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Médiagraphie « Sauvage ? » (chapitre 4) : Les sauvages masqués

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publié le par Benoit Deuxant

Depuis ses origines, le carnaval et les autres fêtes d’hiver sont l’occasion de représenter de manière symbolique l’opposition traditionnelle entre l’homme et la nature, de mettre en scène la victoire de l’humain, de la civilisation, sur la sauvagerie. Les sociétés rurales qui vivaient au rythme du temps cyclique célébraient la fin de l’hiver et la renaissance de la vie au travers de festivités qui cherchaient dans un même élan à cajoler les forces vitales, à les amadouer, mais aussi à affirmer la puissance de l’homme et sa capacité à domestiquer son environnement. Mais c'est aussi le moment où les logiques s'inversent, où les règles sont mises sens dessus dessous. Le carnaval, c'est l'époque où les ours et les loups, les charbonniers et les monstres à grandes dents, les arbres et les esprits, sortent des forêts et descendent des montagnes pour envahir les villages et les villes.

Sommaire

Mascarades : Mamuthones, Babugeri, Kukeri, Kurenti et Schnappviecher

Partout en Europe existent des fêtes de carnaval et des mascarades perpétuant des traditions très anciennes liées au rythme des saisons. Ces processions ont en général lieu pendant l’hiver, pour appeler le printemps et le célébrer. Les habitants des villages fabriquent des costumes avec ce qu’ils ont sous la main, des objets du quotidien, des instruments agraires, des cloches ou sonnailles qu’on attache au cou des animaux, des peaux de bêtes ou des végétaux comme des sapins, des feuilles, des herbes… L’idée de ces processions est de faire du bruit pour chasser l’hiver.

En Sardaigne, on peut citer la parade des Mamuthones, des hommes costumés avec des peaux de bêtes et des sonnailles, cloches, clochettes, grelots, semblables à ceux qu’on attache au cou des chèvres et des moutons. En déambulant et se mouvant dans les rues, ils créent des rythmes particuliers, des séquences variées de sons.

On trouve dans les Balkans des rituels destinés à chasser les mauvais esprits, qui sont pratiqués entre le Nouvel An et le Carême. Les Kukeri de Bulgarie sont des personnages masqués et costumés avec des éléments zoomorphiques, des fourrures, des cornes, qui défilent en groupe, de villages en villages en agitant des cloches pour apporter à la population la santé, la joie et des récoltes abondantes. Chaque village rivalise de grandeur et d’originalité dans le costume de sa troupe.

Une tradition équivalente est celle des kurenti (ou korent) en Slovénie. Lié autant à des rites de fertilité qu’à d’anciennes divinités hédonistes, leur costume est généralement en peau de mouton, décoré de rubans multicolores et complété par un masque à la longue langue rouge. Les célébrations comportent encore bien d’autres personnages-type, comme les « jolis » qui traînent une charrue symbolique et fouettent la terre pour la réveiller, les « vilains » qui pourchassent les enfants mais aussi « la femme qui cherche un mari », le « policier », le « maire », qui tous vont de maison en maison demander des offrandes d’œufs, de saucissons et de vin.

Parmi les monstres les plus étranges des traditions carnavalesques, les Schnappviecher du Tyrol occupent une place à part. Ces créatures de près de trois mètres de haut, à la tête surmontée de cornes, cavalcadent à travers les rues en faisant claquer leur énorme mâchoire. Quelque part entre le cheval, le crocodile et le dragon, les Schnappviecher (ou Wudele) avancent en troupeaux bruyants et leur parade doit chasser l’hiver et appeler les forces du printemps. (ASDS)

Dompter l’ours

Chants et mascarades sont souvent utilisés par divers peuples pour dompter le sauvage. Un exemple à citer est celui de l’ours, animal féroce et peu enclin à se faire apprivoiser. Les Tsiganes ont longtemps voyagé avec ces animaux, qu’ils dressaient pour montrer en spectacle, et ils ont composé tout un répertoire de morceaux sur ce thème. Le groupe Shukar, originaire du village de Gratia dans le sud de la Roumanie, chante des mélodies à propos du dressage des ours (même s’ils ne l’exercent plus aujourd’hui) accompagnées de tambours en bois ou en plastique et des cuillères, ou utilisant leur corps comme percussion.

