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Focus

"The Way Back", sur les traces d'une migration

The Way Back
Road-movie documentaire abordant la problématique de la crise migratoire en Europe, "The Way Back" tire habilement parti du point de vue singulier d’Hussein Rassim, musicien irakien, joueur d’oud émérite et réfugié en Belgique depuis 2015. En effet, c’est de l’idée de ce dernier, à savoir s’en retourner sur les routes de son périple, que s’inspireront les réalisateurs Maxime Jennes et Dimitri Petrovic pour accoucher d’un film à la fois touchant et édifiant.

C’est à Vienne que débute réellement le film, première étape du voyage et, d’un point de vue occidental, ultime destination connue pour son accueil décent des migrants : au-delà, c’est la Hongrie de Viktor Orban et sa politique migratoire intransigeante. Mais vient d’abord l’Autriche et l’occasion, pour Hussein, de retrouvailles avec son ami Ahmed, y ayant chanceusement trouvé asile. Par une scène de repas à même le sol, en présence de la famille de celui-ci, les réalisateurs parviennent à édifier le spectateur sur les motivations promptes à pousser des individus, pourtant économiquement autonomes et socialement reconnus dans leur pays d’origine, à abandonner leur foyer et fuir leur patrie, au profit d’une existence désormais peu enviable : « … je ne manquais de rien en Irak, économiquement parlant. J’avais une réputation à l’intérieur et en dehors des frontières, en tant que poète et journaliste. […] Nous ne sommes pas venus par envie », raconte le père d’Ahmed.

Aussi, c’est par le témoignage de ce dernier, narrant comment, au retour d’une soirée arrosée, il retrouva son appartement détruit par des bombardements, que le film parvient à donner corps à l’absurdité d’une situation absolument impensable dans le quotidien d’un spectateur européen du XXIème siècle : « ... j’appelle un ami et lui demande : "Est-ce que tu peux venir ? Car mon appartement est… Où est mon appartement ? […] nous étions tous encore saouls et nous rigolions. Pourquoi ? Je ne sais pas, nous aurions dû pleurer », conclut-il, pris d’une hilarité nerveuse. Joueur d’oud, au même titre qu’Hussein, c’est par la musique qu'Ahmed semble encore pouvoir trouver du sens à l’existence, comme le montrent ces scènes de jeu partagé entre les deux hommes, même si un certain nihilisme suinte, comme presque inéluctable, de son témoignage : « Et moi, vous savez pourquoi je bois ? Car j’en ai plus rien à foutre ! ».


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Le passage de la frontière entre l’Autriche et la Hongrie sera l’occasion pour Hussein de se remémorer son voyage aller, l’ayant vu embarquer dans la voiture d’un passeur, et ce contre monnaie sonnante et trébuchante, à Budapest. Surtout, c’est le souvenir du soulagement qui lui revient, celui d’être parvenu à quitter un pays au sein duquel il ne fait pas bon migrer, notamment au regard du résultat du référendum sur les quotas, à l’initiative du gouvernement hongrois, qui surviendra bien après les pérégrinations d’Hussein mais, néanmoins, en dit long sur l’accueil réservé aux migrants en Hongrie. En effet, une large majorité des votants – bien que le quorum n'ait pas atteint les 50% nécessaires à sa validation – s’opposeront à ce que l’Union Européenne puisse prescrire, de manière unilatérale, l’installation obligatoire en Hongrie d’individus étrangers, arguant ainsi de leur souveraineté nationale.

Bien qu’un tel plébiscite n’ait pas encore eu lieu du temps où Hussein Rassim bourlinguait encore en Hongrie, cela témoigne d’un certain climat socio-politique délétère, matérialisé par une propagande gouvernementale à toute épreuve. Preuves en sont ces gigantesques panneaux publicitaires réquisitionnés par l’État hongrois à des fins d’influence du vote populaire, tous posant la même question : « Tudta ? » (En français, « Le saviez-vous ? ») et assénant des allégations à charge des migrants en Europe, telles que : « Les abus contre les femmes ont augmenté de manière exponentielle depuis le début de la vague migratoire », pour ne citer qu’un exemple.


