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Focus

Rencontre avec Dominic Hofbauer, éducateur en éthique animale

Dominic Hofbauer photo
La Belgique est à l'avant-garde dans l'enseignement de l'empathie pour les animaux.

Sommaire

   Le 13 mai, à l'occasion de la journée végane à Charleroi, Dominic Hofbauer, éducateur en éthique animale chez GAIA, viendra parler de droits pour les animaux. La conférence sera suivie d'un débat.

Trois petits cochons et un poulet à quatre pattes

« – Je me suis demandé ce qui avait changé en moi pour qu'on puisse désormais s'amuser ensemble de la sensibilité dont je faisais preuve à 8 ans. Est-ce que j'avais changé à ce point ? — » Bruxelles, le 01 mars 2017

Comment en êtes-vous venu à la question animale et à l'éducation dans ce domaine ? Pourriez-vous nous renseigner sur votre parcours ?

Je crois que j'ai toujours été sensible à la question animale. Sans doute de manière assez solitaire, mais autour des années 2000, le développement d’internet m’a sorti de mon isolement et a occasionné des rencontres qui ont fait basculer mon itinéraire. À plusieurs, des projets ont pris forme, on s’est mis à participer à l'organisation d'événements, comme la Veggie Pride par exemple, et avec deux amis de cette époque, Sébastien Arsac [co-fondateur de L214 avec Brigitte Gothière] et Antoine Comiti, on avait aussi fondé un petit collectif qui s’appelait Stopgavage. Mon virage professionnel remonte donc à cette époque. En fait, je travaillais déjà dans le domaine de la pédagogie mais dans un tout autre milieu, celui de l’histoire et de l'archéologie, au domaine national de Chambord où j'étais en charge du service éducatif du monument.

Vous êtes donc un des acteurs de la première heure associés à L214 ?

On était un petit groupe lié de près ou de loin aux Cahiers antispécistes, une revue de philosophie morale qui met à la disposition d'un public francophone les textes fondateurs ou importants pour le mouvement pour les droits des animaux. Sébastien avait alors intégré l'association Welfarm (à l’époque PMAF), basée en Lorraine. Je l'ai rejoint en 2006 comme pédagogue pour bâtir une démarche éducative autour des animaux en élevage. Sébastien s'est ensuite lancé dans le projet L214, et j’ai quitté la Lorraine pour la Belgique quand un poste de responsable pédagogique s’est présenté chez GAIA, dont j'admirais le travail novateur et l'approche pragmatique. Voilà maintenant sept ans que j'ai la chance d'y travailler comme chargé d'éducation. Cependant, je vais retourner prochainement en France pour y décliner la méthode pédagogique de GAIA Education pour L214.

Vous dites que vous avez toujours été sensible à la condition animale. Il n’y a donc pas eu pour vous d’événement fondateur, de rencontre, de prise de conscience brutale ?

Ah, peut-être que si ! Durant mon adolescence au lycée, on abordait en cours de biologie la notion de conditionnement chez les animaux : ça m'a amené à réfléchir à notre propre conditionnement. J'avais aussi été inspiré en philo par le concept de "doute hyperbolique" chez Descartes, et je suis ainsi passé par une phase de remise en question volontaire de mes représentations, mes comportements, mes attitudes, pour tenter de les fonder rationnellement plutôt que par mimétisme social et parental. Bon, les ados raffolent des "grandes idées" qui permettent de secouer les normes sociales, et je ne faisais pas exception... Vaste projet, en tout cas !

Donc, un jour, à cette époque où j'avais 17 ans, nous voilà à manger du lapin en famille. Mon père me demande si je me souviens du "poulet à quatre pattes." Comme je ne m'en souviens pas, on m'explique que c'était comme ça qu'on me faisait manger du lapin (en l'appelant "poulet") quand j'étais petit, puisque que nous avions aussi un lapin de compagnie auquel j'étais très attaché. Sur le coup, j'éclate de rire avec tout le monde en repensant à cette situation. Il y avait clairement dans ce rire collectif une forme d'intégration, une validation de mon passage à l'age adulte. Alors, je me suis demandé ce qui avait changé en moi, exactement, pour qu'on puisse désormais s'amuser ensemble de la sensibilité dont je faisais preuve à 8 ans. Est-ce que j'avais changé à ce point ?

