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Playlist

Mai 68 : documentaires, musiques, fictions

Maggio 1968 - (c) Renato Guttuso
De morceaux yéyé... anti-yéyé en films documentaires, de chansons connues aux textes détournés et d'envolées et éructations (free) jazz en films de fictions et en œuvres de musique contemporaine, un retour sur Mai 68 en sons et en images. Avant, pendant, après. Cinq décennies de présence d'un des moments les plus intenses de l'histoire du XXe siècle dans les champs d'expressions musicaux, cinématographiques - et politiques.

Sommaire

1966-1967 – SIGNES AVANT-COURREURS

> Stella : « Cauchemar auto protestateur » (1966)

En 1963, alors seulement âgée de 13 ans la chanteuse française Stella (de son vrai nom, Stella Zelcer) jeta un regard critique et décalé inédit sur la scène yéyé pourtant en pleine effervescence. Avec l'aide de son oncle Maurice Chorenslup pour composer la musique elle écrivit des textes iconoclastes et acides qui marquèrent durablement les esprits. Une remise en cause salutaire de ce mouvement que l'on peut presque considérer comme une démarche punk dix ans avant l'heure ! Sauf que c'est bien en mode yéyé que la chanteuse détourna les codes d'un genre qu'elle considérait comme futile et un rien consternant. Un détournement qu'elle déclina avec maestria durant cinq années sur une quarantaine de chansons où elle aborda de nombreux thèmes liés à l'adolescence et au climat protestataire de l'époque. Par la suite, en 1972 Stella rejoignit Magma l'un des groupes les plus importants et influents de la scène française des années 1970,  dans lequel elle chanta aux côtés du leader, batteur, pianiste et chanteur Christian Vander dont elle partagea également la vie pendant de nombreuses années. [DM]



> Évariste : « Wo I Nee » (1967)

Évariste (de son vrai nom, Joël Sternheimer) est à la fois connu en tant que chanteur beatnik provocateur et contestataire mais aussi en tant que physicien et chercheur. De prime abord on pourrait le rapprocher d'un format pop yéyé façon Antoine ou Jacques Dutronc mais il en est en fait très éloigné car bien plus trash, décalé et révolté qu'eux. C'est en 1966 que le jeune chercheur en physique théorique à l'université de Princeton dans le New Jersey s'improvise chanteur et sort en France un premier EP de 4 titres qui rencontre un petit succès. La même année, il réalise un autre quatre titres un peu plus orchestré avec l'arrangeur Michel Colombier. Ces quelques coups d'essai auraient pu rester sans lendemain mais poussé par les évènements de mai 68, il publiera deux autres EP aux accents clairement plus politiques. Thème principal de ses nouveaux textes, le lien entre hiérarchie et l'aliénation – l’humour restant cette fois du côté des pochettes signées Wolinski.
Par la suite, Évariste écrira encore quelques articles politiques et scientifiques dans Charlie Hebdo et interprètera avec Dominique Grange les chansons du spectacle de Claude Confortès Je ne veux pas mourir idiot d'après Wolinski, toujours lui. Depuis, Évariste est redevenu Joël Sternheimer et a repris ses recherches scientifiques développant une théorie pour soigner les plantes par la musique. [DM]



> Chris Marker : À bientôt, j’espère (1968)

En mars 1967, dans une filiale du groupe Rhône-Poulenc, l’usine Rhodiacéta de Besançon a lieu la première occupation française d’usine depuis… 1936 ! À la demande de Pol Cèbe, le bibliothécaire de l’usine, Chris Marker vient filmer la « grande grève ». Quelques mois plus tard, juste avant les fêtes de Noël 1967, alors que le travail a repris depuis longtemps mais que les menaces de suppressions d’emploi pèsent toujours sur les ouvriers, le cinéaste revient discuter avec les syndicalistes et les ouvriers politisés, faire le bilan de leur mouvement. En flashback – images d’archives, photos, slogans peints sur les murs (« Bagne », « Ici commence l’esclavage », etc.) confrontées à la réflexion et à la parole de six mois plus tard – ils racontent avec franchise une expérience collective (« On mangeait quand on voulait, il y avait du cinéma tous les soirs : c’était du tonnerre ! »), l’éducation d’une nouvelle génération de militants, les revendications pas juste liées à l’emploi mais aussi à la culture et à la vie vécue (ou subie), etc.

