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Focus

Sabrina Voisin, Christophe Mavroudis et leur « Chat noir » | Interview

Atelier du chat noir
Entretien avec une artiste 3D et un "laborantin chimérique", tous deux influencés par Tim Burton et un imaginaire fantastique, en plein travail sur l'adaptation en film de poupées du "Black Cat" d'Edgar Allan Poe.

- PointCulture (Thierry Moutoy) : Sabrina, tu es, entre autres, artiste 3D. Peux-tu nous dire ton parcours et nous parler de l'Atelier du chat noir ?

Sabrina Voisin : Mon parcours, c'est d'abord St Luc en illustration, et puis en peinture. J'ai enseigné ensuite les arts. L’Atelier du chat noir est arrivé pour avoir un atelier en continu, avec des stagiaires, et aussi pour découvrir la 3D, à laquelle je n'avais jamais touché. L'Atelier est venu pour que je puisse partager ce que j'apprenais, au moment où je l'apprenais moi-même. Ça fait quatre ans maintenant. Au début, c'était destiné aux enfants et aux ados, puis ça a évolué vers les adultes – via le bouche à oreille, les réseaux sociaux... Ça s’est bien étendu, il y a pas mal de répondant au niveau international, surtout sur Instagram.

L'Atelier du chat noir, c'est aussi mon œuvre, une œuvre de caméléon. Caméléon, parce que je ne me cloisonne pas, ça passe du "creepy" au mignon, il y a plein de références ; on me dit toujours "une fois c’est une poupée, une fois une créature, tu n'es jamais sur la même ligne de conduite". Il y a vraiment deux grands axes qui définissent l'Atelier, c’est le creepy/cute, "So tiny, so scary". Ça peut varier du très mignon, très féérique, à quelque chose d'horriblement sanglant. — Sabrina Voisin

C'est diversifié parce qu'il y a pas mal de choses que je dois apprendre pour faire des ateliers, et comme ce sont des ateliers courts, je varie les techniques que je découvre. À côté de ça, il y a mon travail personnel, qui prend beaucoup plus de temps, des créations venues du tréfonds de ma tête. Ce sont vraiment deux choses différentes.

- Christophe, tu es laborantin chimérique, monteur, scénariste et caméraman. Quel est ton parcours et quelles sont tes influences ?

J'utilise le terme "laborantin chimérique" parce qu'au fil du temps, j'ai beaucoup diversifié mes activités, même si elles ont en commun de s'intéresser au fantastique, à l'imaginaire, au cinéma de genre. — Christophe Mavroudis

Par le passé, j'ai travaillé en tant que journaliste ciné pour le magazine SF-Mag. Je peux autant présenter des films, participer à l'organisation de festivals comme la version liégeoise d'Offscreen, que mettre la main à la pâte en encourageant la création des autres et aussi utiliser ce que j'apprends dans mon propre univers. En tant que monteur, je travaille sur mes propres projets, je fais également des bandes annonces, souvent pour des documentaires, notamment pour les films de la Passerelle, Thierry Michel, Idriss Gabel, etc.

Je suis également formateur et conférencier, sur les personnages du cinéma de genre ; j'explique comment on conçoit les films dans les domaines de l'imaginaire, et, en tant que scénariste, je travaille actuellement sur une série sur Jean Ray cocréée avec Antoine Bours (cf. la série Ennemi public), qui en est le maître d'œuvre. J'ai une passion pour l'imaginaire, la créativité, que je combine pour transmettre, défendre les formes que j'aime et être créatif moi-même. Cette créativité, elle a été inspirée par Stephen King qui a été ma porte d’entrée dans l'horreur avec Ça, mais mes influences viennent autant du cinéma indépendant à la George Romero façon Martin que de Star Wars. Je ne fais pas de différences de principe entre les blockbusters et les films dits « d'art »... Dès qu'il y a une imagerie forte, je marche. Je peux aussi citer Tim Burton, Clive Barker, mais aussi les Monty Python, Terry Gilliam, Brian de Palma., etc. Il y a plein de choses. J'ai également réalisé deux courts métrages à petit budget, Voisins et le conte gothique Caducea.