Ca, c’est le premier moment. Le second survient à la même époque, toujours à table. Ma petite sœur a environ trois ans et ne veut rien manger. Pour détourner son attention, mes parents lui racontent une histoire, le conte des trois petits cochons. Le stratagème fonctionne : captivée par le périple de ces cochons qui luttent pour échapper au loup qui veut les manger, elle avale tout son diner. Et d’un coup, comme la pilule rouge dans Matrix, le choc : ce qu'on lui mettait dans la bouche, c’était du jambon, c’est-à-dire ... les cochons de l'histoire. J'avais sous les yeux la force du conditionnement, le mimétisme familial, la norme sociale dans toute son absurdité et son aveuglement. C'est comme ça que j'ai commencé à réfléchir aux animaux que l'on mange. C'était une démarche assez rationnelle, en fait. En lien aussi avec les idées de non-violence qui m'intéressaient à cette époque.

Des animaux partout !

Dominic Hofbauer photo 2
« – Je crois que lorsqu'on travaille autour de l'éthique animale, on travaille plus largement sur les notions de respect, de considération envers ceux qui sont différents. En élargissant le champs de notre bienveillance, cette considération peut s'exprimer envers les animaux tout en renforçant aussi la qualité de nos relations entre nous, entre humains. — »

Finalement vous avez fait le choix de rester fidèle à votre sensibilité d’enfant. Travaillez-vous dans l’idée qu’il y aurait comme une empathie naturelle de l’enfant pour les animaux ?

À vrai dire, je n'en sais trop rien, et je crois que je me méfie autant du concept d'enfant que du concept d'animal quand il est exprimé au singulier. Qu’est-ce qui relève de l’inné, de l’acquis ? Qu’est-ce qu’un enfant, exactement ? La définition de l'enfance est-elle universelle, ou n'est-ce qu'une catégorie sociale ? Le statut de mineur, au fond, est-ce bien scientifique ? Bref, le problème des généralités... Du fait de leur jeunesse et de leur ingénuité, il me semble que les enfants sont plutôt comme des tableaux vierges où tout peut s'écrire et se fixer, le pire comme le meilleur, par imprégnation sociale, par acquisition des normes validées par l'entourage, etc. Mais, assurément, les enfants que je côtoie ont de la curiosité pour les animaux. Ils comprennent que derrière le regard d'un animal, il y a quelqu’un. Pas une salade, pas un caillou, mais un semblable, sans le moindre doute.

La majorité des livres pour enfants mettent en scène des animaux. Des animaux humanisés. Ils portent des vêtements, ils parlent, ils se tiennent debout… Qu’est-ce que cela veut dire ?

Ah oui, bien vu ! C'est peu de dire que les animaux sont pour eux des compagnons privilégiés au cours de l'enfance, en effet : certains animaux leur parlent sur les paquets de céréales, dans les dessins animés et les publicités qui les ciblent à la télévision, en décoration sur leur cartables, leurs trousses, le mobilier des écoles maternelles, leur porte-manteau... On recourt aussi énormément aux animaux dans les premières années de l’enseignement pour apprendre à compter, à lire, à parler. Les chansons, les comptines qui stimulent leur imaginaire débordent d'un vaste bestiaire. Les animaux sont alors, le plus souvent, des alter-egos humanisés comme vous le remarquez dans votre question, et assez rarement évoqués pour eux-mêmes. En sortant de la petite enfance - et peut-être pour bien s'en distinguer - on tombe alors dans l'excès inverse et on passe de cet anthromorphisme naïf à un détachement froid, qui aborde en classe les animaux sous l'angle de l'espèce ou de la seule physiologie, sans égards pour leur qualité d'individus sensibles ou leur subjectivité.

Alors, quel regard posent-ils sur les animaux réels ?

