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Focus

Rappeuses engagées envers la cause féminine

Chilla - clip du morceau Sale chienne
Culture issue des ghettos noirs américains comme le Bronx, dans les années septante, puis des quartiers déshérités du monde, le rap se revendique comme une incarnation de la révolte des opprimé·e·s contre un système qui casse et exclut. Le rap n’a jamais eu bonne presse et serait même la musique la plus misogyne du marché ! Symboliquement ethno-racialisé, masculinisé et théâtre des fantasmes populaires, il se heurte encore souvent à des stéréotypes de genre où les filles sont souvent stigmatisées, ostracisées et pointées du doigt.

Dans les années nonante et encore aujourd’hui, pour performer, certains rappeurs exagèrent les traits de la masculinité en passant par l’exhibition et en utilisant des paroles qui vantent l’argent facile, la violence conjugale, les signes extérieurs de réussite et la subordination des femmes. Pourtant, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit rapidement qu’au milieu de tout ça, quelques rappeuses courageuses et engagées se battent envers les causes des femmes. En effet, ces dernières années, on voit émerger un nouveau rap féministe, contestataire et novateur. Celles-ci choisissent souvent d’aborder le sujet de manière frontale et percutante.

Au milieu des années quatre-vingt, les pionnières, majoritairement noires, servaient la cause des femmes en se réappropriant les codes du gangsta rap masculin jusque dans la tenue vestimentaire, empruntant les mêmes mots crus, vénaux et violents (Salt-N-Pepa, MC Lyte, Queen Latifah, Roxanne Shanté, Missy Elliott, Bo$$, H.W.A. ou B.W.P.). Véritables garçons manqués, elles parlent aussi fort, ont des armes et s’en servent, ont une vie sexuelle débridée et se livrent à des activités réprimées par la loi et la morale. On se demande ici si les outils du maestro ne pourraient pas se retourner contre lui afin de l’ébranler !

Par la suite, certaines choisirent d’affronter le machisme ordinaire d’une toute autre manière, en arborant des tenues sexy et en adoptant des comportements hypersexualisés (Nicki Minaj, Trina, Eve, Remy Ma, Lil Kim ou Foxy Brown). Ces femmes-sujets afro-américaines reprennent le contrôle de ce qui leur appartient, se réapproprient leur sexualité. Elles s’affirment en revendiquant le droit à une vie libertaire sans tabou et de disposer de leurs corps comme elles l'entendent. Ces nouvelles courbes, autrefois humiliées et moquées, se voient ici célébrées et redéfinissent les critères de beauté.

Enfin d’autres « femcees » (contraction de « féministe » et « MC »), avec un discours clairement féministe, souhaitent aujourd’hui sortir des clichés masculins du rap et questionnent la hiérarchisation des genres dans nos sociétés patriarcales (Casey, Tierra ou Chilla). Elles militent pour l’empowerment des femmes, poussent les filles à être fières de leurs différences et dénoncent les dictats de l’apparence.

Ce nouveau mouvement féministe chez les rappeuses est né en Amérique autour du mythe du « matriarcat noir » (grand classique des spectacles de ménestrels « blackface »). Il questionne également au sens large de ce que devrait être la configuration des pratiques de genre dans la communauté afro-américaine.
Les normes de genre historiquement racisées, et prônées par le mouvement Black power qui entendait « remettre le patriarcat à l’endroit », ont permis l’affirmation de l’hyper masculinité noire dirigée contre le système blanc, mais aussi envers les femmes noires désormais dénoncées comme « castratrices ». Elles ont servi de trame au développement de la culture hip-hop et gangsta rap.

Récemment en France et partout en Europe, le mouvement prend aussi de l’ampleur, suite à des revendications et des mouvements comme « Me Too » ou « Balance ton porc », qui dénoncent le harcèlement et les abus que subissent les filles.

Voici donc une playlist d’albums non exhaustive regroupant des femmes MC de caractère qui libèrent la parole, se battent pour l’émancipation, les droits et le respect des femmes :

Queen Latifah : "Black Reign"

Première rappeuse « consciente », cette pionnière révolutionna le monde machiste du hip-hop avec son album Black Reign, sorti en 1993. L’ensemble compte quinze morceaux engagés et combatifs, dont ses incontournables « Black Hand Side » et « U.N.I.T.Y », son hymne féministe. Elle est l’une des premières rappeuses à aborder les thématiques liées aux harcèlements de rue et les inégalités hommes-femmes, dans les années nonante aux États-Unis.

Yo-Yo : "Black Pearl "

La Californienne Yo-Yo, de son vrai nom Yolanda Whittaker, fut la petite protégée du rappeur Ice Cube. Dans son second album Black Pearl (1992), elle dénonce le sexisme dans l’industrie du hip-hop et plaide pour l’émancipation des femmes, comme sur le morceau « Cleopatra », où elle s'imagine en super-héroïne venue restaurer l'honneur des femmes noires. Sur son titre « Woman to Woman », elle invite les femmes trompées à ne pas se méprendre sur leur ennemi, en blâmant leur époux plutôt que la maîtresse. Sur « Hoes », elle traite de salopes les hommes qui couchent avec tout le monde, les renvoyant à leur injure sexiste préférée.

