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Critique

« Up We Soar » : un film d’animation de Yan Ma

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Chine, animation, répression, communisme, festival, vélo, Anima, bouddhisme, cinéma d'animation

publié le par Yannick Hustache

Ce (quasi) documentaire d’animation raconte une histoire de persécution et de résistance passive dans la Chine moderne. Mais c’est avant tout une histoire d’amour indéfectible et touchante entre une mère et sa fille que la vie a séparées mais pas brisées. Une leçon d’espoir, de courage et de fidélité à ses principes sertie dans un écrin animé de toute beauté.

Sommaire

Répression

Dès son commentaire off, qui replace le récit dans son contexte historique – nous sommes en Chine communiste à la fin du siècle dernier – et l’apparition, dès les premières minutes, de séquences filmées où les deux personnages au cœur de l’histoire, la mère et la fille, joignent leurs propres témoignages réalisés à postériori, le spectateur sait d’entrée qu’Up We Soar est une tragédie vécue.

1999, Fuyao a 7 ans et est l’ enfant unique d’une famille apparemment sans histoire. Le père travaille comme journaliste à la télévision et la maman exerce le métier d’enseignante. Mais c’est aussi l’année où le régime communiste entame la répression du mouvement Falun Gong (ou Falun Dafa pour grande loi de la roue de la puissance), un courant spirituel d’inspiration bouddhiste et taoïste devenu hors-la loi, ses écrits frappés d'interdit, et ses adeptes pourchassés et arrêtés. Son père est condamné aux travaux forcés dans un camp de l’arrière-pays (on ne le reverra plus, malgré de vagues promesses de libération) et la mère se voit assignée à résidence dans une dépendance de l’école, assortie d’une interdiction d’exercer. Le duo sombre dans la pauvreté et devient comme invisible par leur entourage.

Loin de s’apaiser, la répression gagne en intensité et la mère décide de passer à la clandestinité. Elle finira quelques mois plus tard par être arrêtée dans une gare intérieure chinoise après une ultime action d’éclat (distribution publique de CD/DVD/tracts pro Falun Gong) qui la mène tout droit en prison.

Condamnée (au début) à sept années d’emprisonnement, sans procès, (mais elle en fera bien plus), elle subit violences physiques, torture, châtiments (comme d’être menottée des jours entiers à un lit de planches) et brimades, demeure cloitrée dans des conditions d’hygiène et de nutrition atroces, sans compter que, privilège qui échoit à la dernière arrivée, elle devient le bouc émissaire et défouloir de ses compagnes de cellule.

Résistances passives

Sans nouvelle de maman, Fuyao doit grandir seule au sein d’un environnement quotidien qui ne cesse de lui rappeler qu’elle est la fille indigne de « contre-révolutionnaires ». On se méfie d’elle, on surveille ses faits et gestes, on fouille dans ses affaires, ouvre son courrier, et personne dans l’école ne veut lier de liens d’amitié avec elle.

Pourtant, fidèle aux principes (entre autres) de non-violence, de recherche de paix intérieure et d’harmonie véhiculés par Falun Gong, la mère refuse de céder au désespoir et mène une sorte de résistance quotidienne, stoïque, passive et bienveillante, aux agressions tant verbales que physiques qui lui sont faites, et qui finissent à la longue par infléchir l’attitude de ses codétenues à son égard.

Pourtant, fidèle aux principes (entre autres) de non-violence, de recherche de paix intérieure et d’harmonie véhiculés par Falun Gong, la mère refuse de céder au désespoir et mène une sorte de résistance quotidienne, stoïque, passive et bienveillante, aux agressions tant verbales que physiques qui lui sont faites — Yannick Hustache

L’autre « clé » de cette résilience contagieuse est sa relation contre vents et marées nouée avec sa fille. Que les autorités restreignent les droits de visites de Fuyao ou limitent la fréquence des courriers (qui peuvent aussi être lus et censurés), ce lien épistolaire (dis)continu aidera la mère à faire face dans les épreuves, et la fille à grandir dans l’adversité et à devenir « quelqu’un de bien » ; des lettres, lues et relues, remplies de petits dessins à la marge ou hachurées et déchirées par la censure, mais qui les fortifieront toutes deux dans leurs convictions et leur permettra de tenir bon jusqu’à la libération de la mère.

À la suite de quoi, le duo obtiendra le droit de quitter le pays pour New York, USA où Fuyao travaille aujourd’hui, elle aussi, pour la télévision…

Prosélyte ?

D’une durée inférieure à l’heure, Up We Soar (littéralement « nous montons en flèche »), avec son triple procédé de narration (off, animation et témoignages), dont une partie animation proprement dite, absolument somptueuse, se laisse voir avec beaucoup de plaisir. Luminosité hivernale des images, sobriété des teintes, couleurs (beaucoup de dégradés de bleus, gris violets, bruns…) comme affadies ou assombries, décors, fluidité de la narration, parti-pris de dénoncer la violence d’État sans céder à la tentation du « tout montrer à l’image » (certaines tortures ou violences physiques sont représentées par de simples croquis) et quelques jolis détails qui valent l’arrêt sur image. Ainsi, l’un des changements au long cours au sein de la Chine moderne et concomitantes du passage de Fuyao de l’enfance à l’adolescence, est représenté dans ce vélo un peu rustique, qui a été, des décennies durant, l’unique moyen de transport individuel pour des millions de Chinois, et véhicule prisé par la jeune Fuyao. Il devait sa longue utilisation à la débrouillardise de ses propriétaires et à l’existence de ces petits métiers de réparateurs de rue… qui, à la fin de l’histoire, semblent bien avoir disparu du décor urbain de plus en plus terne malgré le développement des enseignes commerciales lumineuses.

Certains feront aussi l’analogie entre la manière dont le régime chinois a réprimé le mouvement Falun Gong et interdit ses écrits en 1999, et la façon dont il a procédé à des rétentions d’information et menaces sur des acteurs de terrain aux premiers temps de la crise du COVID-19 fin 2019, début 2020, avant de s’abriter derrière un discours d’efficacité factice.

Mais on pourra remarquer dans Up We Soar de forts accents prosélytes envers un mouvement d’inspiration philosophique et religieuse même si le film ne traite pas ses personnages comme des archétypes mais bien comme des personnages. Réalisé au « pays du grand rêve américain », il semble très imprégné de cette idée que seuls des individus animés d’une forte aspiration spirituelle peuvent changer le monde ou les sociétés les plus répressives (l’anecdote un poil « too much » du maton qui félicite la mère pour sa détermination au moment de sa sortie…), et non se modifier sous l’action de mouvements politiques ou sociétaux privilégiant l’action collective (non violente).

Up We Soar (2020) de MA Yan (Canada, États-Unis)

Langues : chinois, anglais

Durée : 50 min

> Le film au Festival Anima 2021

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