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Critique

EMBRYONIC

publié le

The Flaming Lips : « Embryonic » (Warner Music, 2009)

 

Que peut-on espérer d’un groupe culte d’au moins 26 ans d’âge et une douzaine de plaques sous le bras; qu’il radote; qu’il délire? Dans le cas des Américains de The Flaming Lips, c’est justement à l’aune de leur maîtrise dans la démesure que s’évalue l’état de leur bonne santé musicale !

Les Flaming Lips ont ceci de commun avec les collectifs rock déterminants pour leur époque ou celle qui commence à partir d’eux, qu’il court autant d’histoires farfelues sur leur compte que de faits dûment recensés. De groupe, ils n’en ont peut être que l’apparence tant ces « lèvres enflammées (ou flamboyantes) » ressemblent à celles, métaphoriquement gonflées jusqu’à l’hypertrophie cosmique, de son leader et chanteur, Wayne Coyne, seul membre permanent, aux côtés d’un très effacé bassiste (Michael Ivins) depuis leurs débuts en 1983 à Norman, Oklahoma (USA). Leur pop n’est pas en porte-à-faux avec le bouillonnement post-punk qui secoue le rock de ce début de décennie, mais arbore fièrement les couleurs foutraques d’un néopsychédélisme assumé, que les facéties scéniques de son Monsieur Loyal de vocaliste, qui ne rechigne ni sur les déguisements grand-guignolesques, ni sur les artifices spectaculaires les plus variés (décors, maquillage, confettis, jeux de lumières, feux d’artifice…), placent dans une case alors encore à définir. L’instabilité de son personnel couplée à une démarche musicale volontariste mais encore brouillonne rapproche les Flaming Lips de la première mouture de Mercury Rev (avec David Baker au chant) avec lesquels ils partageront un temps un membre en commun (Jonathan Donahue jusqu’en 1991) et l’emblématique producteur David Fridman (Mogwai, MGMT, Weezer…). Les albums qui se succèdent avec régularité les voient emprunter une veine médiane entre l’expérimentation « sous influences » à la manière des ténors du rock 70’s (Pink Floyd en tête), et l’envie d’écrire des pop songs fofolles mais qui passent à la radio. Mais entre des clips où un imaginaire loufoque et débridé le dispute à l’étrange bien flippé (voir le menu du DVD « V.O.I.D. »), des titres de chansons et paroles qui alternent le glauque (suicide) et l’abracadabrantesque (l’intitulé des morceaux de n’importe quel album suffit), un rapport aux drogues intrinsèquement ambigu (problèmes d’addiction pour certains, mais utilisation à peine voilée du jargon usuel et du bestiaire d'images en lien étroit aux paradis/enfers chimiques) et des idées à l'improbable réalisation (en 1997, sort Zaireeka, un coffret de 4CD à écouter simultanément !), The Flaming Lips passent pour de doux dingues marchant de bon cœur sur la ligne blanche séparant le talent de la fumisterie.

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Mais une major (la Warner) est tentée de miser sur ce cheval un peu fou qui commence à drainer une cohorte de fidèles à sa suite et à multiplier les succès d'estime. The Soft Bulletin (99) avec ses mélodies au lyrisme cramé et son ordonnancement complexe planqué sous des extérieurs avenants, est la meilleure réponse au miraculeux Deserter's Songs des Mercury Rev publié l'année précédente. La batterie, très en avant dans le mix et caractéristique notable de leur son date de cette époque. Le disque suivant, Yoshimi Battles the Pink Robots (en 2003, auquel participe Yoshimi P-We, active dans Boredoms, Free Kittens et OOIOO) leur fait gravir quelques échelons sur l’échelle de la reconnaissance sans nullement tempérer leur soif de projets inhabituels, concrétisés ou non : des titres destinés à la B.O. du dessin animé Bob l’éponge ou de quelques jeux vidéo, une comédie musicale inachevée, mais un film - Christmas on Mars - mené à terme en 2008 ! Entre-temps ils auront été au centre d’un documentaire - The Fearless Freaks - qui paraît en 2005.

Pourtant, en 2006, à la sortie du déceptif At War With The Mystic et des activités annexes qui tiennent davantage de l’hommage que de la diversification synonyme de ressourcement (ils rejouent Tommy des Who sur scène et reprennent The Dark Side of The Moon du Pink Floyd dans son intégralité avec Henry Rollins et Peaches, disponible sur la toile), certains se demandent si les Américains n’ont pas basculé dans l’ère de l’après floraison créative, tablant sur les reliefs encore bien chahutés d’un rock « (tim)burtonien », certes adulte, mais arrivé à maturité et donc très enclin à la redite.

Embryonic est long, très long, d’une durée presque irraisonnable dans un contexte actuel qui paraît-il ne veut plus entendre parler d’albums et s’en tenir au format chanson : plus de 70 minutes et 18 plages d’une musique qui, dans sa forme générale, ressemble à un nœud autoroutier tel qu’il n’en existe (?) que dans la banlieue de Los Angeles, avec ses embranchements et extensions à l’infini, et parfois ses voies sans issue, et dont personne ne semble décemment capable de connaître le dédale sur le bout des doigts sans y laisser une part de sa raison. À l’entame du disque « Convinced of the Hex » suce encore plus la roue du temps à contresens et cale une boucle de rétroaction vocale robotique (le chant de Coyne est méconnaissable) dans un tunnel rythmique caractéristique du Can de la première moitié des années 70. « The Sparrow Looks Up at the Machine » est une mélodie bulle de savon avec complaintes de guitare à la Captain Beefheart, mais avec une batterie qui frappe dur et des grésillements électroniques qui lèvent toute ambiguïté sur la date de fabrication du titre. Autre marquage d’époque, des basses qui bourdonnent comme des essaims électromagnétiques sur plus d’un morceau. À deux reprises (la perle croassante « I Can Be a Frog » et le conclusif « Watching the Planet »), nos hommes font glisser la vindicte féminisée de Karen O des Yeah Yeah Yeahs du côté des troubles de l’expression qui dérident les zygomatiques, et sur l’hommage caché (?) au Dune de David Lynch (« Worm Mountain »), invitent MGMT à un tournoi de jeu vidéo sur le thème des épopées spatiales.

Mais sans hymne frondeur à la « Do You Realize » pour le tirer et masquer ses faiblesses, Embryonic se perd parfois dans les méandres de ses propres aspirations pas toujours menées à terme, et se déploie dans des directions qui ne mènent nulle part. « The Impulse » offre un excellent prétexte de se défier à vie du vocoder, « If » irrite à trop enfoncer les touches de son instrument comme pour célébrer des vêpres, et « Sagittarius Silver Announcement » est un interlude qui fait plutôt perdre patiente. Mal positionné entre deux morceaux faux frères qui lui font trop d’ombre, le magnifique « Powerless » et ses glitchs effervescents perd de sa force vitale et, victime de son décorum de cris d’animaux de la jungle, « Virgo Self-Esteem Broadcast » défile sans qu’on y prête la moindre attention.

Pas plus avancé au sortir de ce très inégal album pour trancher si le plumage bariolé des Flaming Lips est enfin à hauteur de son ramage, on formulera une autre hypothèse : et si l’instabilité et la perte de régime étaient une caractéristique propre de la machinerie des Américains et aussi sa principale condition de perpétuation ?

Élémentaire !

 

Yannick Hustache

 

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