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Focus

Thierry Smits | Défendre la liberté

Toumaï, Thierry Smits Cie. Thor - photo de répétition, ©Hichem Dahes 4.jpg

poésie, liberté, spectacle, effondrement, révolte, Thierry Smits

publié le par Jean-Jacques Goffinon

Avec son nouveau spectacle Toumaï, le chorégraphe Thierry Smits s’attaque à l’effondrement avec autant de dureté que de poésie. Dans un crescendo noir et épuré, passant de tableau en tableau, il fait la description de notre monde, vassal des mécaniques clinquantes de son système mercantile et industriel, pour proposer un retour à la liberté, presque à la révolte. Il signe, ici, l’un de ses ballets les plus touchants et poétiques en faisant paradoxalement rimer la froideur du métal avec le feu de l’indignation humaine.

Toumaï, Thierry Smits Cie. Thor - photo de répétition, ©Hichem Dahes  3.jpg

Chronique d’une mort annoncée

« On le savait », scande une voix off presque robotique qui résonne entre les interférences et les bruits de chaînes de production. Dans la salle noire, opaque, un conteneur de chantier s’avance lentement avec rutilance, aussi imposant qu’implacable. Autour, des femmes, des hommes frétillent. Une communauté connectée, mais aveuglée par des sacs de shopping qui couvrent les têtes, danse autour de cette masse métallique sans jamais la toucher. Les gestes sont faits de tremblements en cascades, de brisures. Ces mannequins sauteurs forment une danse de chair chaotique autour d’une machinerie plastique inhumaine. Notre monde en somme.

Peu après, les sacs tombent. Les visages apparaissent. Les corps se cognent à la masse de fer par dévotion, par convoitise, désir et violence. Une danse épuisante où la communauté n’est plus, où tout un chacun cherche sa propre satisfaction dans la débâcle des corps contre le métal. La danse devient lutte et la machine inébranlable reste, poussant de son poids sur le sol les morts des combats individuels. De ces métaphores de l’histoire de notre fin, Thierry Smits fait une poésie froide d’une étrange beauté « a-lyrique ». Fascinante. Il symbolise notre évolution malheureuse en créant un nouveau langage du combat face à un ennemi qui semble éminemment pain-proof.

Toumaï, Thierry Smits Cie. Thor - photo de répétition, ©Hichem Dahes 5.jpg

Proposer la fin des corruptions

Le titre du spectacle, Toumaï, signifie « espoir de vie » dans la langue gorane parlée au Sahara central. Il fait référence aux enfants nés pendant la saison sèche quand la survie est la plus aléatoire. C’est aussi le surnom donné aux restes fossiles d’un primate retrouvé au Tchad, potentiel chaînon manquant de l’évolution vers le genre humain, trait d’union symbolique qui nous relie à l’ensemble de la vie sur Terre. Le spectacle n’est donc certainement pas nihiliste. Au contraire.

Après avoir évoqué ce qui nous pend au nez : les individualismes meurtriers, la famine qui pousse à un cannibalisme symbolique, la mort qui s’abat sur le plus grand nombre… Comment imaginer revivre ? Thierry Smits, toujours dans le combat contre les forces mercantiles et écocides, amorce une réponse, celle de dérégler le système corrompu par un retour à la liberté pleine et aux valeurs fondamentales. En faisant fi de la présence encombrante du conteneur, ces femmes et ces hommes se relèvent pour reprendre de concert une danse sereine célébrant leurs relations retrouvées. Le conteneur va-t-il enfin s’ouvrir, inclure l’humain, montrer ses failles ? Ces derniers tableaux seraient-ils une invitation à la désobéissance civile ? Du moins, la réflexion s’impose.

Au-delà des corps et d’une esthétique d’une beauté parfaitement épurée, ce spectacle puissamment contemporain mélange la véritable poésie à la matière, métal industriel glaçant et symbolique. Le langage y est cru comme la réalité, violent et sans retenue comme les discours d’urgence. Au sortir des applaudissements ininterrompus d’une salle envoûtée, le travail de Thierry Smith persiste dans nos imaginaires. Demain, nous ne serons pas sains et saufs !

Jean-Jacques Goffinon

Crédit photo : ©Hichem Dahes

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