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Focus

CityCraft : une formation du Liège Game Lab | Interview d’Alexis Messina

Liège Craft - Liège Game Lab
Le Liège Game Lab organise une formation à destination des professionnels et professionnelles engagé·e·s dans des projets socio-culturels et intéressés par le numérique et, plus spécifiquement, le jeu vidéo. L’approche de cette formation est construite sur un enjeu double : s’initier à la culture vidéoludique et aux différentes réalités du média afin de construire des dispositifs pédagogiques critiques et cohérents. Interview d’Alexis Messina (assistant en Médias, Culture et Communication à l’Université de Liège - Liège Game Lab).
La formation « CityCraft » représente l’occasion de créer des passerelles entre la recherche universitaire, le milieu associatif et plus globalement la cité et ses problématiques : le Liège Game Lab entend apporter à la formation son expertise en termes d’utilisation du jeu vidéo en tant que support au traitement de réflexions sociales et politiques. Dès lors, l’élaboration de projets « CityCraft » participe à l’énonciation, chez les publics, d’un discours réflexif sur la ville comme sur le jeu vidéo. — Liège Game Lab

> plus d'infos sur la formation


- Thierry Moutoy : Le jeu vidéo est de plus en plus utilisé comme outil pédagogique. Pour toi est-ce la nouvelle génération d'enseignants, l'attrait pour les élèves ou bien la maturité et la diversité des jeux vidéo qui provoque une telle ouverture ?

- Alexis Messina (ULg / Liège Game Lab) : Je pense que tous ces facteurs aident au développement de nouveaux dispositifs pédagogiques, d’enseignement, de médiation ou d’éducation populaire, c’est certain. Maintenant, difficile d’établir un lien de causalité précis, ou de rejeter l’une ou l’autre raison.

On peut cependant noter que beaucoup de critiques qui ont été formulées à l’encontre du jeu vidéo sont similaires à celles énoncées contre la télévision, en son temps (et… à la lecture, quelques décennies auparavant !). — Alexis Messina

Il y a un effet de boucle avec le développement de nouvelles technologies médiatiques, artistiques, culturelles, particulièrement lorsque celles-ci transforment le quotidien de différentes strates sociétales. De plus, étant donné que chacun considère le jeu et le jouer d’une manière singulière (Jacques Henriot disait que le seul jeu qui existe « réside dans le jeu entre le joueur et son jeu »), il est également compréhensible que certains et certaines ne voient aucun intérêt dans le jeu vidéo, tout comme je ne vois personnellement pas d’intérêt dans les mots croisés.

Dès lors, on peut comprendre que ce défaut de légitimité, qui peut donc s’expliquer à la fois par la nature profondément singulière de l’acte de jouer et par la nature médiatique du jeu vidéo, se retrouve dans la mobilisation (ou plutôt l’absence) du média dans les pratiques que je citais plus haut ; mais on peut également comprendre qu’avec le temps, le caractère « illégitime » du jeu vidéo peut s’effacer, et ce pour une multitude de raisons. Son inscription à l’université, dans des recherches, discours de chercheurs, dispositifs de vulgarisation, etc., en est également une, je pense.

- Cette année nous fêterons les dix ans de Minecraft. La créativité est toujours au rendez-vous, et ce malgré un rachat par Microsoft, pourquoi une telle longévité ?

- À nouveau, il est difficile d’établir un lien de causalité exact.

Ce qui me semble probable, c’est que ‘Minecraft’ puisse être désigné comme étant LE parangon du jeu de 'craft', c’est-à-dire du jeu de construction par collecte et assemblage de matériaux. Son potentiel créatif est fou, et il est une source d’inspiration pour les joueurs, pour les professionnel·le·s de la culture, mais également pour les développeur·euse·s de jeux (les développeurs de ‘Fortnite’, par exemple, s’en sont inspiré pour concevoir leur jeu). — A. M.

Mais s’il a plus de succès que Roblox, c’est peut-être aussi car il est devenu un élément de pop culture, une icône, en témoignent les tendances de stream qui le placent parfois en tête des jeux diffusés sur la plateforme.