- Comment est né votre projet et pourquoi avoir choisi d'adapter Edgar Allan Poe ?

S. V. : C'est la première nouvelle qui m'a marquée au fer rouge, le premier texte sans images. J'étais plutôt dans l'univers de la BD, je lisais, mais pas de manière boulimique. Poe, je l'ai découvert au début du secondaire. À l'époque, je pensais que c'était juste une vieille nouvelle et j'aurais voulu la voir en images, et je ne savais pas qu'il y avait déjà eu autant d'adaptations. C'est pour ça que j'ai baptisé l'atelier de mes rêves l'Atelier du chat noir, mais c'était aussi pour toute l'imagerie, la référence à la sorcellerie, etc. Toute cette symbolique a fait « tilt ».

Mon dernier court, Caducea, qui a très très bien circulé depuis trois ans et a reçu plus d'une centaine de prix, était déjà marqué par un univers de conte gothique. Sabrina y avait déjà amené ses talents pour quelques tableaux présents dans le film. Pourquoi se retrouver sur le Black Cat ? À l'origine, j'avais vu une de ces poupées et j'avais trouvé que c'était un personnage très inspirant, auquel on pourrait consacrer un film. — C. M.

Sabrina s'intéressait déjà au stop-motion, j'adore le cinéma d'animation aussi, on s'est dit qu'on pourrait mettre en place quelque chose autour de ce personnage ; et puis deux ans plus tard, Shaban Krasniqi, qui produit le Chat noir mais était également producteur de Caducea, est revenu vers moi en me proposant de relancer le projet et Sabrina s'est dit que tant qu'à faire du stop-motion, autant combiner cette expérience, notre première pour nous, avec son envie de rendre hommage à Poe et au Chat noir. Ça a « matché », on s'est dit qu'on voulait un film court, sans dialogues, très visuel, ça a coulé de source à partir de là.

- Votre projet sera un croisement entre Tim Burton et les films de la Hammer ?

S. V. : Quand on me dit Burton, je réponds « Oh oui » mais, sincèrement, je n'avais pas pensé à ce croisement-là. Je ne pensais pas faire un croisement, je pensais faire une première fois, un test, je ne pensais pas que ça atteindrait cet aboutissement – les premiers essais donnent un résultat auquel je ne m'attendais pas. Ça progresse rapidement, même si c'est une première fois pour toute l'équipe. Que ce soit pour la conception des poupées, l'animation, les décors, le déroulement… tout tout ! On est tous des novices donc de là dire que j'attendais un croisement de quelque chose... Je suis ravie d'entendre que le mariage de Burton et de la Hammer accouche d'un petit chat noir, je trouve ça joli !

C. M. : Il y a déjà beaucoup de Hammer dans Burton ; j'ai eu un rapport à Burton très passionnel, surtout à la fin de mon adolescence et le début de l'âge adulte, je lui ai consacré mon travail de fin d'étude. À l'époque allait sortir Sleepy Hollow, qui est peut-être le plus « hammerien » de ses films. Caducea, mon film précédent, se réclamait d'ailleurs de l'influence de la Hammer. Mais Burton descend de Poe aussi, ses influences viennent aussi des adaptations de l'auteur par Roger Corman avec Vincent Price, Vincent Price qui a amené Burton à faire son premier court en stop-motion, nommé Vincent... On est dans un univers commun, et j'aime bien la loi de Lavoisier, « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». On n'est pas en train d'innover, on est dans une constellation de références qui vont plus loin que Burton. La Hammer nous influençait avant même qu'on ne connaisse l'existence de Burton. Les châteaux gothiques, les monstres...