Quelques mois plus tard, en avril 1968, quand Marker viendra présenter le film fini aux ouvriers, il se heurtera au scepticisme de quelques-uns d'entre eux par rapport à certains manquements du film. Il les poussera à faire leurs propres films sur leurs conditions d’existence et leurs rêves, vécus de l’intérieur. Ce seront les Groupes Medvedkine. – cf. plus bas.  [PD]



PRINTEMPS 1968 : DANS LE FEU DE L'ACTION

> Jacques Willemon : La Reprise du travail aux usines Wonder (1968)

C’est un petit film quasi anonyme (un film d’étudiants en cinéma), presque un plan-séquence de dix minutes à peine, tourné le 10 juin 1968 devant une usine de piles de Saint-Ouen, juste de l’autre côté du périph. Un attroupement, beaucoup d’hommes et cette femme qui reste là et qui crie. Elle dit qu’elle « rentrera pas », qu’elle « n’y foutra plus les pieds dans cette taule » et sa colère au milieu de la résignation qui l’entoure a l’air d’aimanter la caméra. Modeste par ses moyens et ses ambitions de départ (des étudiants de l’Idhec disposant de 12 m de pellicule), le court métrage se fera cependant remarquer – et pas par n’importe qui. Fin juillet 1968, quelques semaines plus tard, Jacques Rivette y voit « le seul film intéressant sur les événements [de Mai 68] », « parce que c’est un film terrifiant, qui fait mal ». Pour lui, ces dix minutes condensent toute la situation politique de Mai 68 en ce moment où l’utopie est rappelée à l’ordre, où l’on siffle la fin de la récré ou la rentrée à l’usine.

23 ans plus tard le groupe de rock Les Thugs utilisera la voix de la femme qui crie en intro d’un de ses morceaux puis le cinéaste Hervé Le Roux consacrera un film de trois heures (Reprise) à son enquête pour la retrouver. – cf. ci-dessous.  [PD]



> Peter Brötzmann Octet : Machine Gun (enr. mai 1968)

Peter Brötzmann octet - Machine Gun - en mai 1968En 1968 Peter Brötzmann réunit quelques membres des factions hollandaises, anglaises, belges et allemandes de la « Musique improvisée européenne ». Han Bennink, Willem Breuker, Fred Van Hove et Evan Parker sont de la fête. Ils sortent d’un concert tardif, sont épuisés et rempilent pour un enregistrement qui deviendra historique. Machine Gun joue du lien métaphorique entre le débit de la mitrailleuse et le continuum sonore produit par l’Octet. C’est une musique qui prend pour cible la normalisation, les systèmes fondés sur la hiérarchie et le nivellement par le bas qui s’annonce avec la création d’une Europe bureaucratisée. Quarante ans plus tard dans les bonus du film Soldier of the Road, Brötzmann évoque l’incompréhension que suscita à l’époque cette musique sans concession lors d’une rencontre ratée entre son orchestre et des militants gauchistes à l’Université Goethe à Francfort.  [HW]



> Mai 68 dans la musique contemporaine

Dans les années 1960, un mouvement que l’on dit postmoderne, veut renoncer aux grandes syntaxes et renvoie toute expression sonore ou musicale à sa propre justification. Il s’ensuit un art hétérogène, avec ses collages, ses citations, son éclectisme et qui, sans pour autant se revendiquer comme polyglotte, peut accueillir tous les langages. La création musicale s’évalue désormais à sa force de vie, ne parle plus comme un seul homme mais comme une foule d’individus, formant un chaos, au sens originel, où les affirmations sont en concurrence, en lutte, où simplement là pour faire entendre leurs voix. Tel fut mai 68, dans la rue comme sur la partition.

Qui s’étonnera de voir le théoricien du postmodernisme par excellence, Jean-François Lyotard, rédiger son texte « préambule à une charte » et le faire adopter vers la mi-juin 1968, au comité d'action de la faculté de Nanterre. Il y résume en une phrase l’abandon des grands systèmes contraignants : « Ce qui est visé et ébranlé par la critique et par la lutte, ce n'est pas seulement le régime politique mais le système social ; et pas seulement la propriété privée du capital, mais l’organisation de la vie toute entière, toutes les valeurs que les sociétés modernes, qu’elles soient de l’Ouest ou de l’Est, utilisent ou fabriquent, imposent ou insinuent, pour désamorcer le désir. »

