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Focus

Rechercher Henrietta désespérément | Théâtre National

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Mené telle une investigation à travers le temps pour faire la lumière sur ce qui fut et arriva à Henrietta Lacks, le spectacle au titre éponyme nous fait découvrir l’un des grands paradoxes de l’histoire de la médecine. En soulignant aussi bien la question de l’injustice sociale que de l’utilisation de nos corps à des fins thérapeutiques, s’expose le récit court d’une femme malmenée que l’Histoire s’est contentée de mépriser.

Qui êtes-vous, Henrietta Lacks ?

Jusqu’à hier soir, je n’avais jamais entendu parler d’elle. Dans les années 50, le monde scientifique s’était bien gardé de mettre en lumière cette femme dont les cellules cancéreuses, dotées de la capacité de se reproduire à l’infini, ont permis une avancée fulgurante de la médecine : premières cellules cultivées in vitro, vaccin contre la poliomyélite, clonage, thérapie génique… Une femme afro-américaine, bringuebalée par ses médecins, à peine soignée pour son cancer, mais utilisée, sans consentement, comme source de prélèvements pour remplir des sommes d’éprouvettes étiquetées vulgairement « HeLa ». Les premières à être démultipliées en masse, vendues et qui ont généré les bénéfices d’une industrie biomédicale naissante. Ce n’est que 24 ans après sa mort, que la famille de la défunte apprend l’origine génétique de ces cellules. Une nouvelle qui n’est pas sans soulever de sérieuses inquiétudes quant aux droits et à la vie privée des patients.

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Le spectacle ne se veut ni réaliste, ni historiquement exhaustif. Construit comme un balancement entre le personnage d’Henrietta et le Dr. George Gey, il se veut évocateur d’abord, mais surtout source de questionnement. Pourquoi une femme pauvre et afro-américaine ne peut-elle pas avoir les mêmes soins médicaux qu’une blanche ? Pourquoi l’identité de cette femme a été effacée derrière les cellules ainsi découvertes ? Jusqu’où la science peut-elle se servir de nos prélèvements à des fins expérimentales ? En matière médicale, n’est-il pas question d’éthique ? La fin justifie-t-elle les moyens ? En extirpant des limbes de l’Histoire le récit d’Henrietta, la metteuse en scène, Anna Smolar, met en évidence un paradoxe, celui d’une avancée prodigieuse de la science contre le drame social d’une femme que la société a abandonnée, voir désincarnée jusqu’à l’oubli.

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Mélangeant les registres au centre d’un décor ultra-minimaliste - comédie musicale, science-fiction, drame social - Anna Smolar évite les écueils du misérabilisme, fragmente le discours pour une non-linéarité originale. Mais alors que le spectacle débute en fanfare par une proposition de plateau télévisé plutôt drôle et inattendue, le rythme, plus faible que le propos, s’enlise. Même si on ne s’ennuie pas, les changements de registre deviennent lents et un petit resserrage de la mise en scène s’impose.

Au-delà de son rythme un peu bancal, Henrietta Laks est un spectacle qui discoure sur une thématique importante face à notre monde misérablement discriminant. La manipulation des uns, le manque de recours des autres, les paradoxes qui s’additionnent entre l’humain et la science, la question de l’identité et des origines, autant de questionnements qui se soulèvent avec la mise à nu de cette histoire que certains scientifiques aimeraient oublier. Un spectacle à aller voir, rien que pour le devoir de mémoire ou la découverte de cette injustice trop ignorée.

Jean-Jacques Goffinon

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