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Playlist

Djivan Gasparyan, le chagrin du duduk

Djivan Gasparyan

Arménie, duduk, Gasparyan, doudouk, Djivan Gasparyan, Michael Brook, Eurovision, Brian Eno, Hans Zimmer

publié le par Daniel Mousquet

Âme de la nature sauvage, des montagnes caucasiennes et des villages authentiques, la mélopée douce et mélancolique s’est envolée de l’Arménie éternelle. Djivan Gasparyan l’a suivie ce 6 juillet 2021…

Duduk arménien - feuilles.png

C’est souvent au détour d’un film que l’on découvre pour la première fois le son du duduk.

Quand la situation devient douloureuse, que le héros a perdu sa maison, sa femme, ses cinq enfants, ses parents, son chien, les voisins, tout le village et que le monde n’existe plus. Alors, le son s’insinue dans l’oreille, gagne le cœur, remonte aux yeux et il pleut sur les joues. Duduk, tu nous as touchés !

Mais avant d’être l’instrument arrache-larmes des films Gladiator, Home, Amen ou Mayrig , le duduk a été l’instrument qui a accompagné les joies et les peines, les chants et les danses, les noces et les deuils, les roses et les feuilles d’automne.


Doudou-Duduk

Djivan Gasparyan

À six ans, Djivan s’est passionné pour ce petit bout de bois, ce joli trou de hautbois qu’on jouait autrefois. Campé droit aux hanches, soufflant à travers l’anche, sort le son de l’ange. Il sait la légende de Tigran le Grand, le roi d’antan (55 av J.C.) sous le règne duquel le duduk respirait déjà. Il sait le génocide de 1915, la tutelle de l’URSS, l’appétit jaloux des Azéris mais il sait aussi que, malgré les drames, la musique permet à la nation de recouvrer son identité.

L’adolescent haletant a le temps de passer au cinéma : l’occasion d’écouter les joueurs de duduk qui accompagnent les films de leurs propres improvisations. Puis, quand s’envole sa mère, quand son père part à la guerre, le duduk fournit le pain que la rue veut bien lui céder : il faut nourrir les siens quand tout s’en est allé.

Voilà ses vingt ans, toute la force des montagnes et des ruisseaux grimpe dans son cœur. Un filet d’air pur chante dans le bois d’abricotier et la magie opère : il fait chanter son duduk en solo avec l’Orchestre philharmonique d’Erevan.

Le souffle se lève en vent, se mue en nues, sous le feu du soleil des projecteurs, emplit l’espace de sons, la scène de chants, sous les vivats et les honneurs : quatre médailles de l’Unesco, titre d’Artiste du peuple d’Arménie, Lifetime Achievement Award du Womex…


Brillant Brian

Djivan et son duduk peuvent être des héros, just for one day… Ce jour où Brian Eno le voit à Moscou, l’invite, lui fait rencontrer d’autres artistes et le fait connaître au monde. Doudouk. Chansons folkloriques arméniennes, sorti en 1983, devient I Will Not Be Sad in This World, en 1989, un traditio-miel pour les oreilles en deux duduks, chant d’abeille à la mélodie, l’autre faisant office de bourdon.

« Dle yaman », exhumée du passé arménien, est une chanson d’une mélodie douloureuse et émouvante. Le texte un peu mystérieux par ses ellipses donne quelques éléments d’explication. Une femme et un homme s’aiment, leurs maisons se font face. L’un a disparu. L’autre le pleure. Et le soleil s’est levé sur la montagne. Paroles et musique évoquent le peuple arménien : le malheur est présent mais toujours l’espoir renaît et s’élève au-dessus des peines.

Le séisme de 1988 en Arménie fait entre 25 000 et 30 000 morts. Les photos de la vidéo qui suit utilise « Dle yaman » en hommage à cette catastrophe.