Mais les événements de mai 68 ne font pas que refléter la dynamique de la démarche musicale postmoderne, ils lui en fournissent les matériaux qui, sous forme de collages ou de citations, créent un ancrage extra-musical, voire engagé, dans le monde: dans la Sinfonia, œuvre devenue exemplative du postmodernisme, composée par Luciano Berio en 1968, les slogans liés aux événements vont rejoindre les citations de Beckett, Joyce, Mahler , Beethoven,  Debussy, Schoenberg et bien d’autres dans une vision syncrétique mêlant les voix du monde et de l’histoire. Interrogeant tout autant la voix et ses multiples expressions dans leurs fondements, Maurice Ohana clôture son œuvre pour orchestre vocal intitulée Cris (1968) par le mouvement « slogans » dont certains, liés aux événements, proviennent du quartier Censier à Paris.  C’est par le collage surtout que Bernd Aloïs Zimmermann parvient dans le Requiem pour un jeune poète (1967-1969) à traverser les époques significatives de l’histoire récente ; le printemps 1968 n’y est plus parisien mais tchécoslovaque par la voix d’Alexander Dubček.

Si Luigi Nono reprend vingt slogans de mai 68 pour sa création électronique Non consumiamo Marx, « ne consommons pas Marx », titre emprunté aux graffitis parisiens, c’est – à l’inverse – pour mieux abolir la distance historique et rendre à la composition musicale son rôle actuel, participatif et fédérateur. Le rejoindront sur cette posture davantage engagée, mais toujours en questionnant par le fond le langage musical, Helmut Lachenmann et François Bayle, le premier avec Air (1968-1969) pour percussion solo et grand orchestre, dont les rapports de forces s’inspirent des révoltes de mai 68 et le second avec « Solitioude » (1969), repris au premier chapitre de L’Expérience acoustique (1970-1972), qui mêle l’atmosphère de mai 68 à la guitare de David Allen.  [JL]







1969-2015 – SOUBRESAUTS ULTÉRIEURS

> Besançon / Sochaux : les Groupes Medvedkine (1968-1973)

Treize mois après la « grande grève » de la Rhodiacieta, un soir d’avril 1968, Chris Marker vient projeter A bientôt j’espère (cf. ci-dessus) à ceux dont il entendait porter la parole. Débat d’après film (miraculeusement enregistré par Antoine Bonfanti, pour le « court métrage sans images » La Charnière). Un ouvrier : « Je pense que si le réalisateur a vraiment voulu exprimer ce que ressentent les travailleurs de Rhodia et les besoins qu’ils ont, je pense que le réalisateur c’est un incapable. » Une ouvrière : « Le travail des femmes n’apparaît pas dans votre film. C’est aussi une lacune ! » Neuf cinéastes sur dix seraient repartis abattus – ou ulcérés –, mais c’est mal connaître Chris Marker qui assez vite rebondit : « […] C’est quand les ouvriers auront entre les mains les appareils audiovisuels qu’ils nous montreront à nous les films sur la classe ouvrière, sur ce que c’est une grève et l’intérieur d’une usine. […] Le film que vous souhaitez, eh bien, finalement c’est vous qui le ferez. ». Les Groupes Medvedkine (du nom du cinéaste soviétique Alexandre Medvedkine, réalisateur du Bonheur [1934] et « pèlerin communiste » du Ciné-train à partir de 1932) étaient nés. De 1968 à 1973, des gens de cinéma tels que Marker, Bonfanti, Juliet Berto, René Vautier, Jean-Luc Godard, Pierre Lhomme, passeront, d’abord à Besançon puis à Sochaux chez Peugeot, apprendre sans paternalisme ni parisianisme – le samedi après-midi et le dimanche, après des semaines de travail harassantes – à des ouvriers d’usine à devenir les artisans de leur propre cinéma. Le cinéma aussi pouvait se retrouver occupé et contaminé par l’utopie.

À côté de beaux films-poèmes, libres et audacieux (Le Traineau-échelle et Lettre à mon ami Pol Cèbe) que, par manque de place, nous ne pouvons pas traiter ici, cela donnera surtout des films militants filmés d’un autre point de vue, d’un autre angle – le leur, ce qui change beaucoup !  [PD]



> Colette Magny : 68/69 (1969)

Colette Magny fut une des rares chanteuses françaises vraiment engagées. Dans sa vie, dans ses propos, dans ses actes, dans son art de la chanson. Tout au long de la deuxième partie de sa carrière (après son succès « Melocoton », 1963), dès son deuxième album Avec (1966), elle n’eut cesse de dénoncer les injustices, les inhumanités et le péril écologique. Quelques mois après mai 68, son disque 68-69 fit charnière dans sa vie, dans sa carrière, comme Mai 68 a fait charnière pour beaucoup. Elle s’est laissé surprendre par l’événement. Dans la chanson « Nous sommes le pouvoir » tirée de l’album et utilisant des enregistrements sonores des cinéastes Chris Marker et William Klein, elle chante un aspect de « son » Mai 68 :