- Votre projet LiègeCraft – mené par le Liège Game Lab, le Digital Lab de la Province de Liège et la Maison des Sciences de l’Homme de l’Université de Liège – visait à engager un dialogue entre les citoyens, les associations et les institutions publiques sur l’espace public et sur son aménagement, à travers des ateliers créatifs de médiation culturelle utilisant Minecraft comme support. Il se rapproche de la démarche de Block by Block, une initiative caritative fondée en partenariat entre le développeur de Minecraft Mojang et les Nations unies, qui vise à encourager les jeunes à s'impliquer dans la régénération urbaine. Le programme utilise Minecraft pour permettre aux enfants de reconstruire et de réinventer leur ville natale. En quoi votre projet diffère ? Quel a été le retour de la Ville de Liège ?

- Le projet LiègeCraft s’inspire de manière indirecte de Block by Block, ce dernier étant l’un des premiers projets du genre. Notre ambition de base était d’interroger la mobilisation du jeu vidéo dans des démarches de médiation culturelle, type de projet que mon collègue Pierre-Yves Hurel menait déjà de son côté avec la création de jeux pour l’ASBL Arts&Publics. Ici, nous souhaitions travailler autour de la création avec des jeux. Pour ce faire, nous avons rencontré l’équipe de RennesCraft, dispositif mis en place par l’association 3 Hit Combo et la Ville de Rennes, qui mobilisait Minecraft pour interroger l’espace public d’après les différentes itérations de Block By Block. Notre laboratoire a unanimement adoré leur projet, tout en souhaitant axer une possible itération personnelle vers la démarche scientifique à laquelle nous sommes attachés, notamment autour du rôle de la médiation culturelle (et du médiateur) dans le développement d’un tel processus créatif.

Ce qui caractérise le projet Block by Block, c’est sa particularité d’inviter des populations locales à la transformation effective du réel, d’un territoire, d’un quartier. Il s’agit là de la matérialisation d’un processus de « makers », soit de co-création de solutions à des problématiques observées par l’expression de la créativité. On peut également y voir une sorte de parallèle avec l’urbanisme tactique, où des habitants de quartiers réaménagent l’espace public de manière « bottom-up » (comme les Parking Days, par exemple). Maintenant, Block By Block est également critiquable sur certains points, du fait de toute une série de contingences, négociations, évolutions politiques, dépendances financières, etc., qui complexifient le projet (je vous renvoie aux travaux de mon collègue Hamza Bashandy, qui étudient précisément la question).

Pour ce qui est de LiègeCraft, l’ambition était moindre et se concentrait principalement autour du développement d’un dispositif de recherche et de médiation culturelle : offrir la possibilité à un public de jouer à Minecraft dans une perspective d’évolution, de transformation de soi, et y étudier l’implication du jeu dans le processus de médiation.

Nous avons trouvé que les questions d’urbanisme qu’un tel projet impliquait pouvaient être de super prismes, et nous nous y sommes donc consacrés. — A. M.

Maintenant, nous n’avons pas eu de retours directs de pouvoirs publics. Nous avons eu davantage d’échos de professionnel·le·s de la médiation, de l’animation et de l’éducation, d’ASBL, etc., qui souhaitaient apprendre à développer de tels projets (en les adaptant, évidemment, en fonction de leurs problématiques et besoins). Dès lors, développer une formation « CityCraft » semblait être la suite logique du projet : passer de la recherche à la formation.

- Minecraft est-il un facilitateur de dialogue intergénérationnel ?

-Probablement, à condition de mettre des choses en place pour le développer. À titre d’exemple, LiègeCraft a montré qu’il était difficile de favoriser un tel dialogue sans réaliser un certain travail d’organisation : chercher des publics mixtes, les faire collaborer, les initier à certaines pratiques (étant donné que nous sommes tous inégaux face à la compréhension du numérique) et leur permettre de mobiliser leurs compétences pour créer ensemble. L’une des grandes conclusions de notre projet, c’est que le médiateur doit jouer un rôle dans ce dialogue : le dispositif brut ne suffit pas. Dès lors, nous pourrions résumer la chose ainsi : en tant qu’activité ludique, Minecraft (comme tout autre jeu multijoueur) peut être un merveilleux prisme de dialogue intergénérationnel, mais dans un processus de médiation, d’éducation, etc., le médiateur/animateur/enseignant a un rôle à jouer pour faciliter ce dialogue. Il en va, d’ailleurs, de même pour la question de l’interculturalité.

Interview (par e-mail) : Thierry Moutoy (février 2021)