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Focus

Mehdi-Georges Lahlou (au Botanique) : le jardin des malices

Mehdi-Georges Lahlou - Conference of the Birds - 2017 -- (c) Galerie-Rabouan-Moussion,-Paris-et-Mehdi-Georges-Lahlou
"Behind the Garden" est une exposition qui met en place pour le visiteur un fort bel espace de liberté et d’interprétation.

Mehdi-Georges Lahlou produit des images fortes. À première vue, les œuvres de l’artiste n’ont pas l’air de jouer à cache-cache avec le spectateur, de se soustraire à lui. Au contraire : leur première lecture ne se fait pas attendre, le visiteur s’en fait vite une idée. S’il s’agissait de sons, on dirait que leur attaque est forte. Et c’est à partir de là, dans un second mouvement, dans le temps des résonances et des harmoniques, une fois dépassés les premiers signes extérieurs, que les œuvres de l’artiste quittent la superficialité de l’évidence et prennent toute leur épaisseur, leur richesse, leurs nuances.

Né en 1983 aux Sables d’Olonne, d'une mère espagnole catholique et d'un père marocain musulman, ayant grandi entre la France et le Maroc, vivant aujourd’hui entre Bruxelles, Casablanca et Chicago, abordant les arts plastiques à partir du monde de la performance, Mehdi-Georges Lahlou porte en lui le sens du multiple qu’on retrouve dans une œuvre où il ne se prive pas de questionner les identités culturelles, religieuses et sexuelles.

Dans une époque dont le paysage mental est emberlificoté dans un écheveau de peurs, de projections, d’amalgames, de demi-vérités et de purs fantasmes sur les rapports de l’Occident et du monde musulman, une œuvre comme « 72 vierges » (2012) (cf. l’image principale de cet article, ci-dessus) qui fait évidemment référence à la récompense promise aux martyrs musulmans – et qui propose une sorte d’armée de l’Empereur Qin mais en version réduite et en plâtre, démultipliant le buste et le visage voilé d’un hijab de Mehdi-Georges Lahlou lui-même – ouvre la porte à de multiples incompréhensions et interprétations hâtives. Ce qui sauve Lahlou de « l’effet Benetton » et du « syndrome Toscani » (l’utilisation très mercantile par le publicitaire italien de ressorts faciles entre une image-choc et un sujet de société à vif – le Sida, le racisme, les religions, la guerre, etc.) c’est la subtilité, la finesse et le dépassement de toutes les premières images trop lisibles ou faussement évidentes. Par la juxtaposition réfléchie, la reprise de motifs, les échos entre les œuvres, la diffraction, le jeu sur les fausses pistes et les doubles lectures, le jeune artiste crée un espace de questionnement précieux pour le spectateur qui s’offre le temps de s’y arrêter un moment. Un jardin pour l’esprit ?

Images visuelles, images sonores, images olfactives : vers un espace synesthésique

Un jardin pour les sens aussi. Lors de la visite guidée d’inauguration de Behind the Garden, Georges-Mehdi Lahlou insiste pour qu’on diffuse la création musicale qui accompagne l’exposition (des sourates interprétées – phonétiquement, sans compréhension de la langue arabe – par un contre-ténor sur des musiques de Haendel) malgré le risque que cette bande-son ne couvre sa voix… Il faut dire que Lahlou et son complice, le commissaire d’exposition Simon Njami, ont imaginé un espace où la vue n’est pas le seul de nos sens à être mis en éveil. Comme dans tout jardin, nos oreilles et notre nez sont aussi titillés.

Ainsi, au moins deux œuvres utilisent la cannelle. « Bénitier » (2016) décline en un moulage d’épice et de résine, rempli d’eau de rose, un objet-clé de la tradition eucharistique. « Talons d’Abraham » (2016) propose un clin d’œil à l’empreinte d’Abraham dans un rocher sacré de La Mecque via la trace laissée dans la cannelle par une chaussure à talon aiguille qui fait immédiatement allusion à une série de performances fondatrices de la démarche de Lahlou au cours des années 2008-2009 (« Course de 8km en chaussures rouges à talons sur sol pavé » - Gand, « Exploit sportif en corde à sauter dans escarpins rouges », Tilburg, etc. ).

Particulièrement attentif aux matériaux – à ce qu’ils évoquent dans notre imaginaire mais aussi, très concrètement, aux artisans qui peuvent l’aider à les façonner – Lahlou introduit aussi, en utilisant cannelle, pois chiches et semoule dans ses œuvres, une sorte d’obsolescence poétique qui questionne les notions de fragilité et de conservation du patrimoine artistique (détruit, pillé, déplacé, éparpillé).

Quand Lahlou, au sein d’une énumération, cite « l’autoportrait » dans la liste des matières qu’il utilise dans son art, cela commence par nous surprendre. Puis on repense à cet enracinement dans l’art de la mise à l’épreuve du corps qu’est la performance (marcher trente kilomètres en talons aiguilles, de Malines à Anvers, ce n’est pas rien) pour nous souvenir que le corps est aussi une matière artistique – y compris dans la déclinaison immobile et reposée d’un visage pensif dont le rapport ambigu entre le masculin et le féminin interroge nos aprioris de genres. Travail sur le visage – mais ici sur les rapports du religieux, du féminin, de l’humain et de l’animal – qu’on retrouve dans une œuvre relativement discrète mais très belle et mystérieuse : « Of the Conference of Birds » (2017). S’inspirant de La Conférence des oiseaux, une épopée persane soufie du XIIe siècle, cette série de collages fait se rencontrer les visages en creux, en découpes, de vierges chrétiennes en bois et le chatoyant plumage d’oiseaux qui leur greffent de fascinants nouveaux traits.

Behind the Garden est une exposition dont la générosité, la subtilité et l’humour tendre – sans oublier un sens certain de l’implication physique et du courage – correspondent bien à la personnalité de son auteur et qui met en place pour le visiteur un fort bel espace de liberté et d’interprétation.


Philippe Delvosalle


Mehdi-Georges Lahlou : Behind the Garden

Jusqu'au dimanche 5 novembre 2017

Le Botanique
236 rue Royale
1210 Bruxelles

Tel: 02 218 37 32

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