Dans notre expérience, les élèves du primaire sont toujours très enthousiastes à l'idée d'une séance sur le thème de la défense des animaux : pour un animateur, c’est un sujet en or ! En classe, lorsqu'un animateur tient un discours à l’invitation de l'enseignant, cette situation joue aux yeux des élèves un rôle important dans la validation de l'éthique animale comme un sujet sérieux. Il y a chez les élèves une proximité spontanée avec les animaux qui ne demande qu'à s'exprimer et prendre forme. Aussi, je crois que c'est important de témoigner que cette sensibilité n'a rien d'infantile, que ce n'est pas propre à leur âge, et que ce n'est pas quelque chose qu'ils vont devoir abandonner en grandissant. En secondaire, la formule video + débat fonctionne bien, et permet des échanges poussés sur des réalités qu'ils connaissent souvent assez peu. Je précise que les enseignants ouvrent parfois des yeux plus grands que leurs élèves devant les images d'investigations ou devant les prouesses cognitives de certains animaux ! Il y a parfois une réticence des ados à aborder le sujet de la protection animale qu'ils considèrent comme destiné à plus jeunes qu'eux, mais l'actualité aidant, il me semble que leur intérêt pour la question animale est de plus en plus marqué.

« Enseignons à l’école l’empathie pour les animaux ! » : c’est le titre d’une tribune parue à votre initiative dans Libération et signée par quelques grands noms de la sphère académique française, dont Matthieu Ricard. Pourriez-vous résumer votre position et expliquer la  part que vous prenez dans la réalisation de ce projet en travaillant avec GAIA ? Dans ce domaine-là, est-ce qu’on a de l’avance sur la France ?

Oui, dans cette tribune nous citons la Belgique en exemple. Là où la situation belge est assez géniale, c'est que les programmes des cours de citoyenneté prévoient des chapitres sur la protection des animaux en primaire, et sur les droits des animaux en secondaire. Dans ces matières, les programmes de l'enseignement officiel invitent ainsi à « comprendre et protéger la vie » et à « épargner la souffrance aux animaux ». Cet enseignement ouvre des perspectives intéressantes pour s'interroger en classe sur le statut moral et légal des autres animaux. En outre, le programme des cours philosophiques pour le secondaire nous questionne directement : "Les animaux ont-ils des droits ?" Notez qu'il ne s'agit pas, évidemment, d'enseigner verticalement une éthique, mais plutôt de cultiver une réflexion, d'entretenir par le débat une certaine qualité d'attention aux autres.

En France, comme vous le remarquez avec raison, les programmes d'éducation morale et civique (EMC) sont balbutiants, et doivent encore mieux s’ouvrir à ces questions-là, même s'ils permettent déjà aux enseignants motivés d'aborder la question du respect des animaux en classe. Notre tribune appelle ainsi à ce que ces programmes s’enrichissent de chapitres consacrés plus explicitement au statut moral des animaux, et inscrits dans une progression pédagogique globale sur les notions de droits et de libertés. Je crois que lorsqu'on travaille autour de l'éthique animale, on travaille plus largement sur les notions de respect, de considération envers ceux qui sont différents. En élargissant le champs de notre bienveillance, cette considération peut s'exprimer envers les animaux tout en renforçant aussi la qualité de nos relations entre nous, entre humains.

Empathie pour les animaux à l'école

Sentience et sensibilité

« – Notre démarche est très attentive à la sensibilité des élèves. Un soin particulier est porté au vocabulaire, au choix des images : il s’agit de se mettre à hauteur d’enfant. — »

Concrètement, comment se présentent vos animations ?

Alors, en fonction des niveaux de classe et des programmes, nous proposons différents thèmes d'animations que vous pouvez retrouver sur notre site www.gaiakids.be. Une place importante est accordée au droit, à l'état de la législation ainsi qu'à l'état de la science et à ce que l’éthologie et la biologie nous disent aujourd'hui des animaux dans leur individualité, leur subjectivité, leurs émotions et leurs mondes mentaux. L'idée, ce n'est pas de donner un cours mais de porter à la connaissance des élèves un savoir scientifique et d'ouvrir un espace de discussion autour d'une question simple : "Comment est-ce que le fait que les autres animaux sont comme nous les sujets de leur propre vie, qu'ils sont des individus sensibles qui ressentent comme nous ce qui leur arrive, comment est-ce que ça engage notre responsabilité dans les relations que nous établissons avec eux ?"

