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Focus

Icons - De la prière à l'action

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Orient/Occident, histoire de l'art, exposition (Bruxelles), Fondation Boghossian, image, regard, Icons, icône

publié le par Catherine De Poortere

Bien plus qu'une image pieuse, l'icône est une présence qui interroge le regard. Étroitement lié aux origines de la figuration, le medium reprend aujourd’hui de la vigueur sous les feux de l'actualité. Un périple visuellement éblouissant, à découvrir jusqu'en octobre à la Fondation Boghossian.

Sommaire

Aujourd’hui, certes nous voyons dans un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face. Aujourd’hui je connais d’une manière imparfaite, mais alors je connaîtrai comme je suis connu. — Saint Paul, Corinthiens 13.12
Ni mouvement ni profondeur, aucun illusionnisme. Le sacré. — André Malraux

À genoux enflammés

Il est significatif de l’art de l’icône que la réciprocité de regards qu'elle incarne, presque idéalement, embrasse la relation entre le croyant et son Dieu aussi bien que celle qui s’établit entre le regardeur et l’image contemplée. D’une saisie immédiate, l'icône, comme toute représentation picturale, offre la possibilité d’une expérience analogue à celle de la rencontre. Une rencontre où d’un côté il y aurait silence et immobilité, de l’autre production de sens. Tous les tableaux ne sont en effet pas propices à une narration. Quand certains paysages sont une invitation à les parcourir comme une réserve d’indices disposés à l’élucidation, il en est d’autres qui imposent un tout autre genre de rapport. Et c’est justement ce que fait l’icône.

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Ce sont de grands visages aux traits fins, des yeux en amande qui n’expriment rien d’autre que leur calme présence, des étoffes lourdes, empesées dans la couleur, du rouge, du brun, du bleu, des gestes figés, un tableau qui tout entier se manifeste frontalement, sans un écart entre ce qu’il donne à voir et ce qu’il est. Pas de signature mais des titres qui renvoient à des moments-clés de la vie chrétienne que l'image concentre et essentialise. Au sein d'un canevas rayonnant, c'est à peine si la variété des sujets nous étonne. La Déposition de la robe, qui date du Vème siècle, illustre l’arrivée à Constantinople de deux pèlerins venus y déposer l’habit d’une sainte. Ne pleure pas sur moi, Mère peut être considérée comme une Pietà d’origine byzantine. Ou encore Sainte Catherine d’Alexandrie [image ci-contre], la Mère de Dieu de Tikhvine, Paraskeva, Le Buisson ardent… On comprend alors ce que l’effet recherché dans ce type de représentation doit à la plénitude qui émane de ces figures muettes et sereines, semblables à des bouddhas. Exempte de pathos, l’icône vibre d’une émotion sans mesure à l’égal d’un désir sans objet.

Claude Mellan Le Voile de Veronique.jpg

Elle est de la nature des reliques qui demandent à être palpées, touchées des lèvres, une vénération du corps et de l’âme. « Mouchoir » ou « tissu », le Mandylion est ce qu’on appelle une icône « achéiropoïete », c’est-à-dire « non faite de main d’homme ». Le visage du Christ s’y manifeste à l’état d’empreinte, selon le principe du suaire. Soutenue par une foi sereine qui trouve dans la matière même du réel de quoi alimenter sa ferveur, l’hypothèse de l’empreinte anime une sublime gravure du XVIIème siècle, La Sainte Face du Christ sur le voile de Véronique, une œuvre de Claude Mellan [image ci-contre]. L’icône religieuse nous rappelle à quel point prier peut devenir un acte sensuel.

Boit la lumière

L’icône ne se conçoit pas comme une œuvre d’art, à l’origine tout au moins. C’est une image sans profondeur, un accès au divin et un relais pour la prière. Des excès en puissance du geste figuratif, l’icône en tant que « degré zéro de l’image » ne conserve que la capacité à faire signe. Une approche transhistorique tendue entre l'Orient et l'Occident, attentive aux arguments des iconoclastes, des iconodules et pourquoi pas aussi des iconophages, met en évidence ce qu’il advient du médium lorsque, peu à peu, le référent change, évolue ou disparaît totalement. C’est le fil conducteur de l’exposition.

À un habitué des grandes institutions culturelles, la Fondation Boghossian offre ici l’opportunité d’exprimer un point de vue plus personnel sur l’un de ses thèmes de prédilection. Pour Henri Loyrette, conservateur et historien d’art, ex-directeur du Musée d’Orsay et directeur actuel du Louvre, Icons est une exposition de poche, un cadre d’expérience intime et concis, reçu comme une évidence par le Centre d’art et de dialogue entre les cultures d’Orient et d’Occident qu'abrite la Villa Empain.

Le chemin le paysage

En s’éloignant progressivement de sa vocation spirituelle, l’art iconique demeure fécond. L’immanence ou la disparition du référent y épouse un acte de sortie de la peinture hors de ses lignes narratives. L’image reprend alors son statut de pure présence, de medium. On s’en doute cependant, les preuves de la survie de l’icône dans l’art moderne et contemporain s’inscrivent davantage dans un dispositif formel que dans une pluralité de sens parfois aporétiques qui renvoient à un monde peuplé de questions et d’incertitudes.

Le jour s'entrouvre

Par exemple, on pourra se demander ce qui distingue certaines propositions modernes et contemporaines des icônes culturelles qui hantent l’imaginaire médiatique, et dans un même temps regretter que l’exposition ne fasse pas davantage honneur à la riche polysémie du terme. On aurait aimé y trouver quelque allusion à l’informatique, explorer des équivalents dans les domaines de la musique, du cinéma ou de la littérature. Toute subjective et discutable qu'elle semble, la sélection d’Henri Loyrette défend de façon très pertinente un élargissement du regard à la communauté et au social. De Warhol à Sarkis, de Douglas Gordon à Pierre et Gilles en passant par des œuvres aussi profondes qu’engagées de Fabrice Samyn, Duane Hanson, Marwan et Ellen Gallagher, un même souci pour la condition humaine s’exalte à travers des corps noircis, mutilés, enflammés et comme toujours en gloire.

Quant au chemin parcouru depuis les catacombes, peut-être n’est-il pas ce gouffre auquel on pense dès lors qu'y transparaît tout ce qui éloigne aujourd'hui le sacré du religieux. L'icône n'en demeure pas moins la déposition d'une image. Que l'horizon soit une communauté ou une transcendance, un saint ou un martyr, une personne ou un idéal. L’objectif est de révéler, de mettre en présence. L’œuvre de Pierre et Gilles témoigne suffisamment de ce qu’une telle démarche peut avoir de joyeusement subversif. Il n’est pas jusqu’aux statues de Duane Hanson qui, par leur mimétisme, ne suscitent un mouvement de réponse, comme une amorce à l'action. L’image qui cherche à nouer avec l'être qu’elle regarde un certain rapport d’identité, s'engage auprès de lui.


Texte : Catherine De Poortere

Crédit images : ©Fondation Boghossian

En bandeau : Pierre et Gilles, La Madone au cœur blessé (détail) - 1991.


Jusqu'au 24/10/21 à la Fondation Boghossian

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