Janelle Monàe : "Dirty Computer"

La chanteuse et actrice Janelle Monàe, engagée envers la cause des femmes noires, s’est fait remarquer avec son troisième album Dirty Computer. Notre diva marie musiques R&B, pop, électro-funk, rap et afro-futuriste dont le titre « Django Jane », qui se veut une lutte contre la société patriarcale actuelle, ou le single « Pynk », une ode féminine à mettre en parallèle avec les discriminations et agressions sexuelles dont sont victimes les femmes. L’artiste originaire du Kansas aborde, à travers des messages féministes sexy, la liberté, les singularités, la politique, l’affirmation de soi et l’« empowerment ».

Princess Nokia : "1992 Deluxe"

L’artiste, marquée par les injustices faites aux femmes noires et traversée par des questions identitaires, nous raconte, d’un flow nonchalant, sa vie, son enfance chaotique, les problématiques sociales, et milite pour l’empowerment des femmes (davantage de pouvoirs pour les femmes afro-américaines). Avec sa version 1992 Deluxe, on découvre des morceaux de rap East Coast underground sombres et planants, dont les titres « Tomboy », où elle parle de son physique pour dénoncer l’hypersexualisation de ses comparses, et « Flava », une sorte d’ode à la diversité qui appelle les filles à être fières de leurs différences sans se soucier des standards.

Cardi B : "Invasion Of Privacy"

Jeune rappeuse hispanique sulfureuse (perruque, faux-ongles, tenues exubérantes...), Belcalis Marlenis Almanzar alias Cardi B rompt avec les codes du rap masculin sur son premier album studio Invasion Of Privacy . La jeune femme, qui dit préférer les repris de justice aux gradés de la finance, et avoue avoir longtemps «porté» une arme sur elle en permanence, nous livre un opus sans concession, très féministe. Les morceaux mêlent rap game, ego trip, pop, hip-hop et sonorités latines, dont les incontournables « Bodak Yellow » ou « I Like It ». Sur « From Rags to Riches », elle évoque l’émancipation et comment le strip-tease lui a permis d’échapper à la misère, aux coups de son petit copain, à payer son loyer et à se faire respecter.

Rebeca Lane : "Obsidiana"

La rappeuse guatémaltèque Rebeca Lane se sert de son rap pour lutter en faveur de la cause féministe et de la justice sociale. Avec ses albums Alma Mestiza et Obsidiana, la jeune artiste militante nous propose des chansons de hip-hop urbaines chantées en espagnol et teintées d'accents pop, R&B et caribéens. Dans ses textes engagés, elle évoque la question des genres, ses racines et les droits des femmes. Figure de proue du mouvement féministe du Guatemala et membre de la structure Somos Guerreras, elle organise des festivals et ateliers pour sensibiliser les femmes à la sororité.

Akua Naru : "The Blacket Joy"

Rappeuse poète et productrice américaine exilée à Cologne, Latanya Hinton alias Akua Naru explore ses racines et le féminisme avec son troisième album studio The Blacket Joy. Figure du rap conscient américain et passionnée par les révolutionnaires et les femmes activistes, elle nous propose onze morceaux aux multiples influences, surfant entre hip-hop, jazz, néo-soul ou musiques traditionnelles africaines. Les textes poétiques et engagés envers la cause afro-américaine évoquent l'amour, le respect, l’égalité et l'émancipation féminine, dont les titres « My Mother’s Daughter », une ode aux femmes africaines et « Black Genius », qui dénonce le fétichisme du corps de la femme noire.

Chilla : " MŪN "

Chilla, rappeuse franco-malgache, s’est notamment fait connaitre avec des titres engagés tels que « Sale chienne », « #Balancetonporc » et « Si j’étais un homme ». Cette nouvelle égérie du rap game féminin sort un premier album introspectif MŪN . La jeune femme, qui allie verbe tranchant et féminité, s’affirme ici avec dix-sept morceaux mariant rap, trap, afrotrap, R'n'B et pop. Les textes en français évoquent, sous forme de thérapie, son vécu et plus précisément la façon dont elle a dû contenir sa féminité pour percer dans l’univers sexiste du rap. Avec son titre « Bridget », elle porte un regard critique sur les réseaux sociaux et la vision du célibat dans notre société.

M.I.A. : "Matangi"

L’artiste londonienne Mathangi « Maya » Arulpragasam alias M.I.A a sorti un album engagé intitulé Matangi (en référence à la déesse hindoue). La jeune militante d'origine tamoule est née à Londres, a grandi au Sri Lanka et a dû fuir son pays pour l’Angleterre. Elle se bat avant tout pour la cause des réfugiés, les injustices sociales et l’égalité hommes-femmes. Son opus compte quinze morceaux mêlant électro, rap et world music. C’est surtout avec son titre « Bad Girl » que la rappeuse milite pour la cause des femmes de son pays. Le morceau lui a été inspiré, selon ses dires, par « ces villageoises tamoules qui conduisaient des tanks pour protéger les leurs, dans une culture où l'on est d'abord élevée pour être une épouse et une mère ».

Céline Lépinois

photo de bannière extraite du clip du morceau "Sale chienne" de Chilla