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Focus

Routes du café - compositions pour une folle addiction

Plaisir de café - école française XVIIIème siècle - pochette "Les Routes du café" (label Alpha)
L'attrait surprenant que le café a suscité dans le courant des XVIIème et XVIIIème siècles a été mis en musique dans des œuvres de l'époque. Le label Alpha s'est penché sur ce phénomène de mode

Sommaire

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Présenté à la manière d’une « fasil » – suite de pièces musicales ottomanes faites de taksims (improvisations) et d’œuvres traditionnelles –, le programme fait la part belle aux cantates et pièces instrumentales de l’ère baroque qui évoquent d’une manière ou d’une autre le café et les lieux où l'on pouvait le consommer, et dont l’origine, le nom et l’histoire sont depuis intriqués. Ces œuvres sont accompagnées de pièces turques de la même période, ainsi que de compositions plus tardives et d'improvisations.


Turquie

Probablement né en Ethiopie, le café atteint au XVème siècle la Péninsule arabique, puis gagne peu à peu le reste du Moyen-Orient grâce aux Musulmans de retour de leur pèlerinage à la Mecque. Fleurissent alors les maisons de cafés, lieux de dégustation autant que de socialisation. Dans ces établissements, en Perse par exemple, on pouvait y jouer, lire, échanger des idées et écouter la lecture du Shāhnāmah, le Livre des Rois retraçant l’histoire de l’Iran des origines à l’arrivée de l’Islam. A Istanbul aussi, sous le règne de Soliman le Magnifique (1494- 1566), les maisons de café prospèrent.

Dans cet enregistrement, alternent avec les œuvres classiques des pièces pour ney (flûte), Yayli tanbur (luth) et percussions (Zarb et Daire). Elles instillent l'atmosphère particulière des musiques moyen-orientales, grâce aux compositions de Nâyi Osman Dede (C.1652-1729), de Tanburi Cemil Bey (1873-1916) et de Kathleen Kajioka (1973-)

Migration vers l'Europe

Entre le Moyen-Orient et l'Europe, plusieurs chemins ont été empruntés: tandis que le café s'introduit dans les Balkans par l’entremise de l’envahisseur ottoman, Venise découvre la précieuse fève grâce à ses nombreux échanges commerciaux. En France, aux alentours de 1640, c'est un marchand français revenant d'Istanbul qui rapporta de son séjour des graines de caféier. Moins de vingt ans plus tard, la boisson avait pris un incroyable essor dans toute la région. A la même époque s’ouvrait le premier café à Paris, tenu par un Levantin qui y avait émigré. En 1669, l'ambassadeur de Mohammed IV rendit visite à Louis XIV afin de restaurer les relations diplomatiques entre la France et la Turquie. Les négociations échouèrent mais la grande quantité de café que l'émissaire avait apportée avec lui fut fort appréciée de la Cour et concourut à son succès dans la capitale française.

Paris

Marin Marais (1656-1728) est l’auteur de cinq livres de pièces de violes constitués de suites de danses. Au cœur de ces suites où se succèdent allemandes, courantes, gigues et rondeaux, il incorporait parfois une pièce plus typée, plus descriptive qualifiée de « pièce de caractère ». Saillie du caffé, issue de la huitième suite du troisième Livre, suggère l’engouement que provoquait le café chez ses contemporains, saillie signifiant « élan » dans une ancienne acception du terme.

La cantate Le Caffé mise en musique par Nicolas Bernier, gendre de Marais, sur un texte du poète et librettiste Louis Fuzelier (1672-1752), nous vante sans retenue les vertus du café, au détriment du « fatal poison », entendez : le vin.

Ah ! tu comptes dans ton empire des lieux rebelles à Bacchus. — .

Nul humour dans cette plaidoirie pour le breuvage caféiné. Sans doute l’alcoolisme faisait-il quelques ravages dans la société parisienne et le café venait-il à point détourner les hommes de la dive bouteille. Le texte est presque entièrement dédié à la lutte contre le vin.

Bannis le nectar de la table des Dieux - Coule, règne en tous lieux - Fais sans cesse la guerre au jus séditieux. — .

Londres

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Image: Joseph Highmore, Figures in a Tavern or Coffee House C. 1725

Quittons Paris pour Londres avec une fantaisie de Matthew Locke (1621-1677). Le choix de cette pièce se rapporte ici au Turk’s Head Coffee, un établissement où le compositeur rencontra Samuel Pepys (1633-1703), haut fonctionnaire de l’Amirauté britannique et inestimable observateur de son époque grâce à son « Diary ». Les échanges politiques et artistiques semblent avoir été particulièrement stimulés dans ces commerces dédiés au café, à l’image de ceux qui les ont précédés en Perse ou à Istanbul. En Angleterre, à partir de 1650, des Coffee Houses se distinguent des Clubs de gentlemen par leur accès plus abordable et moins guindé. Aux XIXème et XXème siècles, on ne comptera plus les nombreux cafés littéraires, philosophiques, scientifiques qui se développeront dans les grandes villes européennes et qui seront fréquentés par les artistes les plus réputés, à Leipzig, Vienne, Paris ou Londres.

Leipzig

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Terminons avec la très célèbre Cantate du Café BWV 211 du Cantor de Leipzig, Johann Sebastian Bach (1685-1750), appartenant à son corpus de cantates profanes.

C’est dans le registre comique que le texte de Picander (1700-1764) et la musique de Bach mettent en scène un père et sa fille en profond désaccord : Schlendrian veut interdire le café à sa fille Liesgen et la menace de toutes les privations qu’il peut lui imposer : sorties en société, beaux vêtements, rubans colorés et autres colifichets, ce dont sa fille n’a cure. Elle lui répond qu’elle ne peut renoncer à ses trois tasses de décoction quotidiennes.

Image: Café Zimmermann à Leipzig (Détail d'une gravure de Georg Schreiber)

« Ah ! comme le café a bon goût ! – Plus agréable que mille baisers – plus doux qu’un vin de muscat. — .

En désespoir de cause, son père recourt alors à un dernier argument : si elle persiste, elle devra renoncer au mariage. C’en est trop pour Liesgen, qui fait mine de se plier à cette exigence paternelle… tout en faisant secrètement savoir que son prétendant devra lui permettre de se livrer à son vice une fois le contrat de mariage signé.

Quelle réalité reflète ce scénario en apparence léger ? Comme ailleurs en Europe, le café avait déclenché en Allemagne une véritable ferveur dans la population, et particulièrement chez les jeunes femmes, chez qui sa consommation était synonyme d’émancipation. Une attitude vue d’un mauvais œil par les gardiens de la morale, dont Bach ne faisait apparemment pas partie. L’inventaire de ses biens, effectué après son décès, révèle la présence de deux pots et d’un plateau destinés au service du ... café !

Routes du café - Bach, Bernier - Ensemble Masques - Olivier Fortin

Nathalie Ronvaux

image de bannière : "Plaisir de café - école française XVIIIème siècle / pochette Routes du café (label Alpha)