YOU COULD HAVE IT SO MUCH BETTER
Le deuxième album du groupe basé à Glasgow poursuit un
objectif : obtenir un succès public massif. Pour cela, il mise sur
une musique rock hédoniste, à l'efficacité maximalisée
par la production et le mixage. Ce qu'il est convenu d'appeler la grosse artillerie
est de sortie, et ce n'est pas tout à fait désagréable
car elle est au service d'une certaine vision.
Franz Ferdinand fomente
en effet une musique à la fois populaire et tranchante, voire altière.
Pas besoin d'être riche pour être snob, et pas besoin d'être
snob pour s'amuser, ces autoproclamés dandys de caniveaux repoussent
quelques barrières mentales ou sociales.
Le groupe prend soin de s'adresser à un public large. Il attire l'attention
des adolescents quand un de leurs clips ( Matinee, issu du premier
album, sans titre) prend pour cadre une salle de classe ou quand le livret du
dernier album contient les textes des chansons écrits dans un cahier
d'écolier. Il séduit un public plus âgé ou érudit
quand sa musique évoque le panache de groupes du début des années
80 comme The
Monochrome Set ou Orange
Juice. Il utilise une autre arme de séduction encore quand il cite
une photographie, datant de 1925, du Russe Alexandre Rodchenko sur la pochette
du dernier album ou s'inspire de l'esthétique Bauhaus pour l'identité
visuelle du premier.
You
Could Have It So Much Better débute par six titres tonitruants
qui s'enchaînent sans répit. Parmi eux, le premier simple Do
You Want To - remarquons au passage les adresses directes à l'auditeur
- reprend la formule de Take
Me Out , figurant sur le premier album : à une introduction
nerveuse, succède une seconde partie au riff laidback et au refrain scandé.
Une ballade au piano peu concluante ( Eleanor Put Your Boots On ) plus
tard, le groupe aligne à nouveau quatre titres enlevés, dont le
particulièrement incisif You Could Have It So Much Better qui
donne son titre à l'album, avant de conclure par une nouvelle ballade
et un dernier titre Outsiders, à la rythmique presque disco,
qui indique une ligne de fuite, un futur possible.
Cette pop saignante pour s'encanailler sérieusement est délivrée
avec une assurance, notamment vocale, qui fait la véritable différence.
Là où la jeune garde se présente fébrile aux portes
du succès, les Franz Ferdinand manient la jubilation en experts. Malgré
leur discours juvénile, les quatre membres du groupe ont la trentaine
largement entamée et de l'expérience : Kamerakino,
un groupe allemand pop-rock anodin pour le guitariste Nick McCarthy, The
Karelia, rock de bastringue pour le chanteur Alex
Kapranos, qui officiait également dans un groupe de ska de Glasgow :
les Amphetameanies. L'échec, tant artistique que public, de ces projets
révèle a contrario la quantité de travail et d'intelligence
qui a été injectée dans Franz Ferdinand, dont la carrière
a pris son envol suivant un plan bien calculé.
Le premier album de Franz Ferdinand est en effet sorti en janvier 2004, précédé
d'une réputation élogieuse dans les milieux spécialisés
et soutenu par une machine promotionnelle parfaitement en place, d'autant plus
remarquable que c'est un label indépendant anglais, Domino,
qui a signé le groupe : les musiciens donnent des interviews à
tous les médias jusqu'aux plus petits fanzines; l'album, avec sa pochette
très visuelle inspirée du mouvement Bauhaus, se trouve bien placé
chez les disquaires à un prix attractif; les clips se retrouvent en rotation
sur les chaînes télévisées musicales. Le potentiel
de l'album est exploité au maximum puisque cinq simples en sont extraits.
Le succès programmé se matérialise et Franz Ferdinand se
produit en tête d'affiche lors des festivals d'été en 2005,
peu de temps avant la sortie de ce deuxième album, dont tous les médias
généralistes ont proclamé le statut d'événement
et dont la substance est en symbiose avec les objectifs.
Deux albums :
- Franz Ferdinand : « Franz Ferdinand » (Domino,
Grande-Bretagne, 2004) –
- Franz Ferdinand : « You Could Have It So Much Better »
(Domino, Grande-Bretagne, 2005) –
Deux anciens groupes des musiciens de Franz Ferdinand :
- Kamerakino : « Paradiso » (Gomma, Allemagne, 2003)
–
- The Karelia : « Divorce At High Noon »
(Roadrunner, Pays-Bas, 1997) –
Deux influences majeures du groupe :
- The Monochrome Set : « Compendium 78-95 » (Cherry
Red, Grande-Bretagne, 1996) –
- Orange Juice : « You Can't Hide Your Love Forever »
(Polydor, Grande-Bretagne, 1982) –
Un autre exemple d'efficacité britannique actuelle :
- Kaiser Chiefs : « Employment » (B-Unique, Grande-Bretagne, 2005) –
Une première approche légère de l'univers visuel :
- « Chemins d'une avant-garde. L'avant-garde russe 1905-1925 » : Jean-Paul FARGIER (Arte Video, coul., 1994, 26') -
JGM