 « Un soir je revenais de chanter / On m’a téléphoné / Il y avait des blessés / Des gosses matraqués / J’ai eu peur / Je ne suis même pas allée / Ramasser les blessés / Dans les usines je me suis planquée / Pour les travailleurs, chanter / « Là où la chèvre est liée, il faut mieux qu’elle broute » (B.Brecht) / J’ai rien vu / J’étais pas dans la rue / Tout ce qui était gai / Je l’ai manqué / Chanter, c’était devenu dérisoire / Je sais taper à la machine / Mais peut-être que je chante mieux / Que je ne tape à la machine / Au mois de Mai, par l’espoir / Tout le monde se parlait. »  [GD]

Pour connaître tous les références à Mai 68 dans l’œuvre de Colette Magny, on vous invite à lire l’article suivant > http://www.entretemps.asso.fr/68/Magny.htm.



> Jean-Claude Vannier et Serge Gainsbourg : Les Chemins de Katmandou (1969)

Les Chemins de Katmandou est un long métrage qui fut tourné quelques mois après les évènements de mai 68 par l'ancien avocat devenu cinéaste André Cayatte – avec André Barjavel comme coscénariste. Sorte de brûlot moralisateur sur le désenchantement de la jeunesse française de l'époque, le film révèle surtout la confusion et l'incompréhension régnante entre la génération de Cayatte et celle de 68. Le seul véritable intérêt de ce film (hormis de voir Serge Gainsbourg affublé d'une moustache pour un rôle très mineur au côté de sa muse Jane Birkin) réside en la découverte sa bande originale publiée pour la première fois il y a quelques mois par le label anglais Finders Keepers. À sa tête, Andy Votel, collectionneur de disques originaire de Manchester et grand connaisseur de l'œuvre de Gainsbourg et Vannier. Tout comme Vannier il était persuadé il y a encore quelques années que les bandes d'origine de cette musique de film s'étaient perdues dans l'incendie d'un studio d'enregistrement. Fort heureusement cette œuvre considérée encore aujourd'hui par les amateurs comme une sorte de graal du genre fut retrouvée il y a peu. Au final ces morceaux se révèlent plus le reflet de la collaboration encore balbutiante entre Gainsbourg et Vannier que le chef d'œuvre annoncé mais le générique du film côtoie déjà les sommets que les deux musiciens atteindront deux ans plus tard sur Histoire de Melody Nelson.  [DM]


> Charlie Haden & The Liberation Music Orchestra (1970)

Charlie Haden met sur pied le Liberation Music Orchestra en 1970 avec une vision ambitieuse : réunir un casting époustouflant de musiciens aventureux autour d’un album concept tirant le jazz vers l’engagement politique. Si le free-jazz avait déjà donné des preuves de son implication dans les luttes de son époque, aucun album n’avait autant cherché l’énergie et la passion de la protest song et de la chanson de revendication. Haden – et Carla Bley, qui signe les arrangements exceptionnels de ce disque – associent compositions d’Ornette Coleman, chants de la guerre d’Espagne et chants de révolte américains pour parler du Vietnam, de la guerre froide, de l’assassinat de Che Guevara, etc.  [BD]



> Jacques Le Glou / Jacques Marchais : Pour en finir avec le travail (1974)

« Les 403 sont renversées / La grève sauvage est générale / Les Ford finissent de brûler / Les Enragés ouvrent le bal / Il est cinq heures, Paris s’éveille (…) » : en 1974, les Éditions musicales du Grand soir du producteur de cinéma anarchiste Jacques Le Glou sortent un LP de chansons révolutionnaires. Celui-ci comprend des adaptations de chansons révolutionnaires existantes et de nombreux détournements d’inspiration situationniste de chansons connues : le hit de Jacques Dutronc des premiers mois de l’année 1968 évoqué ci-dessus mais aussi « La Bicyclette » de Pierre Barouh / Francis Lai / Yves Montand qui s’y transforme en « La Mitraillette » ou « Les Feuilles mortes » de Jacques Prévert / Vladimir Kosma / Yves Montand qui vit une seconde vie en tant que « Les Bureaucrates se ramassent à la pelle ». Aux côtés de Jacques le Glou lui-même, les paroliers de ce disque se nomment Guy Debord et Raoul Vaneigem (la chanson la plus triste – et peut être la plus belle – de l’album, « La Vie s’écoule, la vie s’enfuit » , « La Vie s’écoule, la vie s’enfuit / Les jours défilent au pas de l’ennui / Parti des rouges, parti des gris / Nos révolutions sont trahies / Le travail tue, le travail paie / Le temps s’achète au supermarché / Le temps payé ne revient plus / La jeunesse meurt de temps perdu », reprise plus tard par Serge Utgé-Royo et Les René Binamé).  [PD]



