de la renaissance publique d’un artiste qui, même s’il a continué à écrire et à faire de la musique « de proximité » (pour lui, pour ses fidèles, chez les autres) n’avait plus sorti d’album sous son nom depuis seize ans. Une longue période qu’il a aussi dû passer à gérer des soucis, personnels et judiciaires, liés à ses addictions. En 2006, c’est en effet au parloir du centre de détention de Rikers Island – la plus grande prison de la ville de New-York avec ses… quatorze mille détenus ! – que Richard Russel, producteur du label XL, a dû aller à la rencontre de l’homme pour lui proposer d’enregistrer un nouveau disque, lorsqu’il serait libéré, une bonne année plus tard. Libération, nouveau départ dans la vie d’un sexagénaire qui se régénère à partir du souvenir de son enfance (les deux volets de « On Coming from a Broken Home » vibrant hommage, sur sample de Kanye West, à sa grand-mère qui, vers ses dix ans, l’éleva à Jackson – Tennessee, après la séparation de ses parents), mais aussi renouveau créatif, essentiellement dans le son et les arrangements (qui prennent résolument le parti du dépouillement et du « less is more » plutôt que du chatoiement coloré de certains de ses disques des années septante). Boucles électroniques crépusculaires et échos pesants faisant régulièrement le pont avec les paysages sonores sombres de la génération dubstep, notes de piano en lévitation somnambule et, tout au long de ce disque aussi court que dense (vingt-huit minutes ; rien à jeter), une voix totalement bouleversante. Marquée, vieillie, granuleuse, malaxant parfois des bribes de texte qu’il y a trente ans elle aurait méticuleusement découpées, elle est surtout pleinement assumée et placée, sans fard ni retouches, à l’avant-plan du mix de Richard Russel. Comme, par exemple, dans l’étonnante incarnation du morceau acoustique et ascétique de Smog (reprise proposée par le mentor du label XL) qui, avec beaucoup d’à-propos, donne donc son titre à l’album. « No matter how far you’ve gone / You can always turnaround » (« Peu importe jusqu’où tu as pu aller / Tu peux toujours te retourner [faire demi-tour] »). Leçon de vie.

Philippe Delvosalle

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