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Critique

VISITE DE LA FANFARE (LA)

publié le

Un jour, il n’y a pas si longtemps, arriva en Israël une fanfare de la police égyptienne. Peu s’en souviennent car ce n’était pas un événement très important. C’est sur ce ton léger et détaché que s’ouvre le premier long-métrage d’Eran Kolirin. Ces […]

 

Un jour, il n’y a pas si longtemps, arriva en Israël une fanfare de la police égyptienne. Peu s’en souviennent car ce n’était pas un événement très important. C’est sur ce ton léger et détaché que s’ouvre le premier long-métrage d’Eran Kolirin. Ces deux phrases simples apparaissent en sous-titres en guise d’introduction, deux phrases qui contiennent en germes la trame narrative du film. S’installent d’emblée une distance entre l’histoire et le spectateur, un regard distancié porté par le réalisateur sur son récit. Cette formulation sur le modèle de «Il était une fois…» renforce la dimension fictionnelle du récit, lui conférant des allures de fable. Elle concentre en elle le paradoxe dont la portée du film tire sa force. Le sujet est présenté comme anodin. Quoi de plus simple, en effet, que la rencontre entre quelques êtres humains telle qu’elle est montrée ici ? Mais lorsque ces relations se tissent entre Arabes et Israéliens, celles-ci, au regard de l’actualité (il n’y a pas si longtemps) prennent une autre dimension. Un événement peu important ? Oui, puisque ce dont on parle partout dans le monde, c’est du conflit armé qui déchire ces deux peuples, des discours officiels et politiques. En annonçant son sujet de la sorte, par une litote, Eran Kolirin lui donne paradoxalement de l’importance, plaçant ainsi la dimension humaine au premier plan.La fanfare de cérémonie d’Alexandrie arrive donc en Israël pour inaugurer un centre culturel arabe. Son chef, le colonel Toufik Zackaria prend cette mission très au sérieux. Soucieux de représenter dignement son pays, mais coincé dans des principes rigides, il enferme ses musiciens dans un cadre trop strict. Cette rigidité transparaît nettement dans la mise en scène et les cadrages de la première scène. Les membres de la fanfare apparaissent dans un décor géométrique en béton, vêtus d’élégants uniformes. Le contraste entre cette rigueur et le contexte crée un humour ironique et décalé absolument délicieux. En effet, personne ne vient les accueillir à l’aéroport, l’ambassade égyptienne les a oubliés. Mettant un point d’honneur à se débrouiller seuls, ils débarquent par erreur dans un bled perdu au milieu de nulle part. C’est là, en ce lieu désertique, au-delà de l’humour second degré, que va émerger l’essentiel. Car en fin de compte, les apparences et les cérémonies officielles importent peu. La quintessence, c’est ce qui se cache derrière l’uniforme, le vécu, les émotions qui habitent les personnages jamais réduits à des caricatures. C’est la rencontre avec Dina, patronne de l’unique bar du village, une femme extravertie et directe, au tempérament libre et généreux, indifférente au qu’en dira-t-on, qui fera tomber les barrières. Elle est la seule personne à leur rendre véritablement hommage (« Ici, à Bet Hatikva, nous serions très honorés d’accueillir chez nous la Fanfare de la police d’Alexandrie… »).
La substance du film est mise en évidence par une forme d’expression minimaliste qui caractérise la trame narrative, les décors, la bande-son et surtout les dialogues, ceci sans basculer dans l’ennui, l’opacité ou l’hermétisme.

Peu d’événements nourrissent ce scénario ténu, étalé sur à peine deux journées. Il évolue dans un cadre simple: un village à peine peuplé au bord d’une route peu fréquentée, bordée de poteaux électriques en guise d’arbres. Le décor est à ce point dépouillé que le réalisateur amène ses personnages à le réinventer, par exemple lors de la scène de dialogue nocturne entre Toufik et Dina. Le cinéaste se penche davantage sur ses personnages et leurs émotions que sur leurs actes. Pour ce faire, il privilégie les plans rapprochés, à l’affût d’un regard ou d’une expression de visage. Ces zooms sur les mimiques ou gestes des acteurs, donnent au spectateur l’occasion d’observer, entre autres, comment la sensibilité de Toufik et sa fragilité se dévoilent au fil de la narration au contact de Dina, de voir progressivement son sourire se dérider et ses traits s’assouplir.

Ensuite, il réduit les dialogues à de simples gestes, joue avec de longs silences expressifs et intenses. Ici, le silence crée l’intimité. Il s’en dégage tantôt une grande sensualité, tantôt la tendresse ou encore l’amertume. Si cette sorte de «cinéma muet» contribue à donner de la profondeur aux relations humaines, il génère aussi des scènes hilarantes à l’humour burlesque (comme la leçon de drague à la patinoire), lorsque le silence est associé à des gestes répétitifs ainsi qu’à des mimes. La bande-son se résume souvent aux bruits ambiants et confère à quelques scènes (particulièrement à la première) un humour à la Tati. Lorsque la musique intervient, elle fait le plus souvent partie intégrante de la fiction. Il s’agit, par exemple, d’une chanson qui passe dans un bar restaurant ou de la musique diffusée à la patinoire. Dans plusieurs séquences, elle est produite par les personnages et revêt alors une dimension humaine, comme lorsque l’hautboïste joue et partage un extrait de son concerto ou que Khaled, le violoniste, drague en fredonnant du Chet Baker… Naturelle et authentique, elle participe alors à jeter des ponts entre les personnages, à créer du lien.

Sur le plan purement visuel, la mise en scène et les cadrages se voient parsemés de touches esthétiques stylées, dont le plus bel exemple est sans doute le plan séquence qui montre Toufik et Dina marchant côte à côte dans la nuit silencieuse comme si l’un était l’ombre de l’autre, et que l’on pourrait commenter par cette citation : « Les âmes ne discutent pas, elles entrent en résonance » (Michaël Katzeff). Si beauté et poésie émanent de certains plans, la mise en scène soutient néanmoins le propos. Les scènes de trio avec Khaled, Toufik et Dina expriment visuellement la concurrence qui oppose les deux hommes.

Dans le fond, nous pourrions nous arrêter à une lecture du film au premier degré, à savoir une comédie fraîche, drôle et sensible, à la fois grave et légère, habitée de personnages de chair et de sang, croqués avec expressivité et magnifiquement interprétés. Néanmoins, nous sommes interpellés par le choix de ce réalisateur israélien de mettre en scène des Arabes et des Israéliens, ainsi que de les faire jouer par des Palestiniens et des Israéliens. En creusant, nous pourrions y voir une histoire idéalisée, sans guerre, empreinte d’une certaine naïveté et défendant des valeurs de paix, de solidarité et d’humanisme, comme si le réalisateur prenait le contre-pied de l’actualité politique en lui opposant un rêve. « La Visite de la fanfare » serait-elle un égarement, un intermède temporaire, comme si la paix ne pouvait être qu’illusoire ? À travers l’évolution du personnage de Toufik, Kolirin ne veut-il pas nous dire que la paix nécessite de recontacter notre humanité, dans l’ouverture et non pas en se braquant derrière des principes arrêtés, des croyances voire des idéologies extrémistes ?

Sylvie Bellocchi

 

 

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