En Sibérie, certains peuples tentent d’apprivoiser les ours en les invoquant dans des cérémonies rituelles. C’est le cas des Khanty et des Mansi, deux ethnies de langue finno-ougrienne vivant sur les rives de l’Ob et de ses affluents. Même si le régime soviétique a interdit ces chants durant quatre-vingts ans, ils ont persisté et sont toujours interprétés aujourd’hui, prouvant l’importance de ce plantigrade dans leur culture. (ASDS)

The Wicker Man de Robin Hardy (1973)

Ce film britannique de 1973 est la première adaptation pour le cinéma d’un livre de David Pinner (Ritual) paru 5 ans plus tôt. Neil Howie, sergent de police de sa gracieuse majesté reçoit une lettre anonyme l’enjoignant de mener l’enquête à propos de la disparition d’une jeune fille à Summerisle une île faisant partie de l’archipel des Hébrides, au large de l’Écosse. À son arrivée, cet homme très croyant est choqué par les mœurs très libérées de ses habitants qui prennent du plaisir où bon leur semble et ont conservé un culte aux dieux celtes ainsi que d’étranges pratiques néo-païennes. Or, les locaux nient en bloc l’existence même de la disparue (Rowan), y compris sa supposée mère. Mais l’officier, qui reste de marbre face aux faveurs proposées par l’une ou l’autre insulaire, poursuit son enquête et remarque par ailleurs les références multiples à l’existence d’une jeune fille appelée May Queen. Tenace, il finit par retrouver la tombe « présumée » de Rowan et fait une demande d’exhumation auprès du « souverain » de la communauté (Christopher Lee). Il apprend à la suite que les habitants de Summerisle qui ont acclimaté une série de plantes et d’arbres fruitiers rares sur leur île, ont pris l’habitude de sacrifier l’une ou l’un des leurs en cas de mauvaise récolte, lors d’une célébration en date du 1ermai. Il en conclut que c’est Rowan qui a été choisie comme offrande sacrificielle et s’infiltre, déguisé en figurant masqué, dans la procession. Mais aussitôt la jeune fille libérée, il réalise son erreur … Film culte, mais échec commercial à sa sortie, bien torpillée par une censure qui imposa des coupures drastiques et freina sa diffusion dans le pays. The Wicker Man (outre d’avoir fait l’objet d’remake calamiteux avec Nicolas Cage en 2006) a laissé sa marque discrète (et différée) sur des œuvres reconnues du registre fantastique sacrificiel contemporain tel The Village (2004, M. Night Shyamalan) ou le formidable Midsommar (2019, Ari Aster). Tous ayant en commun de décrire la tournure étouffante et possiblement meurtrières, aussi bien pour ses membres que pour tous ceux qui viendraient en perturber l’isolement, de sociétés totalement repliées sur elles-mêmes, dirigées par un gourou, et se conformant à un récit mythologique fondateur exigeant le sacrifice de ses enfants.

Long Island d’Endless Boogie (2001).