Brook émissaire

Djivan Gasparyan inspire Peter Gabriel, tombé sous le charme du duduk et qui inclut cet instrument dans la musique de La Dernière Tentation du Christ, de Scorsese. Via Brian Eno, il fait la connaissance de Michael Brook. De leur rencontre naît l’album Black Rock, en 1998. Les arrangements de Brook, alliés aux percussions et aux guitares délicates, se combinent parfaitement avec la douceur et le pouvoir d’évocation du duduk. La chimie entre la technologie et le traditionnel fonctionne : des passions feutrées, des joies tranquilles, des émotions retenues qui virent au spirituel.

La voix de Djivan est aussi malléable que le son de son instrument, variations de volume, ornements vocaux qui, passés à la moulinette des effets, se transforment en objet extra-terrestre, comme pour le très oriental « Freedom ».


Maximus Gasparyanus

Comme les années passent vite ! À plus de septante ans, Djivan a sorti son duduk d’Arménie et l’a rendu visible au monde entier. Il joue avec les plus grands : Brian May, Zucchero , David Sylvian, Ludovico Einaudi, Peter Gabriel, Andreas Vollenweider

Fuad, sa collaboration avec le musicien turc Erkan Oğur, permet l’association du bağlama avec le duduk mais aussi un mélange subtil des traditions des deux pays, comme un symbole de résilience des blessures anciennes.

Les réalisateurs ont également pris conscience du pouvoir émotionnel du duduk. Entre Mayrig, le diptyque sur la vie d’Henri Verneuil, et le thriller Syriana, Gasparyan est sollicité par Ridley Scott et Hans Zimmer pour le multi-oscarisé Gladiator. La force nostalgique du duduk est au premier plan du film (littéralement) et anticipe les tourments de Maximus. Sans « Duduk of the North », sans « To Zucchabar », joués par Gasparyan, sans la voix de Lisa Gerrard, la bande originale du film n’aurait peut-être pas eu le retentissement qu’elle a obtenu. Frôlons les blés de notre paume, enivrons-nous encore du son du fût arménien, quel épisode du passé le duduk nous ramènera-t-il ?

Lorsqu'il a porté son duduk aux lèvres, il a jeté un sort sur tous ceux qui ont écouté. Merci, Djivan. — Peter Gabriel

Arménovision

Eurovision 2010 : on s’attend à de la pop, de l’électro, un peu de métal et surtout de futiles ballades édulcorées chantées par des éphèbes superficiels et légers. Soudain, un vieil Arménien de plus de quatre-vingts ans, en costume folklorique, apparaît avec un instrument bizarre

Personne ne s’attend donc à voir un grand-père de quatre-vingt-deux ans jouer d’un bois d’abricotier, assis sur un rocher… Djivan Gasparyan est ainsi le plus vieux à monter sur la scène du temple de la chanson kitsch à Oslo.

Sur une musique pop sans goût, le noyau d’abricot posé dans la main, Eva Rivas offre un décor touristique de l’Arménie. « Que Dieu bénisse et garde mon fruit chéri ! Fais pousser mon arbre jusqu'au ciel. Une fois que j'aurai dit au revoir à ma maison, je veux juste revenir à mes racines… »

Pas de bis pour la Vice-Miss du Caucase, la chanson a laissé peu de souvenirs : la chanteuse et son look, les parties de duduk.


De Djivan à Djivan

Si le vent tombe, il n’est cependant pas vraiment parti. Djivan a transmis à son petit-fils, Djivan Jr, la passion du duduk, l’amour de l’Arménie, le talent et la technique pour émouvoir.

« Mon âme est apaisée par l’hiver. Une fraîche berceuse de repos dont le doux chagrin m’étreint, supplante le passé » (1).

Nous sommes des invités dans ce monde . — Djivan Gasparyan


(1) Extrait d’un poème de Vahan Teryan, le poète préféré de Djivan Gasparyan.

Voir aussi la playlist proposée par Manuel Munoz.