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Portrait

Interview d'Alice Audouin, fondatrice du projet Maskbook

Alice Andouin - Art of Change - Maskbooku

Alice Audouin

« En Chine, nous n’avons pas Facebook, mais comme nous portons tous des masques contre la pollution, si nous avions Facebook cela devrait s’appeler Maskbook. » (Wen Fang)

- Pourriez-vous présenter le projet Maskbook en quelques lignes ?

Initié en 2014 par Art of Change 21 en collaboration avec des artistes, des jeunes et des entrepreneurs sociaux, le projet Maskbook propose une action internationale, participative et créative sur le lien santé-pollution-réchauffement climatique, qui utilise le masque comme symbole. Maskbook renverse l’image potentiellement anxiogène du masque pour en faire un moyen d’expression des richesses créatives et des solutions écologiques de chacun.

Maskbook a été conçue à l’occasion de la COP21 (Conférence internationale pour le Climat, Paris, décembre 2015), lors du « Conclave des 21 » qui réunissant vingt-et-un artistes, entrepreneurs et jeunes engagés originaires de douze pays à la Gaité lyrique. Parmi eux, l’artiste et photographe chinoise Wen Fang, est à l’origine du nom, né de son humour : « en Chine, nous n’avons pas Facebook, mais comme nous portons tous des masques contre la pollution, si nous avions Facebook cela devrait s’appeler Maskbook. ».

Maskbook comporte un dispositif d’action complet : des expositions, des ateliers, une application mobile et une galerie de portraits en ligne.

Plus de soixante ateliers ont déjà été organisés en France, en Chine, en Équateur, en Corée du Sud, au Kenya, au Maroc… – sur des thèmes relatifs au développement durable et aux « modes de vie durables ». La galerie de portraits en ligne comporte plus de 2500 photos.

Les objectifs du projet sont de mobiliser sur les enjeux du changement climatique à travers l’art et la culture, de créer une œuvre d’art unique, collaborative et mondiale, et d’offrir à tous un moyen d’agir et de promouvoir ses idées et solutions créatives et écologiques. 

Ce projet est mené grâce au soutien de l’ONU Environnement et de la Fondation Schneider Electric, que je souhaite vivement remercier.

- Que peut concrètement apporter l’art (ou la pratique artistique) au débat/combat lié au changement climatique et, de façon plus large, au processus de transition écologique ? Quelles seraient ses spécificités propres et les domaines du possible que celui-ci pourrait investiguer ?

L’art est un moyen indispensable à tout processus de changement de société. La transition écologique est une transition culturelle dans laquelle l'art joue un rôle d'accélérateur. La révolution humaniste de la Renaissance s'est faite avec et grâce à des artistes précurseurs, visionnaires, « passeurs » comme Léonard de Vinci…

Aujourd’hui le modus operandi est « l’agir ensemble ». L’artiste isolé perd de sa pertinence, le développement durable ravive le rôle de l’artiste dans la société en lien avec les autres parties prenantes, dans un principe de « sculpture collective » qui a pour objectif une transformation sociale.

Art of Change 21 permet aux artistes d’agir avec d’autres parties prenantes, en particulier les entrepreneurs sociaux et les jeunes eco-innovants. Pourquoi rassembler ces trois types de partenaires ? L'imagination et la vision des artistes, le sens de l'innovation et la volonté de transformation sociale des entrepreneurs sociaux et la volonté de la jeunesse de créer un autre futur, sont trois forces complémentaires, porteuses d’innovations et des transformations.

- Finalement, au travers de Maskbook et de ses milliers de petites mains qui confectionnent autant de masques individuels dans un but commun, c’est en quelque sorte l’image d’un réseau de la transition et de ses cercles qui imaginent, discutent, tâtonnent, proposent, mutualisent savoirs et connaissances, dans une perspective de changement sociétal global ?

Oui. Le développement durable redonne le pouvoir à chacun, selon la métaphore du colibri chère à Pierre Rabhi où chacun « fait sa part ». Maskbook donne ce pouvoir aux individus en les reconnectant à leur créativité et en appliquant les solutions de l’économie circulaire. La solution à la crise environnementale ne vient pas « d'en haut » mais de l’horizontalité du « faire ensemble ». Les approches collaboratives et collectives sont au cœur de la dynamique de la transition et la créativité de chacun est nécessaire pour créer le monde de demain. 

- L’initiative Maskbook est ouverte à toutes et tous. Auriez-vous néanmoins une quelconque « réserve » quant à la participation de certaines personnes à titre individuel ou en tant que représentant(e) d’une association, entreprise ou groupe divers ? Et dans l’affirmative, sur quels critères légitimeriez-vous votre refus ? Quelle serait pour vous la « ligne de déontologie » à ne pas franchir ?