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Tâchant de recueillir le son de cloche des locaux quant à cette partialité étatique passablement décomplexée, les réalisateurs se contenteront de faire figurer à l’image l’opinion de deux individus que tout semble opposer, en rendant ainsi le compte rendu quelque peu manichéen. Néanmoins, du témoignage d’un citoyen hongrois critique vis-à-vis du gouvernement, ressort un élément digne d’intérêt, en ce que celui-ci, malgré son incrédulité face aux fameux « Tudta ? », ne peut encore se prononcer quant à son vote lors du référendum à venir, témoignant de la complexité d’une question migratoire qui, si celle-ci est évidemment à même de susciter un élan de solidarité chez les individus les plus enclins à l’empathie, pose la question de ce qui relève encore des prérogatives d’un état au sein de l’Union européenne.

Si Hussein et sa suite, tantôt rendant visite à un hôtel, pierre angulaire d’un trafic de réfugiés, se faisant ainsi le relais des passeurs, tantôt se promenant sciemment aux abords de la frontière barbelée jadis traversée illégalement, se font inévitablement remarquer et questionner par la police hongroise, c’est surtout à la frontière entre la Hongrie et la Roumanie que surviendra le principal rebondissement du film, en ce que la petite troupe, voulant rejoindre la Grèce, se verra refuser le passage. En cause : la Roumanie n’étant pas intégrée à l’Espace Schengen, la carte de résident possédée par Hussein y perd sa validité si celle-ci n’est pas assortie d’un passeport…


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Une opportunité pour les réalisateurs d’illustrer une aberration administrative inhérente au mille-feuille territorial et géopolitique se superposant à la géographie européenne, celle qui autorise un individu comme Hussein à se trouver dans deux pays de l’espace Schengen, à savoir la Hongrie et la Grèce, mais qui, dans le même temps, lui interdit de passer de l’un à l’autre sans passeport, pas même en survolant les pays n’en faisant pas partie. Et la caméra de capter un moment fugace, à savoir le découragement d’Hussein, prêt à renoncer au projet et résumant superbement le propos du film par ces quelques mots, certes candides, mais empreints d’une philosophie aussi radicale qu’épurée : « Le problème, ce sont les frontières ! ».

Retour en Belgique obligé, pour formalités administratives. Mais le voyage reprendra, cette fois en volant, direction l’ultime étape : la Grèce et ses camps de migrants. C’est, en l’occurrence, à celui de Skaramagas, non loin d’Athènes, que le documentaire nous emmène. Et, bien que nos protagonistes ainsi que l’équipe de tournage aient été autorisés à y pénétrer et à recueillir le témoignage glaçant d’un homme, élevant – on peut se demander si le terme s’y prête encore, dans de telles conditions – désormais seul sa fille malade, nécessitant des soins spécifiques auxquels l’état grec semble incapable de pourvoir, les réalisateurs semblent s’être heurtés au refus de l’armée grecque de montrer l’indigence supposée du camp, puisque aucune autre séquence ne nous en parviendra. A défaut d’images du camp, c’est par le chant d’un enfant syrien, d’une voix éthérée, que le film illustrera la gageure, anxiogène au possible, que constitue ce périple jusqu’en Grèce, tout sauf désirée, éminemment contrainte.


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En définitive, on regretterait presque que le film ne nous emmène pas plus loin, par-delà ce pays hellénique essentiellement appréhendé, d'un point de vue oriental, comme une porte d'entrée sur l'Europe. A l'inverse, il aurait été intéressant de le faire apparaître, une fois n'est pas coutume, comme un pont lancé vers l'Orient. Et même si, en préambule de leur voyage, Hussein avertit son audience quant à la finalité du film, à savoir visiter et rendre visible la réalité d'un camp grec, et qu'à la décharge de l'équipe, pousser jusqu'en Irak aurait sans doute relevé du suicide, toujours est-il que The Way Back nous parvient, à nous spectateurs, comme un objet inachevé, sans pour autant aller jusqu'à le qualifier d'inabouti.

Aussi, en termes de réalisation, certaines séquences se retrouvent surlignées, voire même écrites, à l'image des scènes d'introduction et de conclusion, et contrastent – pour ne pas dire jurent – fortement avec le concept du road-movie documentaire, à la base du film. Néanmoins, Maxime Jennes et Dimitri Petrovic sont parvenus à insuffler à ce dernier une dynamique intéressante, conférant à la plupart des scènes une spontanéité, propre au genre, n’empiétant à aucun moment sur l'aspect informatif du film. Au contraire, The Way Back a ceci pour lui de parvenir à édifier le spectateur sur l'itinéraire, semé d'embûches, d'un migrant en Europe, fort de la faculté de ses réalisateurs et de ses protagonistes à aller à la rencontre de leurs interlocuteurs, rencontres souvent facilitées par ce langage universel qu'est la musique.


Simon Delwart



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