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Critique

À BORIS VIAN - ON N'EST PAS LÀ POUR SE FAIRE ENGUEULER !

publié le

Le 23 juin 1959 disparaissait Boris Vian, à l’âge de 39 ans. À l’occasion des 50 ans de sa mort, en juin 2009, est sortie une compilation-hommage intitulée « À Boris Vian – On n’est pas là pour se faire engueuler ! » qui possède son lot de belles […]

Le 23 juin 1959 disparaissait Boris Vian, à l’âge de 39 ans. À l’occasion des 50 ans de sa mort, en juin 2009, est sortie une compilation-hommage intitulée « À Boris Vian – On n’est pas là pour se faire engueuler ! » qui possède son lot de belles surprises. La direction artistique de ce double album a été menée par le journaliste Olivier Nuc qui a fait appel au don d’interprète d’une belle brochette d’artistes de la scène francophone actuelle, chanteurs et comédiens. Mais ce n’est pas tout, et c’est là que réside l’originalité de la démarche : certains chanteurs ont été amenés à mettre en musique des textes surprenants de l’auteur qui n’ont jamais été chantés auparavant. Le premier disque, « Chansons probables », propose donc 19 reprises dans des arrangements modernisés de chansons jadis chantées par Vian lui-même et/ou ses interprètes. On y (re-)découvre le parolier, le poète, mais aussi l’adaptateur de génie. En outre, cet opus rend indirectement hommage aux fameux compositeurs/arrangeurs qui ont travaillé avec lui à l’époque : Jimmy Walter et Alain Goraguer en première ligne, mais aussi Henri Salvador, Serge Gainsbourg et Michel Legrand. Petit tour d’horizon des moments forts de ce premier volet.

 

vianC’est Juliette qui s’est emparée de La complainte du progrès pour livrer une version qui déménage et dont les arrangements pop contrastent joliment avec sa voix rétro. Datant de 1955, cette chanson unique en son genre à l’époque était clairement en avance sur son temps. Aujourd’hui encore, Vian interpelle par cette critique faussement fantaisiste de la société de consommation. Fidèle à son personnage décalé et nonchalant, Katerine reprend Je bois en «chantant très justement faux». C’est une version musclée du tango Les joyeux bouchers qu’offre Christian Olivier des Têtes Raides, un titre qui lui sied à merveille. Dans Cinématographe, popularisé jadis par Mouloudji, –M– jongle magnifiquement avec sa voix, explorant ses médiums plus qu’à l’accoutumée pour mieux flirter avec son chant de tête caractéristique. François Hadji-Lazaro (Pigalle) a fait le choix décalé de reprendre Fais-moi mal, Johnny que Magali Noël avait rendu célèbre. Il excelle dans ce rôle à contre-emploi de femme (C’est l’image d’un travesti qui nous vient à l’esprit, du coup). L’écho (masculin à l’origine) lui est donné par une Olivia Ruiz déchaînée. Un des sommets de ce premier disque. Mademoiselle Ruiz interprète ensuite très justement La java des bombes atomiques qui bénéficie d’un arrangement explosif soulignant l’étrangeté et le fantastique du personnage de la chanson. Autre moment de grâce : Ses baisers me grisaient [1] (adaptation [2] de Kisses sweeter than wine) interprété par Emily Loizeau qui réussit ici à faire oublier la délicate version de Nana Mouskouri. Enfin, retenons également Faux-Frère [3] (adaptation de Bird Dog) que Dick Annegarn et Mathieu Boogaerts reprennent délicieusement dans une version proche de celle des Everly Brothers de 1958.

La deuxième galette, « Chansons improbables », réunit des textes tirés de manuscrits de Vian mis en musique par des artistes actuels et d’autres textes plus ou moins connus que des comédiens disent la plupart du temps sur fond musical.

Certains artistes ont réussi à donner aux textes jamais chantés un souffle musical des plus captivants. La Ballade du lapin n’est pas sans rappeler Le dîner de Dick Annegarn. JP Nataf y campe à merveille ce personnage se retrouvant nez à nez avec les « petits plats dans les grands » qu’il a préparés pour une invitée absente au rendez-vous. Il transporte l’auditeur où il veut au rythme d’un picking folk dont il a le secret. Arthur H, lui, a fait de Casserole-Sérénade un hymne endiablé. Dans ce texte quelque peu surréaliste, Vian prétend que le temps désespérant des bouquets et des petits billets doux pour faire la cour est révolu. L’ère de la romance bruyante est arrivée : « Aujourd’hui mesdames, on passe à la casserole ! ». Dans Elle serait là, si lourde, poème d’une étrange beauté, on retrouve toute l’ingéniosité et la liberté de ton de Vian. Claire Diterzi était tout indiquée pour mettre en musique cette fiction apocalyptique où le dernier survivant sur terre se retrouve devant un cruel dilemme : « S’il restait un oiseau et une locomotive / Et moi seul dans le désert / Avec l’oiseau et le chose / Et si l’on disait choisis / Que ferais-je ? ». Le texte La neige a inspiré à Barbara Carlotti une musique aérienne qui répond bien à l’univers parallèle recherché par cet homme accroc à l’héroïne (« Mais il aimait la neige, bien poudreuse et bien fraîche »). 

Parmi les textes interprétés par des comédiens, retenons l’interprétation poignante et sans mélo de Jean-Louis Trintignant du terrible Je mourrai d'un cancer de la colonne vertébrale, ainsi que la Cantate des boîtes exp(l)osée par un Antoine De Caunes au plus haut de sa forme. Mention spéciale aussi à Jean-Claude Dreyfus qui nous narre, l’eau à la bouche, la truculente histoire de La marche du concombre

Enfin, soulignons le travail titanesque de Fred Pallem qui a réussi à rendre actuels les arrangements de quasiment tous les titres en respectant l’âme des orchestrations d’antan.

Un très bel hommage dont certaines reprises et créations deviendront, sans aucun doute, avec le temps, des versions de référence.

Guillaume Duthoit

 

 

[1] Boris Vian a adapté en français la chanson Kisses sweeter than wine qui fut, en 1950, créée par The Weavers, groupe fondé par Pete Seeger, Lee Hays, Ronnie Gilbert et Fred Hellerman. Elle est signée, pour les paroles originales, Paul Campbell (le pseudonyme collectif des membres de The Weavers) et, pour la musique, de Joël Newman, plus connu sous le nom de Leadbelly. Elle fut reprise plus tard par Jimmie Rodgers, Peter, Paul and Mary et Marlene Dietrich.

[2] À l’origine, le texte en anglais décrit l’histoire d’un homme qui s’est marié avec la première femme qu’il a embrassée. Et ce couple fidèle qui a eu beaucoup d’enfants et d’ennuis, une fois vieux, se dit prêt à recommencer cette vie. Dans sa traduction, Vian a transformé radicalement la philosophie de la chanson, en créant le personnage d’un homme volage qui ne peut résister à la douceur des baisers de toutes les femmes qu’il rencontre.

[3] Aucun enregistrement studio d’époque de cette adaptation par Vian de Bird Dog n’est visiblement répertorié. Serait-ce ici le premier enregistrement studio de cette version française ?

 

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