Arts, culture et confinement (30) : Radio Campus (Bruxelles)
- PointCulture : Pouvez-vous nous dire concrètement en quoi la pandémie de coronavirus a touché les activités de Radio Campus ? Quelles mesures avez-vous dû prendre ? Comment la petite centaine d’animatrices et animateurs bénévoles de la radio ont réagi ? Le suivi des émissions a-t-il changé entre l’immédiat après-confinement et aujourd’hui ?
- Jean-François Henrion (Radio Campus) : Depuis le vendredi 13 mars 2020, et suivant les directives de l’Université Libre de Bruxelles qui héberge les locaux de Radio Campus, la plupart des animatrices et animateurs de la radio font leurs émissions depuis leur domicile. Cela demande un peu d’organisation : du matériel de prise de son peu utilisé ces dernières années a été ressorti des armoires et les bénévoles de la radio se sont replongés dans l’utilisation du logiciel de montage libre et gratuit Audacity, qui est très populaire au sein de notre équipe car il est très facile à utiliser. Pour programmer des nouveautés musicales, il a fallu recourir aux possibilités de découvrir et d’écouter des sorties récentes en ligne via des sites comme Bandcamp, SoundCloud - voire Spotify.
La centaine de bénévoles de la radio a trouvé qu’il était important de maintenir une présence à l’antenne : après deux semaines de confinement, 90% des émissions étaient assurées. Les émissions nécessitant un certain nombre de participants en studio sont présentes, mais sous forme de rediffusions. — Jean-François Henrion (Radio Campus)
- Vous veniez de sortir des suites d’une attaque informatique qui, début mars, avait touché tout le système informatique de l’Université Libre de Bruxelles… Le réseau a été rétabli juste à temps, non ? Même si vous êtes aussi une radio hertzienne, les accès à distance aux serveurs de la radio sont sans doute une partie de la solution au confinement dans votre cas ?
- En effet, la panne informatique a été résolue avant la période de confinement, ce qui est une chance. L’accès au serveur de la radio permet aux animatrices et animateurs de programmer leur émission depuis leur domicile, s’ils ont la chance d’avoir une bonne connexion au réseau.
- En même temps, à une époque où quiconque – ou presque – peut lancer une webradio sur Internet depuis chez lui, le fait d’émettre depuis un studio partagé où plusieurs personnes peuvent se rassembler et échanger autour d’une table, où des animateurs d’émissions très différentes se croisent lors du passage d’antenne, fait aussi partie de vos choix… À quel point tout cela vous manque-t-il ?
Cette ambiance collective nous manque bien sûr : le passage d’antenne d’une émission à une autre est l’occasion de rencontrer et d’échanger avec des personnes n’ayant pas du tout les mêmes centres d’intérêt. Pour ce qui est des émissions à caractère culturel, il était aussi très agréable de recevoir des invités (musiciens, acteurs, cinéastes, programmateurs, etc.) en direct autour de la table du studio, cela donne une tout autre ambiance à la rencontre qu’un entretien téléphonique. — Jean-François Henrion
Les émissions pendant lesquelles des chroniqueurs échangent autour d’une production artistique (un film ou une bande dessinée) et peuvent répondre aux arguments des uns et des autres ne sont malheureusement plus envisageables en ce moment.
- Jusqu’aux années 1950-1960, avant l’avènement du règne de la télévision, la radio aurait été la source d’information la plus efficace et la plus moderne dans une crise comme celle-ci. Aujourd’hui, c’est Internet qui triomphe, qui semble relier les gens entre eux, leur permettre de supporter l’isolement. Mais ne pensez-pas que cette hégémonie de la vie connectée (avec aussi ses travers d’addiction, de fake news, de conspirationnisme, de vulgarité, etc.) crée un appel pour certains vers un médium qui date peut-être d’une autre époque mais qui s’avère plus humain, plus généreux ?
- C’est possible…
Quand on examine les retours que nous avons de nos auditrices et auditeurs, il semble qu’ils apprécient le fait que nous proposions un contenu différent de ce qui est proposé par d’autres radios, mais aussi que nous avons possibilité d’aborder des thèmes sur la longueur (des interviews de 40 minutes, de longs morceaux de musique, la diffusion de documentaires sonores allant au fond d’un sujet). Cette densité du contenu est appréciée en regard de la brièveté et de la rapidité de ce que l’on peut trouver ailleurs, en ligne par exemple. — Jean-François Henrion
- Certaines franges de la population (sans domicile fixe, personnes âgées, personnes seules, etc.) vivent la crise actuelle de manière encore plus aiguë. Avez-vous pris vous-même, entendu parler ou relayé sur les ondes ou vos réseaux des initiatives pour venir en aide à ces groupes fragiles de la société ?
- En effet, nous avons à plusieurs reprises relayé des appels venant d’organisations ou de citoyens qui veulent venir en aide aux personnes fragilisées, qui sont davantage touchées par cette crise.
- Au-delà de ses côtés handicapants ou inquiétants, pensez-vous que cette période de confinement forcé peut aussi déboucher dans votre cas sur des éléments positifs, par ex. dégager du temps pour prendre du recul, pour régler des chantiers en attente depuis très longtemps… ?
- Cette période permet de repenser à la manière dont nous faisons de la radio et nous pousse à être créatifs. Nous avons redécouvert la possibilité de faire des interviews par téléphone et avons approfondi notre connaissance des outils de discussion audio en ligne. Cette crise met en lumière notre dépendance à l’outil informatique et montre tous les aspects de ce domaine où des améliorations sont envisageables au sein de notre association.
Le confinement a même eu une influence sur le contenu de nos émissions. — Jean-François Henrion
En période normale, nos trois agendas culturels quotidiens abordent les concerts, les représentations théâtrales et les projections de films qui ont lieu à Bruxelles et aux alentours. Cette vie culturelle étant réduite à néant, nos animatrices et animateurs se sont beaucoup plus intéressés au domaine de la littérature en interviewant des auteurs par téléphone ou en proposant des lectures de textes.
Nous avons aussi beaucoup plus fait appel aux auditrices et auditeurs, ce qui était peu pratiqué auparavant et on a même vu ressurgir du passé la pratique de la dédicace de morceaux de musique, qui était très populaire dans les radios locales des débuts de la FM dans les années 1980.
- Au-delà de ses côtés les plus sombres et inquiétants, pensez-vous que cette période peut aussi déboucher sur des éléments positifs, par ex. dégager du temps pour prendre du recul ? Pensez-vous qu’il est possible que la société en sorte « comme si de rien n’était », par un retour « à la normale », ou y aura-t-il nécessairement un avant et un après Covid-19 ?
- Ceci dépasse le cadre de la radio mais il est à espérer que des leçons soient tirées de cette crise, notamment au sujet de nos habitudes de consommation et des priorités qui sont établies par le monde politique, mais aussi par la population dans son ensemble.
> site Radio Campus (avec, entre autres, le streaming live)
Entretien réalisé (par e-mail) par Philippe Delvosalle, avril 2020
photo de bannière : David Mennessier
Cet article fait partie du dossier Arts, culture et confinement | Interviews.
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