La particularité du Black Cat, peut-être, est que la vision qu'on veut en offrir est ouvertement slapstick. Le projet sera porté par une sorte d'énergie, ce sera une valse. Un autre élément important sera la musique, le film sera monté sur la Danse macabre de Camille Saint-Saëns, et contiendra beaucoup d'humour noir. Ça sera une espèce de mouvement ample, avec un peu de gore aussi, de trash, mais je pense qu'on ne perd pas l'essence de ce qu'on veut raconter.

- Est-ce qu'il s'agira d'un court-métrage ? Une date de sortie est déjà prévue ?

S. V. : Oui, c'est un court ! Une date de sortie, on ne sait pas (rires) ! On a une deadline quand même, on a le projet en tête, mais voilà...

C. M. : On va tout faire pour réussir à le présenter au BIFFF en 2022, entre autres parce Sabrina y a remporté un concours cette année et elle aura des œuvres exposées là-bas l'année prochaine, donc on essaye de faire concorder tout ça. Et comme elle ira le mois qui suit à Los Angeles pour Monsterpalooza, ce sera intéressant d'avoir tout ça. Donc on a quand même un horizon, et aussi beaucoup de travail et de choses à faire. Et donc oui, ce sera un court métrage, on va essayer de le faire aussi court que possible. Pas de paroles. Être aussi synthétique que possible.

Sabrina Voisin et Christophe Mavroudis : "Black Cat"

Sabrina Voisin et Christophe Mavroudis : "Black Cat"

- Comment se déroule le tournage ? Comment sont répartis les rôles ?

S. V. : On a établi un plan d'action, mais pour le tournage c'est plus Chris, tu peux prendre le relais ?

C. M. : Comme Sabrina le disait avant, on est vraiment pour le moment en apprentissage, en rodage. On fait énormément de tests, parce qu'on a une esthétique qui est définie en fonction des petits moyens dont on dispose. Mais on a plusieurs défis – Sabrina me corrigera si je me trompe –, pour moi le projet est un aigle, ou plutôt un chat, à deux têtes. Il y a tout l'univers de Sabrina, c'est elle qui s'occupe de l'animation, de la fabrication des puppets, de tout cette logistique-là, qui est primordiale, et moi je suis du côté de l'écriture, de la réalisation, donc du choix des angles, du mode de narration... C'est du Poe dans l'univers de Sabrina et moi j'essaye de lier tout ça à travers la réalisation. Mais on a d'autres défis techniques parce qu'on aime se faciliter la vie d'une manière générale (rire). Il y a eu une autre influence en matière d'animation amenée par Sabrina, qui est... je m'emmêle toujours...

S. V. : Madame Tutli-Putli !

... Un film qui a remporté un Oscar et qui a la particularité d'être tourné en stop-motion mais qui utilise, sur les puppets, des yeux de véritables acteurs. Il y a le travail d'animation et puis on colle là-dessus le travail d'expression d'acteurs filmés en parallèle. C'est une technique qu'on est en train de découvrir. — C. M.

Donc il y a tout un univers à faire vivre, toute une animation, une patte qui est donnée par Sabrina, puis un travail de mise en scène, de scénarisation, mais aussi de jeu d'acteur, et d'adaptation de la musique de Camille Saint-Saëns pour que tout ça s'imbrique de manière organique. Donc il y a plein de défis, l'équipe investigue un terrain... assez vaste.

S. V. : Effectivement ! La répartition des rôles s'est faite assez facilement : pour tout ce qui est « pré-prod », construction des puppets, du décor, des peintures, je m'étais lancé le défi. Puis, tout le reste... J'y connais pas grand-chose. Chris a pris tout ça en main avec Shaban, et je crois que chacun a trouvé son rôle. Maintenant, on commence à avoir besoin de redéfinir certains rôles, puisqu'on ne sait pas, pour des questions techniques, qui va faire les yeux de tel personnage, qui va faire telle ou telle chose, il y a encore des rôles qui vont arriver, je pense. On est en train de gonfler tout doucement l'équipe, et c'est vraiment gai à voir ! Il y a déjà pas mal de choses qui sont mises en place, les fonctions se sont réparties naturellement et sont bien ancrées, mais il y en aura encore d'autres.

