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Critique

QUINTETTE CLAVIER 1,2 / QUATUOR CLAVIER

publié le

Ample et mesurée, l’œuvre de Martinu paraît moins enracinée dans son siècle que sans âge, inactuelle mais vivace. Peut-être brûle-t-elle à mesure qu’elle se régénère, dans un espace créé pour elle et qu’elle anime, souveraine et libre, étrange de […]

 

Ample et mesurée, l’œuvre de Martinu paraît moins enracinée dans son siècle que sans âge, inactuelle mais vivace. Peut-être brûle-t-elle à mesure qu’elle se régénère, dans un espace créé pour elle et qu’elle anime, souveraine et libre, étrange de solitude, indifférente aux activités humaines. En elle la musique assouvit son histoire comme une anecdote : d’inspiration disparate, n’appartenant à aucun courant défini, mer étale, elle scintille de sa propre lumière.

 

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Cela ressemble à la vie même du compositeur, erratique, paradoxale, singulièrement heureuse. Né en Moravie en 1890, Martinu se révèle tant virtuose qu’obstiné dans son exécration de la théorie. Deux fois renvoyé du Conservatoire, il progresse par à-coups, au hasard des rencontres. La chance lui sourit puisqu’il parvient très tôt à accomplir son rêve le plus cher : gagner Paris pour approfondir sa connaissance de l’art français, dont il admire la clarté, le raffinement. N’était-il pas déjà en porte-à-faux, à Prague, gêné par le post-romantisme de ses compatriotes ? Ravel, Debussy et Roussel sont une première source d’inspiration pour un homme qui, on le sent, cherche davantage à enrichir son intime conception de la musique qu’à mimer ses contemporains. Lorsqu’il s’intéresse au folklore bohémien, c’est en imagination, contrairement à son compatriote Janacek, il ne prospecte pas dans les villages, les campagnes, préférant plonger en lui-même, fouiller ses souvenirs et son héritage. Bien sûr, parti en France, il ne vivra jamais plus dans son pays : marié à une Française, exilé aux États-Unis pendant la seconde guerre mondiale, puis en Suisse et en Italie sous Staline, un exil politique sans cesse renouvelé le préserve des pires atrocités du XXème siècle.

 

2Concerto grosso baroque, madrigal anglais de la Renaissance, tradition bohémienne et impressionnisme française: l’éclectisme de Martinu est, lui, bien de son siècle. Martinu est un maître de l’équilibre: romantisme apaisé, joie et profondeur caractérisent une œuvre profuse et toujours discrète. L’attention qu’il porte à ses compositions, son travail minutieux, s’efface dans une agréable fluidité. Les coutures doivent rester invisibles, autant que la trame du tissu et la sueur de l’artiste. On songe, en l’écoutant, à une forme auditive de la calligraphie: la grande simplicité de la figure ne trahit pas la complexité sous-jacente. Seule demeure perceptible l’intensité de l’acte créateur. La beauté irradie, légère et diaphane, et l’interprétation du Kocian Quartet, lucide et sensible, ne lui fait pas défaut. La musique de chambre offre une belle illustration du talent de Martinu : à la première écoute, quintettes et quatuors ne laissent pas filtrer la moindre mélodie. À mesure que l’oreille se familiarise aux sonorités, qu’elle commence à déceler les enchaînements, à ressentir le rythme, à isoler les diverses voix, aucune phrase pourtant ne se dégage du morceau. Comme devant un tableau non figuratif, dont on perçoit la finesse de trait mais dans lequel on ne reconnaît aucune forme concrète. Aussi cette difficulté fait-elle qu’on ne se lasse pas. L’esprit qui, dans ce réseau compliqué, voyage de fil en fil, tantôt se déleste du désir de comprendre, tantôt sombre dans une analyse qui le perd encore davantage. L’absence de repère, dans cet environnement de notes scintillantes, est une délicieuse délivrance.

 

Catherine De Poortere

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