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Focus

Varia, Virginia, Lanoye et les massacres jouissifs !

QAP 7- ©Prunelle Rulens.JPG
Avec Qui a peur, Tom Lanoye revisite l’œuvre d’Edouard Albee, Qui a peur de Virginia Wolf ? et livre une pièce miroir où se reflètent aussi bien la violence dramatique d’un vieux couple rancunier et alcoolique que la critique sociale et politique de notre époque plutôt cruelle.

Aurore Fattier, qui signe cette mise en scène, prend un plaisir sadique dans la destruction, en bonne et due forme, de nos valeurs erronées. Tous les tiroirs sont ouverts, aucune dérive n’est ignorée. Les massacres y sont drôles, jouissifs, manipulateurs et communicatifs. Un plaisir coupable ?

Transpositions et trans-trav

Nous ne sommes plus dans le panoramique des années 1950 ni dans un salon middle class made in USA, mais bien aujourd’hui, en Belgique, en plan fixe devant une scène de théâtre qui rallume ses lumières après la représentation. Des lumières qui démystifient. La scénographie devient alors trop fake. Les gradins sont abandonnés et sans magie. Le lieu perd sa superbe. Froid. Sordide. L’actrice francophone vieillissante se démaquille. Elle grimace. Son mari flamand, metteur en scène quinquagénaire et épuisé, s’affale sur le canapé du décor. La guerre peut commencer.

« Par pitié, ne parle pas allemand en ma présence. Ton accent flamand est déjà assez nazi comme ça. » dit-elle comme on adresse un revers de la main. Lui et elle, c’est une vieille histoire dans un monde en décrépitude. Des années de carrière, peu de succès, une œuvre phare jouée jusqu’au dégout sur des années de survivance. Le couple n’est plus qu’un fantôme de théâtreux, grands équilibristes sur les cordes de la rancune, bringuebalant leurs flight cases emplis de misères intimes et de débrouilles. Et ça… ce n’est que le point de départ !

Devant l’adversité qui les rapproche inexorablement de la banqueroute, il faut trouver des solutions, des subventions. Alors, pourquoi ne pas prendre de jeunes acteurs issus de la diversité, pour qui l’État débourse une aide suffisante ? Oui, pour reprendre les deux rôles secondaires, lui a prévu ce soir-là une rencontre avec deux artistes issus de l’immigration. Elle n’entend pas se plier au jeu, renâcle, fait son cinéma d’actrice capricieuse. Les deux jeunes entrent en scène.

QAP 3- ©Prunelle Rulens.JPG

À travers cette nuit épique, le couple va manipuler, mentir, préjuger, pour terminer sa course violente dans une débâcle délirante de mépris et d’alcool, déballant rancœurs et souvenirs pitoyables, s’étalant tout du long sur la situation économique déplorable et les conditions théâtrales devenues ridicules. On assiste à un massacre total. Les dialogues sont cinglants, les mauvaises fois évidentes et l’humour omniprésent se fait vitriol. Le spectateur, quant à lui, jubile d’entendre si haut des choses pensées si bas !

Métaphores d’un pays blessé

En dessous de la surface, ce spectacle en dit long sur notre situation. D’abord dans la symbolique du couple franco-flamand qui ne s’entend plus, ne gardant que rancœur. Ensuite la métaphore d’un art de la scène en péril, s’effritant bout par bout et qui s’insurge contre l’injustice de son abandon. L’écho du « non essentiel » résonne de manière aiguë. Réaliste. Pour reprendre Aurore Fattier, « Avant, les acteurs étaient déjà une espèce en voie d’extinction, mais alors là, ils sont des dinosaures dans un aquarium ! »

Le spectacle aborde aussi cette politique des quotas et des financements. Une politique qui se mord la queue et fausse la donne. