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Critique

Ces liens maternels tissés au-delà du sang

Les enfants des autres - Photo 1©les films Velvet - George Lechaptois (1)(1).jpg

publié le par Sandrine Guilleaume

Poursuivons le cycle entamé en mai dernier sur la question de la maternité au cinéma ces dernières années. Jusque fin décembre, nous proposerons quatre articles qui l'abordent sous différents angles : aujourd'hui la maternité non-biologique.

Sommaire

La dernière Mostra de Venise a présenté une sélection de films décryptant la maternité, ses écueils, ses ivresses et ses obsessions. L’un d’eux, Les enfants des autres de Rebecca Zlotowski, déconstruit brillamment la figure de la belle-mère, invisible ou mégère. Point de départ d’une réflexion sur la maternité non-biologique, il sera ici mis en regard avec trois autres films français - La vraie famille, Diane a les épaules et Pupille - qui prennent chacun un chemin différent vers la maternité comme construction sociale.

Les enfants des autres : la belle-mère délivrée

Si le cinéma s’est largement emparé de la figure de la belle-mère, le stéréotype n’est jamais très loin. Elle est soit au second plan, personnage insignifiant uniquement destiné à ajouter du conflit scénaristique, elle est soit carrément méchante, et c’est la marâtre archétypale de Blanche-Neige ou de Cendrillon. Rares sont les films qui lui laissent une vraie place, déboulonnant cette symbolique de mal-aimée. Rebecca Zlotowski, avec Les enfants des autres, a cherché à pallier ce manque, ce vide abyssal de représentations, en lui donnant le premier rôle. Rachel (Virginie Efira) est cette femme de 40 ans qui, en rencontrant Ali (Roschdy Zem), va devenir la belle-mère de Leila, quatre ans et demi, et rapidement développer un attachement puissant pour l’enfant.

Comment trouver sa place dans une équation familiale complexe et déjà existante sans en être la pièce rapportée ? Comment vivre dans l’ombre de la « vraie » mère, la mère biologique, sans (trop) en souffrir ? Que deviennent ces liens avec l’enfant, peut-être éphémères, en cas de séparation ?

Les enfants des autres - Photo 4 ©les films Velvet - George Lechaptois.jpg

Plutôt que de traiter ces questions sur le mode hystérisé du conflit ou de l’hostilité, la réalisatrice prend le parti de la douceur et de la pudeur. Malgré son statut de « figurante », comme elle le dit à Ali, Rachel existe pleinement auprès de Leila et prend son nouveau rôle à cœur, mais sait s’effacer quand elle le juge nécessaire. Ce qui n’empêche pas la douleur. Mais chacun·e compose avec les frustrations, les manques, les petites humiliations qui font la quotidienneté d’une vie, et d’une famille recomposée.

"Je m’attache à elle. Je dois faire avec ses bouderies et ses humeurs sauf que moi, je resterai une figurante. [...] A la fin de la journée, c’est vous son père et sa mère. Pour toujours." — Rachel

Une autre révolution tient dans la relation apaisée entre Rachel et Alice, la mère de l’enfant, jouée par Chiara Mastroianni : s’instaure entre elles une distance juste plutôt que de la défiance, du respect plutôt que du mépris, de la bienveillance plutôt que de la concurrence. Une certaine idée de la sororité que Rebecca Zlotowski représente à l’écran pour s'affranchir de la sacro-sainte et prétendue rivalité entre les femmes.

Quand l’horloge biologique tourne

Derrière ces liens qui n’ont pas de nom - la « belle-maternité » -, se cache aussi la question de sa propre maternité puisque Rachel, héroïne sans enfant à un âge charnière, voit son désir d’être mère réveillé par sa proximité avec Leila. Le film s’autorise ici une réflexion profonde et inédite sur cette période si particulière dans la vie des femmes, celle de la fin de la fertilité. Et vient bousculer les lieux communs habituellement servis au cinéma, cette course éperdue de quadras sautant de rendez-vous gynéco en injections hormonales.

Ici, Rachel observe ce désir d’enfant, elle le sent au creux de son ventre, et elle sait que le compte-à-rebours est lancé : son gynécologue, interprété par le grand documentariste Frederick Wiseman, vieil homme chenu à la présence malicieuse, lui rappelle que désormais pour elle les mois comptent en années. La fameuse « horloge biologique » redoutée. La réalisatrice a cherché à en faire un récit différent né d’une injustice ontologique, ce qu’elle répète en interview : alors qu’à 40 ans tout est possible pour un homme, au même âge c’est déjà la fin d’un chapitre pour une femme. « On a tout le temps », dit Ali à Rachel qui sait que son temps à lui n’est pas le même que le sien à elle. Comment un couple vit-il ce décalage temporel ? S’en sort-il indemne ?

Les enfants des autres - Photo 3©Julian Torres(1).jpg

Maternité et transmission

Au-delà du désarroi que peut représenter ce moment d’impuissance et de vulnérabilité dans la vie d’une femme, le film prend aussi une autre route, qui affirme que les liens maternels peuvent se jouer ailleurs. Rachel, tout en s’interrogeant sur son désir d’enfant, se sent aussi « fière d’appartenir à la communauté des femmes qui n’en ont pas ». Et réaffirme bien haut, puisqu’il le faut, qu’on est bien une femme complète même si on n’est pas mère. Mais si l’héroïne n’a pas un besoin irrépressible de maternité, elle envie cette immense expérience collective à laquelle elle reste étrangère. Surtout, elle est taraudée par la question de la transmission : quelle trace peut-on laisser, au-delà de la parentalité ? Qui gardera vivace notre empreinte en ce monde ? Des questionnements existentiels qui concernent tout aussi bien les femmes que les hommes. Ainsi, Rebecca Zlotowski a choisi de décorréler la maternité du féminin, du purement biologique, en faisant un pas de côté jouissif. En ajoutant de la richesse et de la complexité aux questions les plus intimes.

Pour Rachel, prof de français, la transmission passera bien sûr par ses élèves, dont l’un deux, en difficulté scolaire, est son protégé. Et c’est encore la question de la trace qu’elle soulève en salle des profs, lorsque ses collègues évoquent l’idée de renvoyer le garçon : « Je ne peux pas retirer ma main sinon ça n’a pas de sens. Sinon on est quoi ? De passage ? ».

Les enfants des autres, c’est donc aussi l’élève, le neveu, la belle-fille dans une infinité de possibles. La filiation ne se limite pas aux liens du sang, les scénarios familiaux sont à réinventer, clame le film. Il est temps de sublimer et d’imaginer d’autres trajectoires de vie. Finalement, d’un récit intime, autobiographique, ce film solaire parvient à embrasser l’universel. De la figure de la belle-mère à la femme sans enfant, Rebecca Zlotowski invente de nouvelles représentations, plus fines, plus nuancées, et dynamite au passage l’injonction de la maternité.

La vraie famille : désapprendre à être mère

Ouvrir de nouvelles perspectives, c’est aussi la volonté de Fabien Gorgeart, jeune réalisateur français, qui avec La vraie famille, son deuxième film sorti au début de l’année, étreint la question de la cellule familiale sous un angle nouveau. Le mélodrame s’immisce dans une famille d’accueil où Simon, six ans, est placé depuis ses 18 mois, mais voit petit à petit son père biologique (Félix Moati) revenir dans le paysage et demander son retour chez lui.

On suit ces évolutions quasi entièrement à travers le regard d’Anna, sa mère de substitution (Mélanie Thierry), qui envisage mal la séparation. Un amour presque « sur-maternel », comme le nomme le réalisateur, qui la lie à l’enfant l’empêche au bout du compte de faire le travail d’assistante familiale qu’on attend d’elle. Comment Anna peut-elle concilier le fait d’être une mère pour Simon et en même temps garder la juste distance que prévoit le cadre de l’accueil à l’enfance et de ses institutions désincarnées ? « Aimez cet enfant, mais ne l’aimez pas trop », lui dit la représentante de l’Aide sociale à l’enfance. L’équation est tout bonnement insensée. Une scène, particulièrement, illustre l’impossibilité dans laquelle se trouve Anna : à la demande du père de Simon, elle doit lui demander de ne plus l’appeler « maman », insupportable prescription pour le petit comme pour elle.

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Le film prend ensuite des allures de thriller qui voit Anna l’impulsive perdre pied. Elle et son mari (Lyes Salem), qui joue le rôle de garde-fou, mais aussi la famille entière, vibrent alors au rythme des décisions de l’institution, d’anniversaires ratés en week-ends découpés, jusqu’aux vacances d’hiver où tout bascule. L’attachement trop grand d’Anna pour Simon devient alors faute professionnelle. Comment désapprendre à être mère quand on aime un enfant comme s’il était le sien, d’un amour fusionnel et viscéral ? Oui, les liens du cœur peuvent être aussi forts que ceux du sang, nous dit ce film bouleversant.

La vraie famille, finalement, n’existe pas : c’est une structure en constante mutation. Comme Rebecca Zlotowski, Fabien Gorgeart démontre dans ce film qui touche à l’autobiographie qu’il est de multiples façons de faire famille.

Diane a les épaules : la mère porteuse n’est pas une mère

Le réalisateur creuse son sillon depuis Diane a les épaules, son premier long métrage sorti en 2017, qui abordait déjà la question de la filiation, cette fois à travers une expérience de GPA puisque Diane (Clotilde Hesme) porte l'enfant de ses amis gays. Comme Anna dans La vraie famille, Diane est partagée entre son rôle, ici de mère porteuse, et la charge émotionnelle potentielle qu’il implique.

« Être enceinte et avoir un enfant, ça n’a rien à voir » — Diane

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Fabien Gorgeart a l’intelligence de traiter la GPA comme un non-sujet, plus intéressé par les questionnements qui gravitent autour des nouvelles formes de parentalités : qu’est-ce qui fait de nous des parents ? Comment distinguer la grossesse du désir d’enfant ? Le film y répond par le burlesque incarné tout entier par le corps de pantin dégingandé de Clotilde Hesme. Diane ne veut pas d’enfant et ne se considère à aucun moment comme la mère du bébé qui grandit dans son ventre. « Être enceinte et avoir un enfant, ça n’a rien à voir », dit son personnage. Ce qui ne l’empêche pas de chavirer, un peu, avec délicatesse, une fois l’enfant mis au monde. La maternité en tant que construction sociale est bel et bien, si on en doutait, au cœur de cette comédie douce-amère originale et terriblement contemporaine.

Pupille : l’adoption au cœur d’un entrelacs de filiation

Belle-maternité, familles d’accueil, mères porteuses... Il est un autre thème dont le cinéma français s’est saisi avec un peu plus d’empressement, semble-t-il : l’adoption. Notamment avec Pupille, deuxième long métrage de Jeanne Herry, qui raconte l’arrivée au monde de Théo, né sous X, et son parcours jusqu’à une famille d’adoption, en même temps qu’il raconte le long chemin d’Alice, 41 ans (Elodie Bouchez), en attente d’un enfant à adopter depuis 8 ans.

Le film semble d’abord hésiter entre documentaire et fiction tant les strates médicales et sociales du processus d’adoption sont décrites avec justesse et réalisme. Mais l’incarnation prégnante des personnages suffit à faire pleinement exister le récit fictionnel. A la jeune femme qui ne souhaite pas garder l’enfant qu’elle a mis au monde succèdent assistante sociale (Sandrine Kiberlain), assistant familial (Gilles Lellouche), coordinatrice des services sociaux (Miou-Miou), et finalement mère adoptante, sans oublier les autres maillons de la chaîne, sage-femmes, pédiatre, service d’adoption. Tous et toutes prennent soin de l’enfant pendant deux mois - le temps légal de rétractation dont dispose la mère biologique -, impressionnante architecture protocolaire qui garantit au bébé un départ dans la vie le moins bousculé possible.

Bien sûr c’est la maternité d’Alice qui est en ligne de mire, mais Jeanne Herry suggère aussi qu’il existe un entrelacs de filiation au sein de ces structures d’accueil. Comme Anna, comme Diane, Jean, l’assistant familial de Pupille, voit la même dichotomie entre son rôle social auprès de l’enfant et l’attachement profond qu’il ressent pour lui... même si ça reste « son travail ».

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Ces quatre films, en interrogeant le lien filial et ses formes de transmission, ainsi que le rôle du biologique dans la maternité - ou plus globalement de la parentalité -, permettent non seulement d'appréhender la famille comme une structure mouvante (ce qui n’est pas rien !), mais surtout de mettre des mots et des images sur des trajectoires de vie nouvelles. Des représentations salutaires pour déconstruire un peu plus le fait d’être mère.

Crédits images et vidéo : Youtube, Ad Vitam, Le Pacte, Unifrance, Cinéart

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