L’interrogation porte alors autant sur les animaux de compagnie que sur ceux dont on connaît moins les conditions de vie : les animaux en captivité, les animaux de laboratoire, ceux qu’on élève pour la fourrure, les animaux en élevage pour l'alimentation... Dans le cadre de cette réflexion, on n'arrive pas avec des réponses ou des solutions toutes faites, il ne s'agit pas de dire aux élèves ce qu'ils doivent faire ou ce qu'ils doivent penser, mais de réfléchir ensemble à ce qu'on peut tous faire, individuellement ou collectivement, pour mieux prendre les animaux en compte : par quelles pistes raisonnables et réalistes pouvons-nous intégrer ces préoccupations dans notre quotidien ?

Dans une sorte de démarche socratique basée sur ce que les élèves apportent eux-mêmes au débat, le travail de réflexion est mené collectivement. Et il débouche parfois sur des actions concrètes : à Quaregnon, nous avons par exemple accompagné les ados du Conseil communal des enfants dans un projet d'affiches pour sensibiliser la population aux abandons d'animaux pendant les vacances. A la suite d'une animation, l'école communale de Nethen a recueilli des poules élevées en batterie, qui ont trouvé refuge à l’école sous la responsabilité des élèves. L'an dernier,  les 5e de l'école Buissonnière de Crisnée ont lancé une pétition pour demander au ministre du bien-être animal Carlo Di Antonio une solution au problème des truies gestantes maintenues en cage dans les élevages porcins industriels.

D'une manière générale, notre démarche est très attentive à la sensibilité des élèves. Un soin particulier est porté au vocabulaire, au choix des images : il s’agit de se mettre à hauteur d’enfant. La collaboration avec les enseignants et la pertinence vis à vis des programmes est aussi indispensable : pour un professeur, une animation extérieure n’a de sens que si elle répond aux objectifs de son programme et s'intègre dans la progression pédagogique qu'il ou elle a mis en place. Je voudrais préciser ici un point : indépendamment du thème, nos animations ont en commun de travailler sur l’enthousiasme, l’action positive, de ne pas livrer un message formaté mais plutôt d’engager la réflexion par une approche ludique, interactive, avec des jeux, des débats. Il s'agit alors d'accompagner le questionnement éthique sans être prescriptif de valeurs ou de comportements.

Vous tenez donc un discours rationnel tout en laissant une place à l'expression des émotions.

Oui, on s’appuie essentiellement sur la science et la réglementation. En Belgique, l’animal est reconnu comme un être sensible. Qu’est-ce qu’un être sensible ? Cette interrogation rejoint le cadre cours de science. En partant des animaux de compagnie, par exemple, il est possible de réfléchir aux différents besoins qu’un chien ou un chat peut exprimer : nourriture, eau, abri, soins, activité, relations sociales… Une fois qu’on a établi ces besoins fondamentaux et qu’on est d’accord sur le fait qu’ils sont plus ou moins universels ou - pour le dire autrement - qu’on les a en commun, on passe en revue diverses situations en se demandant si toutes les conditions de bien-être sont respectées. On remarque alors que les animaux captifs manquent d’espace, qu’ils restent inactifs, n’ont que peu d'interactions sociales, développent des troubles du comportement, etc. La réflexion part de ce qui est connu de tous pour aller vers ce qui l’est moins. En réalité, le problème principal des animaux est un problème d’information car, heureusement, personne ne souhaite que des animaux souffrent. En conséquence, notre travail pédagogique est essentiellement un travail d'information.

Ce n’est pas ce qu’avance la philosophe Florence Burgat dont le dernier essai, L’Humanité carnivore, revient sur cette question. Elle met en avant le fait que malgré la diffusion de vidéos accablantes tournées dans les abattoirs, les gens ne se sont pas massivement ralliés au véganisme. Dès lors, elle pense qu’il pourrait y avoir une justification plus profonde au régime carné…

L’idée que l’identité humaine s'est affirmée précisemment par la domination sur les autres animaux est une idée que l'on peut très bien comprendre et défendre anthropologiquement et historiquement, en effet. Ce qui n'empêche pas Florence Burgat de se réjouir de la préoccupation grandissante pour la question animale dans le débat public, ou d'être optimiste devant le développement des alternatives végétales, par exemple.

Introduisez-vous les notions d’antispécisme et de sentience auprès des enfants ?

