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Focus

Relations entre système économique et système de soins

Relations entre système économique et système de soins
Dans un entretien paru dans le journal Le Monde (9/04/2020), Barbara Stiegler nous éclaire sur les relations de cause à effet entre notre système économique néolibéral et la tournure qu’a prise l’actuelle crise sanitaire. Barbara Stiegler est professeure de philosophie politique à l’Université Bordeaux Montaigne, elle est responsable du master « soin, éthique et santé ».

Rien vu venir. Mécanisme du déni

Elle dit n’avoir pas vu venir la crise liée au Covid-19. Trop prise par ses charges professorales, par l’actualité sociale très tendue (la question des retraites), mais aussi « bercée » par le discours rassurant des dirigeants. Début mars, il n’y avait encore rien à craindre de cette « petite grippe » surgie en Chine.

Comment expliquer cette imprévoyance ? Peut-être y-a-t-il une part d’irrationnel ? Refusant d’envisager de mettre la machine sur pause, on prie pour que ça n’arrive pas chez nous ?

Mais plus fondamentalement, il y a une autre raison. Les pays développés occidentaux auraient eu la conviction de ne plus être à portée de telles attaques virales, ayant atteint un stade élevé de techno-modernité (cela s’accompagnant d’un partage du travail : au Nord, l’économie de la connaissance, au Sud, la production matérielle).

« L’idée fut, au fond, qu’un tel virus était, comme les stocks de masques, trop archaïque pour concerner nos sociétés, trop performantes pour y être exposées.L’origine supposée de la pandémie a d’ailleurs pu contribuer à redoubler ce mécanisme de déni. Car quel rapport nos vies aseptisées et nos systèmes de santé ultramodernes pouvaient-ils bien avoir avec ce sombre mélange de saleté, d’élevage domestique confiné et de faune sauvage malade qu’évoquent les marchés d’animaux asiatiques ?Tournant le dos à ces images déplaisantes de chauves-souris et de volailles infectées, pourtant emblématiques de notre économie mondialisée qui entasse les vivants dans des environnements industriels de plus en plus dégradés, le néolibéralisme préfère tourner ses regards vers l’avenir radieux promis par l’innovation biomédicale et continuer d’occulter les facteurs sociaux et environnementaux de toutes les pathologies, tant infectieuses que chroniques. » — -

L’ampleur des dégâts, reflet de choix politiques

Barbara Stiegler a étudié en profondeur dans son dernier ouvrage, « Il faut s’adapter », la manière dont les réformes néolibérales ont colonisé tous les aspects de l’existence, individuelle et collective. La prédominance accordée à la rentabilité, à la spéculation et à la responsabilité individuante a conduit, aussi, à transformer le système de soin de santé, la conception même de la maladie et du ·de la· malade.

« L’idée véhiculée depuis des années est, au fond, que notre système sanitaire doit en finir avec la vieille médecine clinique, fondée sur la souffrance et la plainte du patient, de même qu’il serait censé en avoir fini avec les grandes épidémies infectieuses, supposant l’assistance à des populations vulnérables. C’est le sens de la médecine dite « proactive », portée par les promesses du virage numérique et des données massives (big data) en santé.

A notre vieille médecine jugée « réactive », la vision proactive oppose des processus d’optimisation continue, où ce sont les patients eux-mêmes qui sont censés gérer de manière optimale leurs propres comportements face aux risques.

Comme chez Walter Lippmann, l’idée est d’augmenter les performances des individus et leur capacité à s’adapter, y compris à un environnement dégradé. Cette vision, que l’on retrouve dans le champ de la maladie chronique avec la « médecine des 4 P » (« personnalisée », « prédictive », « préventive », « participative »), sous-tend une nouvelle conception de la santé publique, qui passe exclusivement par la responsabilité individuelle et qui refuse d’assumer une vision collective des déterminants sociaux de santé, toujours soupçonnée de déboucher sur une action sociale trop collectiviste.

C’est l’accumulation de tous ces dualismes imaginaires qui a créé la cécité de nos gouvernants face à la crise et qui a produit la situation actuelle : un très long retard au démarrage pour prendre des mesures collectives de santé publique, doublé d’une spectaculaire pénurie organisée au nom de la santé elle-même, alors même que des alertes sur les maladies émergentes se multipliaient dans la littérature scientifique depuis des années et que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) lançait des recommandations très claires dès la fin du mois de janvier. ».

A méditer, pour la suite !


Le Monde - Article Barbara Stiegler : « La crise due au coronavirus reflète la vision néolibérale de la santé publique »

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