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Critique

BE WITH ME

publié le

SÉLECTION DU MOIS DE JANVIER 2007 DVD DU MOIS

Le dispositif est ambigu: filmer un personnage réel dans un contexte imaginaire. De façon assez prévisible les deux dimensions  se mêlent aussitôt et finissent par se confondre dans ce qui ressemble davantage à une fiction qu’à un documentaire... Ou est-ce l’inverse? Il importe de choisir son camp. Vie de rêve, vie sordide – c’est dans la tête que ça se décide. Pour démonstration: Theresa Chan, le personnage «réel» du film – aveugle et sourde depuis la petite enfance. Lorsque Eric Khoo, cinéaste singapourien, la rencontre,  elle vient d’achever son autobiographie. Une vie bien remplie, peu banale  – long apprentissage aux normes de l’infirmité, voyages, joies, deuils… Compte tenu du contexte éprouvant, entre les faits, l’attitude de Theresa Chan dénote par sa simplicité, son optimisme, et sa foi presque mystique en l’amour. Eric Khoo opte pour un portrait hybride. Ce faisant, il prend acte des singularités de son sujet, réduit et augmente les paramètres en fonction des perceptions plus ou moins réduites de Theresa. C’est un film silencieux, tactile, et nécessairement subjectif. Les dialogues absents sont remplacés par du texte à profusion, sous la forme très contemporaine de textos, mails, chats, etc.  Se dresse en toile de fond le tableau attendu de la métropole moderne, Singapour, son architecture épurée, tout en hauteur, paradigme un peu facile de la déshumanisation et du délitement social. Bien sûr, Theresa reste étanche à ce processus. Son isolement sensoriel, malgré la claustration, n’est pas sans avantages: il la préserve aussi du mal. Cette sagesse rappelle étrangement la légende japonaise des trois singes (voir le film éponyme de Nuri Bilge Ceylan): aveugle, elle ne voit pas le mal, sourde, elle ne l’entend pas non plus. Contrepoints autant qu’illustrations, les microfictions s’insèrent dans un naturalisme cohérent. Quelques individus, rien d’extraordinaire, des histoires banales de solitude urbaine: une adolescente incapable de surmonter une rupture, un homme qui noie son romantisme fleur bleue dans la boulimie, un vieillard qui continue, jour après jour, à préparer de succulents repas pour son épouse défunte. Au centre de ces tristes vies, Theresa garde le dos bien droit. Elle promène ses mains sur les visages, s’enquiert de la vie des autres, sourit, écrit et… adore manger. Ce n’est pas un détail, cette délectation pour la nourriture, le film en est divinement rempli. Du choix attentif des produits frais à la préparation experte de ragoûts, currys, sans oublier la dégustation enthousiaste et joyeuse de ces plats magnifiques, «Be with me» pourrait aussi bien prétendre au titre de documentaire gastronomique. Un conseil: ne pas regarder ce film l’estomac vide sous peine d’être pris d’une irrépressible envie de petites choses aigre-douces... Plus qu’une distraction (en soi très agréable), ces voluptueuses séquences témoignent d’un équilibre salutaire dans la représentation. Le naturalisme un peu sordide qui émane des microfictions est ainsi atténué. Au total s’esquisse une sagesse sans prétention, si légère, si discrète, qu’elle se confond à la présence lumineuse de Theresa Chan, incarnation sereine d’une vie mélangée, dure, laide, injuste, mais aussi pleine de plaisirs immédiats, simples, plus intenses s’ils sont – c’est là l’essentiel – partagés...

Catherine De Poortere

Psycho-drame, documentaire + fiction

Mots-clef: abandon – adolescence – Asie – destins croisés – handicap – lesbien – ville – nourriture – trouble du comportement alimentaire – suicide – technologies modernes de communication

 

 




Au son d’un piano, le film s’ouvre sur une épicerie qui ferme pour la nuit.
Une machine à écrire, une main à la gestuelle évocatrice; la main tape, le texte se forme et parle de l’amour.
Un vieil homme seul ouvre les yeux dans une chambre pour deux; le rituel matinal, le marché, la cuisine…
Une adolescente « chatte », une relation -peut-être sentimentale - naît.
Un gardien de sécurité suit, grâce au système de vidéo-surveillance, une jeune femme qui travaille - à de toutes autres fonctions - dans le même immeuble que lui.
L’amour à trois âges de la vie - l’adolescence, l’âge moyen, la vieillesse - conté avec délicatesse, sans y toucher. Un chassé-croisé lent, fait de peine, d’espoir et d’absurde, de rencontres aussi.
Un film de mots presque sans parole, où l’amour s’écrit mais ne se dit pas : des SMS que s’envoient les adolescentes (cette redoutable touche qu’est « delete » !) au texte que cette femme sourde et aveugle (Theresa Chan dont la personnalité et le vécu ont largement inspiré le réalisateur et son scénariste) compose sur sa machine. Lors des passages durant lesquels l’histoire de Theresa Chan est racontée en sous-titres tandis qu’on la voit vivre sa vie, le son semble coupé et l’on sort du film avec le sentiment d’avoir perdu un sens. Mais s’il y a peu de dialogues, l’oralité est très présente : la nourriture et le partage qu’elle représente créent un lien entre des êtres qui ne se connaissaient pas, et la bouche, les lèvres ne sont-elles pas faites pour embrasser ? Par les silences, par les bruits, par la musique (piano et violons), toujours notre sens auditif est sollicité.
La caméra se tourne vers les personnages, les cueille en cours de route, en cours de vie. Elle les quitte, va vers d’autres, revient, ils ne l’ont pas attendue, ont continué à vivre. C’est tragique, parfois, c’est un lent soleil qui se lève, c’est magnifique, toujours.
Tourné en seize jours, ce film en provenance de Singapour laisse une large place à l’improvisation. Son réalisateur, dont c’est le troisième long métrage, est un homme discret. Ses précédents films (Mee Pok Man, 1995 et 12 Storeys, 1997) avaient été largement primés. Be With Me a fait l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs lors du festival de Cannes 2005
Be with me. Soit avec moi…
Eva Debaix


CHRONIQUES

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