On les introduit explicitement en secondaire, oui : tout l’arsenal législatif belge et européen repose, en effet, sur le fait que les animaux sont reconnus par la science comme des êtres sensibles, ou “sentients". D’origine anglo-saxonne, la sentience est une notion plus riche que le simple concept de sensibilité, dans la mesure où elle ajoute une dimension de conscience, reconnue notamment par la Déclaration de Cambridge sur la conscience animale en 2012. La sentience, c’est donc la sensibilité consciente : elle concerne tous les individus qui, comme nous, font l’expérience subjective du monde à titre individuel et conscient.

En secondaire aussi, la notion de spécisme s’intègre bien dans le cadre d’une réflexion large sur les discriminations et les préjugés. Pour faire simple, le spécisme c’est le racisme de l’espèce. Par analogie avec le racisme ou le sexisme, le spécisme est une idéologie à laquelle nous adhérons souvent inconsciemment, et qui établit que la vie, les intérêts ou la souffrance des autres animaux comptent moins, simplement parce qu’ils sont d’une autre espèce. Il constitue l’expression d’une tendance à privilégier notre propre espèce, un privilège que l’humanité s’accorde d’autorité à elle-même. L’antispécisme s’oppose ainsi au spécisme dans le sens où il rétablit la sensibilité comme le critère qui est pertinent moralement, indépendamment de l’espèce des individus, comme le philosophe Jeremy Bentham le notait dès le XVIIIe siècle : « la question n’est pas “peuvent-ils raisonner ?” ou “peuvent-ils parler ?” mais “peuvent-ils souffrir ? »

Lors d’un entretien que nous avons eu avec elle à PointCulture, la pédagogue Dominique Cottereau regrettait que l’éducation des enfants les maintienne contraints et enfermés dans des classes, les privant ainsi de précieuses expériences de terrain. Pour les encourager à développer leur sensorialité au contact de la nature, elle les fait sortir et les emmène en promenade. Il se trouve que ses animations, si riches soient-elles, n’incluent pas les animaux. A vrai dire, on peut se demander si de telles rencontres seraient même possibles étant donné qu’il n’y aurait pas de terrain neutre pour approcher les animaux. Zoos et fermes sont des lieux de captivité et d’exploitation qui excluent toute rencontre véritable.

Oui, et aussi pour des questions de consentement des animaux eux-mêmes, il est difficile de programmer des rencontres inter-espèces en dehors d'une situation de captivité. Les écoles organisent souvent d'elles-mêmes des sorties au zoo, au cirque, au Seapark de Bruges où les dauphins sont détenus à vie dans un petit bassin couvert et très sonore, etc. Je pense aussi aux "fermes pédagogiques" qui présentent aux écoles en visite un éventail de quelques espèces, vivant généralement sur paille, où les animaux peuvent être manipulés. Ces endroits sont "pédagogiques" dans le sens où ils sont ouverts aux écoles, mais ils composent une vitrine imaginaire bien éloignée de la réalité de l'élevage moderne, qui est massivement intensif et spécialisé.

Chez GAIA, nous invitons plutôt les écoles en demande de conseils à visiter un refuge, idéalement dans une démarche pédagogique de compréhension du phénomène des abandons, de la surpopulation féline et des responsabilités liées à la vie en compagnie d'animaux familiers.
En comprenant qu'on ne s'y rend pas pour voir des animaux de près en mangeant du pop-corn, que les animaux qui se trouvent là peuvent avoir l’air malheureux, mais que malgré des destins parfois tragiques, il y a matière à espérer et à passer à l'action pour eux : par exemple amener des couvertures, des croquettes, passer du temps avec eux, devenir bénévole, venir aider à promener les chiens ... Les enfants se montrent en général très motivés !

En Belgique, il y a des refuges pour les chats et les chiens, mais il existe aussi des refuges pour animaux de ferme qui accueillent des classes. Je pense notamment au refuge d'Animaux en Péril près d'Ath, ou Le Rêve d'Aby près de Gembloux, qui sont des lieux qui recueillent des animaux d'élevage sauvés de la boucherie, ou rescapés de situation de négligences ou de maltraitances. Les animaux y mènent des vies paisibles et longues, sans exploitation et sous la protection d’humains bienveillants, dévoués à changer le regard que nous portons sur ces êtres vulnérables et attachants. Les élèves peuvent découvrir les différentes espèces, participer aux travaux du refuge et à l'entretien des animaux, rencontrer les pensionnaires qui se montrent disposés à venir les voir, etc. Il est souvent possible de parrainer un animal, voire d'en adopter (poules, lapins) via un contrat d'adoption ! Autre point important : ces refuges sont une fenêtre ouverte qui permet d'imaginer un autre avenir possible pour ces animaux, d'imaginer de nouvelles relations avec eux.