Drôle d’animal indompté que cet Endless Boogie. Formé à New York au mitan des années 2000 autour du dénommé Paul Major, grand collectionneur de vinyles rares et pourvoyeur de cannabacées à usage domestique à ses heures, le tout à un âge où la plupart de ses congénères déposent leurs guitares, le groupe tire son nom d’une plaque du bluesman John Lee Hooker datant du début des seventies. Et de blues, il en est en effet question mais déroulé à la façon d’une jam sans fin pratiquée au bout d’une nuit de pleine lune par un Canned Heat mêlant ses arpèges électrifiés tordus aux rythmiques roboratives et spatiales des Allemands de Can (les morceaux les plus courts font plus de 6 minutes !). Une espèce de rock psychédélique post ‘60s à très longue traîne, joué les pieds écrasant sans honte tout un parterre de pédales d’effets et lesté d’une certaine pesanteur goudronneuse, probable séquelle de leur inscription de longue date au sein de leur microcosme du quartier de Brooklyn. Pourtant, à la sortie de Long Island (qui est aussi le nom de l’île à l’est de New York dont les quartiers, dont celui de Brooklyn, s’étalent le long de sa pointe ouest), disque qui va les faire connaître au-delà du cercle d’initiés psyché, kraut & boogie, les Américains choisissent comme illustration de pochette, une gravure du Suédois Theodor Kittelsen datant de 1906, ayant pour nom Le Troll de la forêt. On peut y voir une sorte de représentation métaphorique de la survivance en la croyance des trolls et autres créatures imaginaires datant de l’avant christianisme au sein d’un environnement naturel forestier important et représentant toujours une source constante de dangers. À moins que nos newyorkais ne se s’imaginent eux-aussi dans la peau d’étranges créatures ne se sentent eux-aussi « à part », sauf au milieu de la faune changeante et grouillante de la grosse pomme ?

Le Carnaval sauvage de Bruxelles

Depuis quelques années, un collectif bruxellois organise un carnaval alternatif retournant aux sources des célébrations rituelles de la fin de l’hiver tout en en détournant les codes et les valeurs.

En transposant ces traditions dans un contexte urbain et contemporain, le carnaval sauvage apporte un discours nouveau, une signification nouvelle où il est tout autant question de célébrer l’arrivée du printemps, le retour de la vie, que d’entamer une remise en question de l’ordre social, par entre autres une critique des pressions politiques et financières et de la spéculation immobilière qui pèse sur la ville.

Depuis ses origines, le carnaval et les autres fêtes d’hiver sont l’occasion de représenter de manière symbolique l’opposition traditionnelle entre l’homme et la nature, de mettre en scène la victoire de l’humain, de la civilisation, sur la sauvagerie.

Carnaval sauvage

Comme toutes les traditions, le carnaval a deux visages et a souvent été détourné pour déclencher une inversion des valeurs. On voit alors la population prendre le parti des ours et autres monstres féroces, préférer les brutes farouches et libres à leurs maîtres. C’est bien ainsi que les organisateurs du Carnaval sauvage l’envisagent : « Il a un rôle dans la société, la représentation du désordre, des puissances vitales, de la fête, valeurs sans lesquelles l’ordre social central est insupportable. Organiser un carnaval c’est célébrer ces valeurs ». Ils se situent du côté de ces carnavals qui se veulent libérateurs, qui donnent une voix, ne serait-ce que pendant le court temps de la fête, aux gueux et aux marginaux.

Carnaval sauvage de Bruxelles

Les lieux liés au Carnaval sauvage, la place du Jeu de Balle, la zone du canal, sont ainsi révélateurs. Ce sont des lieux qui souffrent des changements forcés qu’imposent la spéculation et la gentrification aux populations de Bruxelles : « Cela fait sens, et ce n’est pas innocent de notre part, d’organiser ce carnaval sur le canal. C’est une zone de Bruxelles qui est soumise à de puissantes pressions immobilières, financières et politiques qui nous préparent une ville dans laquelle on ne se reconnaît pas. Organiser ce carnaval c’est dire en ce lieu : nous sommes drôles, nous sommes beaux, nous sommes vivants et nous ne sommes pas dupes, nous contestons vos valeurs. Vous êtes le centre, nous sommes la marge. » La Société du Carnaval sauvage a donc lancé dans les rues un cortège d’Ours, de Sapins-de-Noël-retournés-à-l’état-sauvage, d’Esprits des Morts et autres Spectres, guidés par des Bergers et entraînés par la danse du Gille de Bruxelles, et tous ensemble ils traînent à l’échafaud les mannequins du Promoteur immobilier et de sa fidèle compagne la Bureaucratie.

« Pourquoi ?
Parce que c’est drôle.
Parce que c’est chouette
Parce que c’est beau
et parce que c’est important. »

(Les citations sont extraites du manifeste de la société du Carnaval sauvage.)

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