Maskbook est un projet ouvert à tous les citoyens, mais tous ne franchissent pas le seuil de la galerie en ligne, qui est le cœur du dispositif. La barrière n’est pas de nature idéologique mais esthétique. Maskbook est une action citoyenne et une œuvre. Si la photographie est trop floue, mal éclairée, ou trop loin de la ligne artistique du projet, elle pourra être refusée. De même si le masque n’a pas la forme d’un masque anti-poussières ou anti-pollution et couvre le visage et les yeux. Ou encore si le message n’a rien à voir avec le sujet ou ne propose qu’un grand « coup de gueule » plutôt qu’une solution. Mais cela concerne moins de 10 % des cas. Dans l’ensemble tous ceux qui contribuent au projet adhèrent justement à cette alliance entre la dimension artistique et militante et ont à cœur d’apporter des solutions.

En ce qui concerne les organisations, elles ne sont à priori pas admises : seuls les noms ou pseudo d’individus sont intégrés, il n’y a pas de participants qui soient des personnes morales. Ce n’est pas le principe. Cependant, nous faisons quelques exceptions quand des organisations portent des solutions innovantes.

- Enfin, j’ai relevé cette phrase qualifiant/décrivant votre travail : « vendre le développement durable à ceux qui n’en veulent pas». Comment l’initiative Maskbook parviendrait-elle à toucher davantage les « frileux », les « attentistes » et autres « réticents » que toutes les associations/organismes actifs sur le terrain de la sensibilisation et de la promotion du développement durable?

Il est urgent de sortir l’environnement du « coin » dans lequel la société tend à vouloir le placer. Car un environnement sain, c’est tout simplement une condition de notre liberté, un socle de notre société qui ne doit pas devenir une simple variable, ce qui est le cas aujourd’hui.

L’actualité commence à renverser la tendance, je pense au succès mondial de la COP21 avec l’Accord de Paris, à l’actuel candidat socialiste aux élections présidentielles françaises qui place la transition écologique au cœur de son projet, ou à la médiatisation des pics de pollution qui ont touché la France ou la Pologne récemment. Mais tout cela ne va pas assez vite.

La connexion entre le réchauffement climatique, la pollution et la santé n’est pas encore acquise. Pourtant, l’équation est simple. La santé est déjà affectée par la pollution et le réchauffement climatique va accélérer cet impact. La santé est aussi directement touchée par le réchauffement climatique, par exemple en cas de canicule ou de migration de virus. C’est un cercle vicieux qui se met actuellement en place, avec des effets multiplicateurs nocifs. La lenteur de la prise de conscience des individus est le frein principal à la transition écologique, car les citoyens ont le pouvoir de changer la donne, par leur vote et leurs choix de modes de vie et de consommation.

Face à cela, les ONG environnementales traditionnelles sont souvent éloignées des approches transversales et pluridisciplinaires et ne possèdent pas le « logiciel » qui leur permet d'innover pour mobiliser non seulement des militants mais aussi tous les autres.

Pour toucher le plus grand nombre, la règle est simple : ne pas demander d’adhérer à une vision du monde « verte » mais permettre de l’expérimenter à partir d’une expérience positive – et, ainsi, apporter de l’optimisme. À son niveau, c’est ce que Maskbook réussit à faire.

Nous avons fait une étude sur un petit panel ayant participé à nos ateliers, un étudiant Samy Anoï, a mencé cette étude dans le cadre de son mémoire de Master en Communication interculturelle et ingénierie de projets.

Voici les réponses de 36 participants (dont 24 se situent dans la tranche d’âge 18-34 ans et 12 dans la tranche 35-64 ans).

Maskbook - enquete 1

Selon ces répondants (qui pouvaient choisir à la fois plusieurs types d’utilités), l’utilité principale de Maskbook est d’alimenter la réflexion et déclencher une prise de conscience, puis pour rendre sensible à l’environnement, de provoquer des changements de comportement en faveur de l'environnement, et enfin pour expérimenter des solutions.

Près de 86% d’entre eux affirment que Maskbook les a rendus davantage optimistes sur la capacité des citoyens à pouvoir résoudre la crise environnementale (31 personnes sur 36).

Près de 70% des répondants ont déclaré que Maskbook avait influencé leur comportement en faveur de l'environnement ou bien favorisé, d’une manière ou d’une autre, un « écogeste ». Cela représente 24 personnes sur 36.

Maskbook - enquete 2

Le domaine d’influence principal de Maskbook est celui relatif aux « déchets ». C’est le cas pour 19 des 24 personnes qui déclarent une influence sur leur comportement. Le second domaine d’influence se rapporte à l’énergie pour 7 des 24 répondants « influencés ». Le troisième est celui de l’alimentation pour 4 des 24 répondants « influencés ». 7 personnes ont également précisé d’autres domaines d’influence : la qualité de l’air et la pollution.

19 des 24 répondants « influencés » détaillent concètement cette influence : trier ses déchets, diminuer ses déchets, utiliser les transports en commun, etc.

J’ai près de 20 ans d’expérience dans le développement durable et je n’en suis pas à ma première action qui – avec succès – vise les « frileux ». Par exemple en 2007, j’avais écrit un roman qui s’appelait Ecolocash et qui visait la même population, en leur apportant un roman qui bouscule les stéréotypes avec humour.

 

Interview par e-mail : Yannick Hustache
février 2017



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