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Critique

LIEDER [TRS. LISZT] / MÉLODIE HONGROISE D.817 / WANDERER FAN

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Sur sa route infinie, le Wanderer, vagabond errant, traverse l’imaginaire romantique. L’autre, l’ailleurs… Que cherche-t-il ? Rien sans doute de réel et peu importe. Sa rêverie devient déambulation, sillonne la nature, quête indéfinie et déportation […]

Sur sa route infinie, le Wanderer, vagabond errant, traverse l’imaginaire romantique. L’autre, l’ailleurs… Que cherche-t-il ? Rien sans doute de réel et peu importe. Sa rêverie devient déambulation, sillonne la nature, quête indéfinie et déportation d’inexistence. La pianiste Brigitte Engerer nous emmène sur les traces de ce promeneur solitaire, entre contemplation et progression subjective.

 

4Au moyen-âge, c’est un chevalier errant en quête du Graal. Plus tard, le sens s’efface, il prend l’allure d’un sombre voyageur romantique. Au XXe siècle, beatnik moderne, son nihilisme l’emporte vers la jouissance, d’instant en instant, le déplacement comme unique contrainte. Le Wanderer n’a de cesse d’incarner un désir d’exil, de non-appartenance. Ulysse, Don Quichotte, Oberman et ce voyageur peint par Caspar David Friedrich (reproduction ci-contre), aujourd’hui les héros de road movie - c’est l’archétype fondamental du nomadisme originel. Cette errance, si l’aspiration religieuse se définit par un élan spirituel vertical, en propose une dimension horizontale. Passionnante métaphysique de la terre, qui trouve en musique un champ d’expression presque mimétique, les sons composant à leur tour un simulacre de mouvance perpétuelle. Schubert aborde ce thème d’abord sous sa forme de prédilection, le lied, puis le développe en fantaisie. Mais le passage d’un genre à l’autre correspond aussi à un changement de ton. Mélancolique, doux, et très calme, le lied s’exprime sans colère, mais sans espoir: Le bonheur est toujours là où je ne suis pas. Le disque nous en donne la transposition de Liszt, qui accentue la ligne mélodique et résorbe la voix dans l’intensité du piano. Avec la fantaisie, tout se réveille, tout s’anime: la mélancolie subsiste par traces, tandis que l’errance s’allège en promenade. Moins introspectif, le regard prend conscience des mille et une merveilles de la route et la musique sautillante le reflète joyeusement. On le sait, la temporalité de Schubert se déploie dans la durée; une certaine lenteur semble nécessaire au développement de sa pensée, une retenue, presque une hésitation. Aussi la fantaisie, avec toute sa vivacité, témoigne-t-elle toujours cette réticence, qui reflète en retour celle du voyageur.

Construit autour de la figure du Wanderer, l’Hymne à la nuit désigne, selon la pianiste, l’attente de l’aurore, de la lumière. L’espoir supplante l’accomplissement, toujours différé, redouté. Le voyageur fuit l’assouvissement, pressentant que - Schopenhauer est son contemporain - tout désir satisfait équivaut à une déception. Ce thème partage le disque en trois parties. L’ouverture, composée de trois morceaux, un impromptu, une valse et une mélodie hongroise, met en place un climat méditatif. La pièce centrale est constituée par quelques-uns des lieder transposés par Liszt. Des sons cristallins modifient subtilement les couleurs originales; la transposition est un exercice intéressant, quand elle engage des artistes aussi différents, aussi complémentaires. La tension dramatique du chant se traduit par la virtuosité, sans que l’esprit initial de l’œuvre ne soit jamais trahi. Au contraire, Liszt, qui, du vivant de Schubert, exécutait en concert l’accompagnement des lieder, ressentait une profonde admiration pour son aîné, contribuant largement à la diffusion de son œuvre. Enfin, le dernier lied, Der Wanderer, qui est aussi l’un des plus beaux, introduit naturellement la conclusion, la Wanderer-Fantaisie, notes solaires qui brisent en douceur l’unité du disque.

L’interprétation de Brigitte Engerer, même irréprochable, n’a pas la prétention de rivaliser avec ses illustres prédécesseurs (Radu Lupu, Brendel, etc.). Lauréate du Concours Reine Élisabeth en 1978, épouse de l’écrivain Yann Queffélec (dont la sœur, Anne, est également une pianiste reconnue), c’est une musicienne chaleureuse et attentive, passionnée par son sujet. La réussite de l’Hymne à la nuit tient au choix des œuvres, à la distribution interne des morceaux. Il ne s’agit pas simplement de rejouer Schubert, mais bien plus de le présenter au détour d’une histoire, le temps d’un disque, d’emboîter le pas au Wanderer, dont la route, infinie, s’étire encore jusqu’à aujourd’hui.

Catherine De Poortere

 

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