C. M. : La musique sera adaptée par Michael Sànchez, qui a déjà signé celle de Caducea, et va amener quelques thèmes à lui. Il y a également Pierre Prégardien et MyPyxhell, qui est en charge de tout ce qui est intégration, « post-prod », mais il travaille déjà avec nous en amont afin de s'assurer que notre méthode de travail soit efficace et ne nous déborde pas. Il y a encore beaucoup de gens qui vont venir faire gonfler le projet, tout ce qu'on a montré pour le moment ne sont que des phases de test.

- Comment est financé le film : campagne de financement participatif ? Subside ?

S. V. : Pour le moment, c'est auto-financé ! Avec beaucoup de cœur et de bénévoles (rires) ! Mais il y aura une recherche de subventions et de subsides, et un crowdfunding est en voie d'accouchement...

C. M. : Il sera sûrement lancé dans les semaines qui viennent. Mais avant de lancer tout ça, on voulait être sûrs d'atteindre quelque chose qui s'approche de ce qu'on veut comme résultat, et les derniers tests dont on a diffusé les photos ont vraiment été concluants dans ce sens-là, c'est un bon gros coup de boost qui a montré qui il y a de l'enthousiasme autour du projet, c'est très motivant pour le kickstarter. Pour les subsides, on n'a pas encore fait le tour des possibilités. Ce qui nous manque, c'est sans doute un riche mécène, ce serait formidable !

Quel est votre vision du cinéma d'animation Made in Belgium ?

S. V. : J'ai eu un flash récent, pour quelqu'un qui, lui, n'est pas récent dans le milieu, mais que j'ai découvert en m'intéressant un peu plus à tout ce qui se fait de près ou de loin en animation – et pas qu'en Belgique. Mais lui est belge, c'est Gerlando Infuso. Il a surtout été remarqué avec son court qui s'intitule La Bague au doigt, et qui se passe dans les rues de Bruxelles, avec un décor de fou et une animation qui est vraiment dans le fil de ce que j'aime esthétiquement. Là c'est vraiment le gros coup de cœur, qui m'a encore plus motivé lorsque je l'ai vu. C'était une influence importante dans le fait que je passe le cap. Ça ne se limite pas qu'à lui, mais je n'avais envie de parler que de ça !

C. M. : Il y a plusieurs noms qui ressortent évidemment, les délires à la Patar et Aubier, un Ernest et Célestine, qui est loin de ce qu'on veut faire mais qui atteint quelque chose, une sensibilité... Il y a aussi Raoul Servais, surtout son court métrage Harpya, qui a vraiment une esthétique qui touche au fantastique, au mythologique, qui est assez soufflant. Un court m'avait beaucoup impressionné, au nom absolument impossible à prononcer, qui est Orgesticulanismus, réalisé par Matthieu Labaye, produit par Camera Etc, qui est un film sur le mouvement assez phénoménal, une orgie kinétique complètement... « ouf » ! Ça a un impact super puissant.

Mais la Belgique a, au niveau de ses arts visuels, une telle profusion de références que c'est difficile de se limiter à l'animation. Quand on voit le nombre de concept artists, d'artistes fantastiques qui citent constamment la Belgique comme référence au niveau du dessin, de la peinture, on se demande pourquoi il n'y a pas plus de tentatives de fantastique et d'animation en Belgique. On a l'impression qu'on inspire parfois plus l'étranger que nous-même ! Paradoxe à la belge... Je repense aussi au film Dernière porte au Sud, de Sacha Feiner, qui est vraiment top – il s'agit de marionnettes dans ce cas-là.

S. V. : Oui je me limitais au stop-motion, mais si on prend l'animation au sens large, ouh là là... Ernest et Célestine, oui, ça c'est pour le côté cute, que j'aime bien aussi. Et j'oubliais le fabuleux Mr Hublot qui donne vie aux sculptures du Belge Stephane Halleux de manière magistrale !

C. M. : Tout ça est très stimulant !

interview : Thierry Moutoy (mai 2021)