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Critique

C'MON

publié le

Deux des plus belles entrées en matière de 2011 ont partie liée avec la religion ou plutôt la foi vécue. D’un côté, le retour d’un pénitent de l’existence et fils prodigue du rock aux clameurs déchirantes; de l’autre, un groupe mormon ponctuant […]

 

 

 

 

Deux des plus belles entrées en matière de 2011 ont partie liée avec la religion ou plutôt la foi vécue. D’un côté, le retour d’un pénitent de l’existence et fils prodigue du rock aux clameurs déchirantes; de l’autre, un groupe mormon ponctuant tranquillement son long chemin de pureté sonore d’oasis d’une salutaire beauté.

jtpFort heureusement, de rock chrétien (beurk) censé ramener les âmes égarées au bercail christique, il n’en sera nullement question. Pas plus que de terriblement banales histoires de rédemption à l’américaine d’ailleurs.

De révélations ou de secrets « d’initié(s) » tout au plus. Il y a dix ans, en 2001 - un siècle en termes de cycles musicaux - paraissait en catimini The Texas-Jerusalem Crossroads, livré par Lift To Experience, un trio texan qui déployait un lyrisme extatique à la Jeff Buckley perfusé de guitares shoegaze s’écaillant sous un soleil de damné. Son chanteur, Josh T. Pearson est fils de pasteur et vocalise comme s’il faisait offrande au créateur (lui évoque la métaphore du sacrifice) mais ses paroles, qui bien que nourries à de nombreuses métaphores et images bibliques, touchent quelques part aux interrogations humaines fondamentales (qui, comment, pourquoi…) et ce même si la charge émotionnelle est élevée. Si forte que le groupe U.S., malgré un début de reconnaissance européenne (le disque n’a jamais vu le jour en Amérique) jette l’éponge. Ensuite, tel un personnage de roman d’errance, Pearson « disparaît » des sonars musicaux pour s’enterrer dans un bled texan, où il consume mariage et économies, collectionne les boulots temporaires, tout en gardant un talon de botte dans la profession (il tâte de la reprise country à l’Eglise). Puis c’est le temps de l’exil européen (il a vécu à Berlin puis Paris) qui petit à petit lui redonne le gout de l’écriture et lui indique le chemin des studios.

Sortant pile une décennie après l’unique album de Lift To Experience, Last of the Country Gentlemen renvoie le constat que Pearson ne semble pas moins tourmenté que par le passé et que la tristesse qui l’habite rougeoie plus que jamais d’une incandescence quasi tragique, que masque à peine un apparat de cow-boy pileux, décati, voire illuminé. Découpé en 7 parties (chiffre sacré) de longueurs inégales (de 2 à plus de 13 minutes!) qui à certains égards n’en font qu’une, ce long psaume psalmodié de près d’une heure s’est affranchi de l’amplification pour s’en tenir à une instrumentation minimale : voix, guitare acoustique et violon ! C’est du folk à jouer seul, dans la froideur d’un petit matin au beau milieu du désert, de la country de boudoir, épurée et sèche comme on annone son crédo alors qu’on est plus très sûrs de sa foi. C’est superbe d’introspection sourde et lumineuse, mais éreintant comme la plus sincère des élégies adressée à la mémoire d’un être cher, et farci d’histoires où la foi et l’amour sont tout à la fois les choses les plus désirables et inaccessibles qui soient. Une plaque ou le temps suspend son cours. Mais on veut bien donner dix ans avant de connaître la suite.

lowPlus prolifique est le trio Low centré autour du couple Mimi ParkerAlan Sparhawk et basé à Duluth, Minnesota. En 9 ou 10 albums depuis et tout autant d’EP (ce qui modifie le comptage ci-avant), ces mormons ont développé leur idiome, autrefois qualifié de « sadcore » (ou « slowcore ») par les maniaques des classements, suffisamment souple pour souffrir d’aménagements et d’emprunts nouveaux qui le mettront à l’abri de l’épuisement et de la redite, mais à chaque fois en rapport à une stricte ligne de conduite musicale qui rend les désertions des rangs de la fan base de Low plutôt rarissimes. Et cette triangulaire à 1 sommet variable – Low s’est toujours présenté en trio mais avec un troisième larron changeant – de tracer un sillon pop davantage prononcé que les Red House Painters ou encore Idaho auxquels ils étaient rapportés à leurs débuts. Une façon toute particulière de rejouer la country rock des vénérables anciens (Graham Parker, Neil Young…) au ralenti, à l’épure, et à température glaciale cold-wave, ou encore de rendre applicable les préceptes urbains du Velvet Underground (batterie minimale, violon torsadé, guitares plaintives) aux réalités des grandes plaines de l’Est américain. L’autre spécialité du groupe – la cover - en témoigne, il existe bel et bien  un tunnel ou un portail spatio-temporel d’accès direct entre Duluth et l’humide Angleterre !

Un rock ascète auréolé d’harmonies ascendantes presque candides qui s’autorisa quelques injections électroniques plutôt avenantes sur le précédant  Drums & Guns (2007) mais qui sont totalement absentes de ce C’Mon qui met fin à quatre années de silence. Entretemps, Alan Sparhawk aura fait paraître un essai solo, avorté d’une collaboration musicale avec une compagnie théâtrale et intégré un projet plus communément rock, Retribution Gospel Choir… En première écoute C’Mon semble adopter la posture de la courbe rentrante du retour aux origines. Mais rapidement c’est un sentiment de (ré)confort relatif qui s’affirme, de façon imperceptible telle une expérience intérieure partagée mais non encore formulée. Le même genre de sentiment diffus mais habillé de certitude qui naît à la fin de l’hiver alors que le froid règne en maître mais que les signes avant-coureurs apparaissent envers et contre tout. Leur stoïcisme épique, cette manière de chanter pour soi dans un espace invitant au chorus, leur solennité irradiante n’ont paru aussi proches d’une sérénité pleine et entière, jamais confondue avec le renoncement. Sparhawk vocalise comme s’il pouvait toucher la plénitude spirituelle du bout des doigts (le crescendo de « Nothing but Heart ») ou revivre en permanence l’extase d’un amour qui le dépasse et l’emporte (« Nightingale », qui console comme un titre de Spain), ou se laisse emporter dans les tourbillons d’une limpide mélodie à la fois mortifère et amoureuse (« You See Everything », chanté par Mimi). Parfois, un banjo lutte contre une guitare qui fait le gros dos (« Witches ») et des cordes zèbrent l’horizon de leur longues traines enveloppantes (« Especially Me »), mais on sait déjà depuis l’injonction clamée par son titre qu’il y des vocations auxquelles on ne se dérobe pas.

Yannick Hustache

 

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