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Un autre avenir possible

« – Historiquement, nos rapports avec les chiens sont des rapports d’exploitation, mais ce n’est pas parce que les relations évoluent que tout rapport doit cesser. — »

Des détracteurs de la cause animale vont jusqu’à prétendre qu’il ne peut y avoir de relation avec les animaux que sous le régime de la domestication – et donc de l’élevage. Ce que vous dites, c’est qu’il y a moyen d’imaginer d’autres rapports avec les animaux que des rapports d’exploitation.

Oui, on entend souvent que, sans élevage, les animaux vont disparaître. On entend aussi l'inverse : que sans élevage les animaux vont nous envahir. Historiquement, nos rapports avec les chiens sont des rapports d’exploitation, mais ce n’est pas parce que les relations évoluent que tout rapport doit cesser. Par exemple, il y a pas mal de gens qui vivent avec des ânes, des chevaux, des canards ou des oies sans les destiner à la boucherie. Par ailleurs, je trouve qu'il n'est pas difficile d'imaginer comment des espèces domestiques pourraient retourner à la vie sauvage. Lors d'un séjour en Corse, j’ai pu voir des élevages de cochons tellement extensifs que ... il n'y a en fait pas d'élevage : les animaux vivent dans la forêt, libres comme l'air jusqu'au jour où ils sont appâtés avec de la nourriture jusque dans les camions pour l'abattoir. Au Cap Corse, on rencontre aussi des vaches qui vivent aux abords des plages, en liberté, et qui n'ont pas l'air d'avoir tellement besoin de nous. On ne voit d'ailleurs pas très bien par quel sortilège les rares espèces que nous avons domestiquées pour l'élevage seraient - comme par hasard et parmi les millions d'espèces qui existent - les seules à avoir besoin qu'on les élève pour exister. C'est vraiment faire preuve de peu d'imagination que de ne pas parvenir à concevoir d'autres relations avec ces animaux que celles qui consistent à les engraisser pour les manger. Enfin, à mon avis.

Puisque vous êtes en Belgique, avez-vous eu des échanges avec des personnes comme Vinciane Despret  ? Chez elle, la reconnaissance de capacités propres aux animaux (intelligence, sensibilité qu’elle se plaît à décrire et à étayer d’exemples) reste conciliable avec une forme d’exploitation douce. Son point de vue fédère une audience assez large.

Vinciane Despret a eu la très grande gentillesse de participer à une interview, il y a quelques années pour notre magazine des membres. Je pense bien avoir dévoré la plupart de ses livres, qui sont en effet une mine de données éthologiques et de questionnements pertinents sur nos relations avec les animaux, et aussi sur la méthodologie des disciplines scientifiques qui les étudient. Cependant, lorsqu'on quitte ce champs théorique pour celui de l'éthique - sur la question de la captivité ou de la mise à mort des animaux, par exemple - le discours s'accompagne soudain d'un étrange relativisme, qui semble pouvoir tout justifier sous couvert de traditions ou de considérations culturelles. En termes d’éthique et de justice, ces arguments sont pour nous sans pertinence, et me semblent parfois un peu acrobatiques.

Au cours de vos missions éducatives, vous arrive-t-il de rencontrer des enfants déjà sensibilisés, végétariens ou véganes ?

Oui, il arrive de plus en plus souvent que des élèves végétariens ou véganes se manifestent, où qu'on me signale un ou une élève végane dans la classe. C'est plutôt parmi les adolescents, et généralement à l'occasion d'une animation sur le thème de l'alimentation et les animaux en élevage. C'est peut-être l’occasion pour le reste de la classe de mieux les comprendre, de mieux voir le végétarisme ou le véganisme comme un acte politique, une aide concrète apportée aux animaux. Aux yeux des autres, la découverte en classe des réalités de l'élevage industriel confère alors une certaine légitimité, une crédibilité à l'engagement des élèves qui ont fait ce choix.

Est-ce que vous abordez aussi la question écologique ?