> compilation Mobilisation générale (enr. 1970-1976)

Mai 68 est passé mais la grève est toujours générale, et l’armée est encore dans la rue. La crise économique, la brutalité policière, la corruption et l’hypocrisie de la vieille société au pouvoir, sont autant de bonnes raisons pour la jeunesse des années 1970 de chercher ailleurs un nouveau modèle social et culturel. Un même état d’esprit va rassembler les communautés qui se forment aux quatre coins de l'hexagone et les hardiesses du free jazz, et lancer une vague de créativité mélangeant délire incantatoire et revendication révolutionnaire. Des ponts entre les scènes relieront l’Art Ensemble of Chicago ou François Tusques à Brigitte Fontaine et Alfred Panou, pour des morceaux psychédéliques dont les textes frondeurs sont toujours d’actualité.  [BD]


> Les Thugs : « Welcome To The Club » (1991)

Au tout début des années 1990, les musiciens « agit-punk » angevins Les Thugs utilisent la voix de l’ouvrière en colère de l’usine de Saint-Ouen, filmée en juin 1968 par Jacques Willemon et les étudiants de l’idhec (cf. plus haut), en intro du morceau qui clôt leur album International Anti Boredom Front (Front international contre l’ennui).  [PD]


> Hervé Le Roux : Reprise (1996)

En 1996, sort en salles – avec un grand succès d’audience pour un documentaire de plus de trois heures – le film-enquête Reprise dans lequel, parti d’une simple photo du film aperçue dans une revue de cinéma, le cinéaste Hervé Le Roux tente de retrouver – y arrivera-t-il ? Tel est le côté « suspense » du film – l’ouvrière révoltée de l’usine Wonder de Saint-Ouen. Sans chichis de cinéaste « m’as-tu-vu », Le Roux offre littéralement des moments de parole et agence, aux confins des parcours individuels et de l’histoire collective, une série de beaux témoignages sur trente ans de vie, de travail et de luttes de la classe ouvrière – avec, en arrière-fond, la mutation du « capitalisme de papa » des années 1960 en l’économie néolibérale des capitaines d’entreprise des années 1990. Et à chaque nouvelle étape de son enquête, « l’inspecteur » Le Roux fait visionner le petit film d’origine à ses interlocuteurs qui, chacun de son expérience propre, l’éclaire d’un jour nouveau. [PD]



> Bernardo Bertolucci : Les Innocents (2003)

C’est aux plis et aux replis du cinéma que Bertolucci confie l’évocation de l’année 1968. Le film s’ouvre sur les événements du mois de février, première salve de manifestations en faveur du directeur de la Cinémathèque, Henri Langlois, licencié par André Malraux alors Ministre de la Culture. Ainsi, au moment où Paris s’apprête à vivre un printemps de tumultes, les protagonistes, jeunes, beaux, riches, cultivés – et par là-même déjà incestueux –  performent jusqu’à l’épuisement leur propre contestation de la société dans un dispositif sexuel entièrement dédié au 7ème art.  [CDP]



> Philippe Garrel : Les Amants réguliers (2005)

Le réalisateur qui avait vingt ans en 1968 remonte le temps et revient sur sa jeunesse contestataire. Passant le relais à son fils Louis, il imagine celui-ci dans le rôle d’un jeune poète pris dans une histoire d’amour fou un an après l’insurrection. Filmé en noir et blanc et en gris ce point de vue doublement rétrospectif sur les événements, passé proche par rapport au temps du récit et passé plus lointain par rapport au temps d’élaboration du film, double la charge de nostalgie et de désenchantement. L’espace de la rue s’est refermé et avec lui l’idéal d’une vie communautaire, le rêve d’un monde différent. Mais si rien ne change, contester le réel reste possible à travers des états seconds. L’amour, l’opium, la poésie : des formes de résistance malgré tout.  [CDP]



Une playlist de PointCulture

coordonnée par Philippe Delvosalle

et réalisée par Jacques Ledune, David Mennessier, Benoit Deuxant, Catherine De Poortere, Hugues Warin, Guillaume Duthoit et Philippe Delvosalle.


peinture du bandeau du haut : Renato Guttuso Maggio 1968 – Giornale Murale

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