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Focus

Expo Congo Paintings à Namur : une autre vision du monde

Les Désirs de la femme - (c) Cheri Cherin 2007 - Musee afrivain de Namur
Ce qui frappe d’emblée quand on s’engage dans la Rue du Premier Lancier à Namur, c’est l’aspect impressionnant de cet ancien corps de garde – caserne de briques rouges à l’architecture évoquant autant le souvenir des châteaux fortifiés que celles des ensembles pénitentiaires construit au XIXème siècle (on pense un peu à la prison de Saint-Gilles, à Bruxelles).

C’est pourtant à cette adresse que l’on trouve le le Musée Africain de Namur dont l’entrée se trouve sous une poterne. Un musée déjà centenaire (ouvert en 1912, à cette adresse depuis 1985) réunissant une collection d’objets africains (essentiellement) d’origine congolaise. Fondé par d’anciens coloniaux (la pluparts des effets exposés datent d’avant l’indépendance du Congo en 1960), il prend place dans quelques salles et couloirs où se côtoient « souvenirs » de la colonisation elle-même (bustes, photos, uniformes militaires, cartes géographiques…) et quantités d’objets artistiques ou pratiques de provenance indigène, sans oublier les pierres, roches, insectes punaisés sous cadre et animaux taxidermisés de toutes sortes, présentés dans une certaine logique mais aussi dans un certain fatras, et parfois sans beaucoup d’explications (seulement en Français).

Le tour de force de Congo Paintings est de montrer une exposition dans l’exposition. Des œuvres issues de la jeune peinture africaine (à compter depuis la fin des années 1960) ont été accrochées au beau milieu de collections du musée (quelque peu empoussiérées) offrant à la fois un superbe contraste de par leurs tonalités et couleurs chaudes voire par moment, offensives et par les interrogations qu’elles suscitent immanquablement. « Héritage » colonial contre vitalité artistique « moderne », réflexes conservatoires d’un passé révolu (et nostalgique) contre regard critique acerbe ou désenchanté au présent.

On se gardera bien de tenter de parler d’une unité de style, ce qui frappe avant tout, c’est la palette chromatique qu’utilisent ces peintres : des couleurs fortes, chaudes, fortement contrastées, violentes, aux limites de l’obscène parfois !

Une peinture néanmoins figurative qui déborde d’une énergie que l’on pourrait qualifier d’urbaine. Guère étonnant en soi, sachant la majorité de ces peintres basée à Kinshasa, une mégalopole chaotique de 15 millions d’habitants qui ne dort jamais, capitale d’un pays en état de déliquescence avancée !

Artistes qui d’ailleurs se revendiquent comme « populaires» au sens où ils puisent leurs inspirations dans la vie des gens de tous les jours tout comme ils reflètent, à leur manière, et régulièrement sur un mode allégorique, les enjeux politiques et évolutions économiques et sociétales que connait le Congo depuis 1960, date de l’indépendance du pays. Enfin, c’est une peinture très charnelle, voire par moment lestée d’une forte charge érotique, soutenant, à contrario, un discours souvent moral ou moralisant.

Présentées à chaque fois avec un commentaire explicatif qui fournissent quelques clés de lecture sans toutefois en altérer la vision critique, ni amenuiser la libre interprétation personnelle.

Dans les œuvres exposées, c’est certainement les travaux de Bodo Fils (son père, Pierre Bodo Pambu, est une figure reconnue de la peinture congolaise) qui frappent le plus par ses tableaux post-surréalistes » chargés d’images et de symboles parfois mis en pièces, et qui s’organisent dans des compositions complexes, enchevêtrées, violemment sensuelles, qui laissent transparaitre son gout pour la musique et sa fierté (brimée) de Congolais, régulièrement aliéné dans sa culture et ses choix imposés de société. Une partie de son travail brocarde par ailleurs la figure très locale du « sapeur », ces dandys congolais aussi fantasques et précieux par leur façon de se vêtir et de se comporter en société que d’une désespérante vacuité dans le discours de fond.

Autre fils de Pierre Bodo Pambu, Amani Bodo travaille lui aussi dans une veine à la fois symbolique et surréaliste mais ses motifs semblent davantage provenir des domaines du rêve. Autre thème récurrent de sa peinture, les inégales interdépendances Sud-Nord, le pillage des ressources, et, sur un mode sarcastique, la représentation des membres de la Société des Ambianceurs et des Personnalités Élégantes, ou « sapeurs », variante locale (outrancière) du dandysme à la sauce kinoise ! En contrepartie, le peintre « populaire » congolais se veut (et se représente) dans la droite lignée des grands maître de la peinture occidentale (Picasso). On trouve dans sa peinture un contraste constant entre douceur (les couleurs, l’apparente passivité des sujets représentés) et violence, préoccupations locales et questions internationales (les migrations).

« Sapeur » de son état, Chéri Chérin  travailles des compositions complexes  très narratives, incluant parfois des textes sur la toile même, qui jettent un regard cru et distancié sur la société congolaise. Il passe au crible les passions humaines (la volonté de domination, la cupidité, l’envie…) ainsi que l’iconographie populaire congolaise.

Avec un style en perpétuelle évolution, Sam Ilius se penche autant sur l’histoire du Congo, que sur des détails caractéristiques de la vie quotidienne (les poissons, les masques), non sans  une pointe d’ironie (vis-à-vis des « sapeurs », encore).

A part, on ne peut passer à côté du style Kiesse avec ses personnages aux traits déformés, voire grotesques s’adonnant à de plantureuses orgies sexuelles collectives dans des décors naturels. Mélangeant des éléments d’iconographie biblique (les anges déchus) et thèmes populaires, l’artiste excelle dans la représentation outrancièrement expressive et fantasmée des turpitudes humaines tout en soutenant un discours moraliste voir moralisant.

Les toiles au contenu sexuellement (très) explicite faisait d’ailleurs l’objet d’un accrochage à part dans une salle attenante avec un avertissement accroché à l’entrée de celle-ci.

Autre peintre traitant de sujets délicats tels la pauvreté des moyens d’existence au Congo, la corruption et la dépravation sexuelle Lusavuvu possède un style aussi versatile que corrosif !

A rebours d’une modernité occidentale « imposée », Papa Mufumu’Eto 1er explore dans ses toiles sombres et colorées quelques éléments caractéristiques d’une culture occulte ancestrale (sorcellerie, exorcisme) déconsidérée.

Plus simplement, les toiles de Moke Fils abordent, dans un style figuratif naïf et libre les scènes de la vie quotidienne kinoise avec une légèreté  et une bonhomie « presque » inhabituelles!


Yannick Hustache



Congo Paintings, une autre vision du monde

Jusqu’au 27 mai 2018

Musée africain de Namur
1 Rue du Premier Lanciers
5000 Namur

Tel. : 081 23 13 83

Ouvert tous les jours de la semaine de 14h à 17h (sauf les lundis et samedis)

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