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Critique

UNITXT

publié le

Évoluant autour d’une série de concepts faisant appel au matériau informatique brut, aux nombres, à une vision de la « datasphère » déjà exploré dans Xerrox, un de ses opus précédents, ce nouvel album de Carsten Nicolai quitte le registre […]

Utilisant comme matériau de travail principal des fichiers informatiques de toutes sortes (Word, Excel, PowerPoint, j’en passe) transformé en fichiers sonores bruts, Nicolai recombine des éléments microscopiques autour d’une grille rythmique stricte, qui leur impose un cadre extrêmement rigide, composant un assemblage d’ordre et de chaos. Partant de ce matériel ingrat, tout en saturation numérique, image sonore d’un excès d’information, d’un trop-plein inintelligible, il élabore des pièces bourdonnantes d’activité mécanique, dont il tempère l’agitation frénétique par une réorganisation rigoureuse. Le résultat est robotique, épuré, et désoriente autant qu’il séduit. Nicolai s’applique au domptage de cette profusion de données redondantes, entrelacement confus de messages et d’instructions hermétiques, et lui superpose une structure inflexible. Il s’associe également au « poète sonore » Anne-James Chaton pour quelques morceaux, où celui-ci déclame des séries de nombres calculés les uns à partir de la section d’or, formule mathématique à forte connotation esthétique et philosophique, ou de jeu à contraintes, comme énoncer tous les nombres figurant sur les cartes (carte d’identité, carte de crédit, carte de banque, etc.) contenues dans le portefeuille de Nicolai. Le parallèle est clair entre cette autre surabondance d’information, ce bavardage superflu qui brouille toute communication et noie le message dans son propre excès de précision, et l’anarchie apparente des fichiers sonores du musicien, avant qu’ils ne soient soumis à la civilisation, par un dressage mathématique, logique et intraitable. De cette exubérance ne reste plus alors qu’une impression déroutante de vitesse, d’effervescence. Elle rappelle le tumulte hyperkinétique, le crépitement ultrarapide de machines aujourd’hui disparues :téléprompteurs, machines à écrire, imprimantes matricielles, dont le fracas désordonné annonçait autant qu’il le masquait la transmission d’informations. Affolement devant cette agitation futile, ce déséquilibre démesuré entre le message et sa mise en forme technologique, ou bien fascination devant l’étourdissante efficacité des machines dans la gestion de cette confusion, Carsten Nicolai ne se prononce pas. Par-delà cet aspect conceptuel, il fait de la traduction sonore de cette complexité interne, inhérente au moindre traitement de données aujourd’hui, une composition étonnamment musicale, fascinante dans son étrangeté et paradoxalement séduisante dans sa rigueur.

Benoit Deuxant

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