Oui, nous proposons en primaire et en secondaire une animation qui s’appelle « Nourrir l’humanité avec l’humanité ». La production industrielle de viande y est aussi abordée en relation avec la santé humaine, l’impact sur l’environnement, la faim dans le monde. La question animale s'intègre ainsi dans une réflexion globale sur l'avenir de notre alimentation. Sur ce vaste sujet, il existe un site très complet qui est une bonne source d'informations, sérieuses et scientifiques : http://www.viande.info

Existe-t-il en Belgique d’autres associations qui font un travail d’éducation similaire sur la question des droits des animaux ?

À ma connaissance, GAIA est la seule association en Belgique à développer un programme éducatif complet sur le thème des droits des animaux, pour le primaire et le secondaire. Ce n'est pas très développé ailleurs, et je crois que nous sommes les seuls dans le monde francophone à le faire. C'est assez nouveau, mais à mon avis ces approches vont se développer d'autant plus que les programmes scolaires s'ouvriront à la question animale.

On assiste pourtant à certains endroits au développement de masters à l’université.

Oui, ce sont des modules en droit, à Strasbourg et à Limoges. On distingue généralement la notion de droits des animaux - qui est une question de philosophie morale - de la place des animaux dans le droit, qui est l'objet de ces cours. Les modules que vous évoquez visent donc à informer des futurs magistrats et avocats sur les lois et réglementations en vigueur en matière de protection animale. Il s'agit ainsi d'explorer l'état de la question animale dans le droit national et européen, dans la jurisprudence aussi, et d'ouvrir des perspectives pour des évolutions positives tant dans les textes que dans les pratiques des magistrats.

Vous seriez donc d’accord pour dire que cette culture de l’éthique animale si tant est qu’il y en ait une, il faut encore aujourd’hui la constituer soi-même. Quelles sont les lectures, les personnes qui vous ont formé en cette matière et qui vous guident ?

Je recommande tout particulièrement la lecture du Plaidoyer pour les animaux de Matthieu Ricard. C'est un livre clair, documenté et scientifique, précis et pertinent quant à la condition actuelle des animaux en France et dans l’UE, un ouvrage qui contient presque tous les autres, avec une veine humaniste et optimiste qui est souvent contagieuse. Un autre petit livre que j’aime beaucoup est celui de Peter Singer : L’égalité animale expliquée aux humains. C’est un petit bouquin d’une trentaine de pages qui explique très clairement les notions fondamentales en matière de droits des animaux. Pour le jeune public je conseille Respecter les animaux à petits pas de Florence Pinaud. Et le Science et vie junior sorti en janvier : Comment les animaux voient-ils le monde ? On y fait état des dernières découvertes ayant trait à l’intelligence et aux émotions des animaux. C’est une mine scientifique de près de 100 pages, et on n'en est sans doute qu’au début de nos découvertes sur leurs mondes mentaux et leur capacités cognitives !

Un site internet spécifique a été développé à l’intention du jeune public ?

Oui, il s’agit de Gaia kids. C’est une plateforme d’information sur la question animale : on y trouve des vidéos – pas des vidéos d’abattoirs, je vous rassure – des petits clips scientifiques, l’histoire de la gorille Koko qui parle la langue des signes, et de nombreuses autres vidéos d'éthologie. On y trouve aussi des jeux, la carte des refuges belges pour animaux, la liste des produits cruelty-free disponibles en Belgique, des infos et des conseils pour comprendre et connaître les animaux à tout âge, et pour les protéger un peu, beaucoup, ou les défendre passionnément ! Dans l'espace Parents-Profs, les enseignants trouveront des infos sur les animations de GAIA à l'école, des ressources pédagogiques et des idées de films et de lectures pour aborder la question animale en classe ou à la maison. Nous proposons aussi une exposition pédagogique, qu’on prête gratuitement aux écoles et que l'on peut réserver via le site.

Pour ce volet pédagogique de vos activités, vous recevez des subventions de l’Etat ?

Non, le travail de GAIA est financé uniquement par les adhésions et les dons : nous venons d'ailleurs d'atteindre les trente mille membres et donateurs. Nous espérons que c'est un fonctionnement qui garantit une certaine indépendance. Nous recevons aussi des legs privés, dans le cadre de testaments qui reprennent GAIA comme bénéficiaire.

propos recueillis par Catherine De Poortere


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