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Critique

MADEMOISELLE

publié le

Ne comptez pas sur « Mademoiselle » pour vous chanter le blues. Elle va peut-être vous le refiler, mais mieux que quiconque, elle saura se faire pardonner…

mNe comptez pas sur « Mademoiselle » pour vous chanter le blues. Elle va peut-être vous le refiler, mais mieux que quiconque, elle saura se faire pardonner…

Surtout ne pas se fier à ce sourire ravageur, ne pas s’appesantir sur des yeux noisette qui scintillent de milles et une flammèches et d’un visage qui s’offre comme une impromptue promesse de rendez-vous. D’aucuns y verront l’éclosion chansonnière d’une Audrey Tautou enfin entrée à l’âge adulte, d’autres comme un succédané du passé artistique de la nouvelle première Dame de France, une poignée à la mémoire courte croiront reconnaître la silhouette fluette d’Enzo Enzo dansant dans l’ombre de « Mademoiselle » et enfin, il s’en trouvera toujours quelques-uns pour remonter à l’indépassable icône sixties, Françoise Hardy.

Une fois franchie la case obligée de la caractérisation physiologique (même dans un monde qui dit tendre à l’égalité symbolique homme-femme, on se laisse d’autant flageller de bon cœur par les textes piquants d’une Constance Verluca quand on sait à quoi elle ressemble…), le profil de « Mademoiselle » ne cède rien de son élégance distinguée; une voix gracile et bleutée dans un écrin musical à la fragile majesté d’un musée de cire. À la première visite, on se laisse charmer par la beauté candide des lieux, la fluidité aérienne de ses aménagements et la discrétion peu commune de ses structures, mais on ressort de là avec un discret message en poche, qui ressemble bien à un ticket de retour à la validité illimitée.

On passe et on repasse effectivement faire un petit coucou à la Berry… et là on remarque les rayures dans le carrelage, que la peinture vient d’être refaite par endroits et que, dans un coin, des bribes de bibelots autrefois précieux surnagent dans la poussière avant une évacuation sans cesse différée. Le basculement se fait imperceptiblement. Mais là où on pensait dealer un moment plutôt douillet en avantageuse compagnie à ressasser souvenirs, anecdotes, rêveries et confessions avouables et se livrer au jeu réconfortant des correspondances/dissemblances sans conséquences, on se voit éjecté sur le banc de touche, réduit au rôle de simple spectateur éberlué devant la sérénité paradoxale d’une jeune femme qui achève son travail de deuil hors de portée des retours de bâton vachards de l’acrimonie et de la frustration. Chez Berry, la légèreté est née en réaction au vertige des abîmes et la sagesse passe autant par le renoncement aux grands idéaux qu’à un viscéral attachement aux plaisirs fugaces de l’existence.

Et tout ce qui se dit sur « Mademoiselle » est seriné sur le mode de la confession intime mais (heureusement) lacunaire, comme si Berry, à partir de morceaux choisis d’elle-même, traçait des ébauches de scénarii offrant indistinctement à ses destinataires potentiels la possibilité d’une réécriture personnelle croisée, la mise en chantier d’un cadavre exquis ou… le risque de se faire (ré)envoyer sur les roses.
Les chansons de Berry ont incontestablement leur point d’encrage dans un «je», mais leur longue trame est tissée de pointillés, de motifs discrets à demi-cachés et d’étoffes faussement naïves, impeccablement nettes et repassées sur le devant mais fatiguées et même déchirées sur le revers. En première écoute «Plus loin» apparaît comme le faire-part de décès d’une relation amoureuse avant de se révéler comme le plus beau des adieux adressé à un proche qui vient de retirer un aller simple pour l’au-delà. De même, cette citation sibylline en début de « Mademoiselle » (le titre) qui troue de sa tendre cruauté le confortable matelas de cordes sur lequel repose le texte: « Un Smith & Wesson / Qui colle à la peau comme un homme ». Ou cette désarçonnante sentence qui fait souffler le bouillant et le glacé dans un même mouvement: « N’ayez pas peur du bonheur / Il n’existe pas / Ni ici ni ailleurs… Laissez-vous aller, le temps d’un baiser / Je vais vous aimer »… chantée à la façon d’une enfant qui aurait échangé les prières de son chapelet avec les intitulés de son journal intime. « Tenir » subjugue par sa ferveur toute proactive à conjurer « le néant » et l’abandon par l’énoncé simple de petites choses à (réussir à) faire et de tendres serments quotidiens à relever.

En quelques occasions, la Française s’aventure davantage sur le terrain de l’explicite avec un franc et sans détour « Enfant de Salaud », qui dans sa dernière ligne droite termine a cappella (Berry et ses doubles vocaux) son catalogue de doléances, s’octroie, l’espace d’un « Love Affair » quelques gentilles foulées sur les plates-bandes de Keren Ann et semble inconsciemment aimantée par l’idée d’un duo en compagnie de Daniel Darc (le bien nommé « Inutile »).
Mais même quand elle est le plus en danger, Berry maintient son chant bien à l’écart du moindre coup d’éclat démonstratif tout autant qu’elle nous épargne la plus infime inflexion récriminatoire ou plaintive. Cette fille a décidément bien de la classe et nous rappelle qu’à une époque pas si lointaine, il n’était pas si rare de voir les hit-parades trustés par de jolis minois qui, bien plus que de se laisser cantonner dans le simple rôle de Pygmalion dans les mains de génies postés dans l’ombre (Gainsbourg et sa suite), donnaient un éclat et un relief sans pareils à des chansons qui par-delà leurs significations à tiroir et une apparente simplicité, se révélaient être d’étonnantes mécaniques de précision.
Écrit par son auteur et composé à trois paires de mains (Manou, Lionel Dudognon et la principale intéressée), «Mademoiselle» bénéficie d’une incroyable économie de notes et d’accords qui rend chaque élément impitoyablement solidaire et indispensable à l’équilibre de l’ensemble. Rien n’y est surnuméraire et superfétatoire, mais rien ne dépasse non plus…
L’audace, ce sera probablement pour une autre fois. On l’attend…

Yannick Hustache

 

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