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Critique

Noire est la couleur. Les artistes africains-américains et la ségrégation.

capture d'écran documentaire Noire est la couleur

documentaire, art, Etats-Unis, afro-américain, racisme, Jacques Goldstein, Norman Lewis, David Hammons

publié le par Alicia Hernandez-Dispaux

Un documentaire bouleversant sur l’histoire des artistes afro-américains et leur cheminement vers la reconnaissance du monde de l’art, en parallèle du combat de fond pour leur reconnaissance humaine.

Le déterminisme social de l’histoire de l’art

Il y a quelques jours, je découvrais avec stupéfaction ce documentaire sur l’histoire de l’art afro-américain. Comment, en tant qu’historienne de l’art de formation, n’avais-je jamais réellement pris en considération que l’histoire de l’art que l’on m’a enseignée, est clairement orientée par la vision occidentale de la société dans laquelle je baigne ? Bien plus qu’une histoire de l’art afro-américain, « Noire est la couleur » relate de manière magistrale une histoire de l’art moderne tout court et désespérément absente de la formation dans nos écoles. Au-dedans, un sentiment semblable à celui qui survient à la découverte de la face cachée d’un lieu ou d’une personne que l’on croyait pourtant si bien connaître. Un désarroi consolidé par les propos du galeriste Michael Rosenfeld selon lequel « on ne peut appréhender l’histoire du 20ème siècle en refusant de voir des artistes remarquables qui se trouvent avoir été noirs. » Effectivement, cela paraît évident et le principe vaut d’ailleurs pour toutes les minorités. À travers ce prisme, c’est donc l’ensemble de ma vision de l’histoire de l’art qui s’est vu chamboulé. Tel est le pouvoir de ce film.

L’art afro-américain : un acte politique

Quatre-vingt ans, voilà le nombre d’années qu’ont dû patienter les artistes noirs américains, plus anciens comme actuels, avant de franchir la porte des musées et des galeries aux États-Unis. C’est cette longue marche que Jacques Goldstein retrace à travers son documentaire tout en pointant le décalage qui existe entre ce changement, par lequel les artistes noirs deviennent dignes d’intérêt pour un large public et une société contemporaine encore profondément gangrénée par le racisme.

Le ton est donné lorsque la pochette en main, notre regard est d’emblée attiré par l’ « African American Flag » réalisé en 1990 par David Hammons – un drapeau américain aux couleurs panafricaines, représentantes du mouvement qui rassemble les Africains du monde entier autour d’une valeur commune, celle de la solidarité. La couleur bleue a été substituée au vert, évoquant la richesse que les ancêtres ont été contraints de laisser derrière eux. Le blanc a fait place au noir en référence à la couleur de la peau. Le rouge désigne pour sa part le sang qui a coulé. Il s’agit en fait d’une déclaration forte sur l’identité noire et le sentiment de duplicité que provoque la bannière étoilée, sensée symboliser la liberté et les valeurs démocratiques, dans une Amérique majoritairement blanche et ségrégationniste. Norman Lewis choisit lui aussi de représenter le drapeau dans les années 1960 en peignant « Harmonie du Soir ». Inspiré par l’expressionnisme abstrait, ce sont les couleurs qui viennent ici dessiner les formes. Dans sa représentation du drapeau américain, le blanc fait référence au Ku Klux Klan tandis que les tâches rouges suggèrent l’incendie des églises de l’époque d’où s’échappe une fumée bleue. Il ne s’agit par pour Lewis de s’attaquer à cette « icône trompeuse de la liberté » mais bien de montrer une réalité, sa réalité des États-Unis d’Amérique.

Le récit nous embarque ainsi dans une chronologie allant de la fin du 19ème siècle, durant lequel l’image de l’homme noir est caricaturée à tout-va, jusqu’au 20ème siècle, au fil duquel les artistes noirs américains isolés se regroupent progressivement à Harlem, quartier noir de New York, afin de plaider leur cause en plongeant dans leurs origines africaines. Dans ce panorama qui nous est présenté, l’art noir aux USA naît du désir d’émancipation du peuple noir et devient essentiellement un acte politique qu’il faut poser à nouveau dans une histoire qui, continuellement, remet en cause les droits civiques des gens de couleur.

Finalement, ce documentaire parvient à nous questionner. L’art noir américain ne serait-il animé que par la nécessité, presque assujettie à un passé, de poser un acte politique ? L’art pour l’art serait-il refusé aux artistes afro-américains du fait de leur histoire ? Si l’on s’interrogeait sur le déterminisme social qui régit notre regard, on peut se demander s’il est du même ordre que celui qui guide la création de ces artistes afro-américains ? La question mérite d’être débattue, mais il n’en reste pas moins que tous semblent avoir un même enjeu : humaniser, rendre leur dignité et leur beauté à ces gens de couleur. De même que ces artistes aspirent à s’emparer de leur propre image afin de maîtriser leur destin.


A présent, les Black bodies swinging in the southern breeze de Billie Holiday qui évoquaient les noirs pendus aux arbres par le Ku Klux Klan, se sont transformés en Black Bodies swaying in the summer breeze dans le vidéo-clip de Black Body qui compose l’album Sofa King Amazing (2016) de Spek Won. Si le rapper canadien et originaire du Ghana nous livre un véritable message d’amour et d’espoir à travers ce morceau, il nous rappelle que les discriminations raciales restent un fléau contre lequel il est urgent de se battre en Amérique, comme partout ailleurs.


Alicia Hernandez-Dispaux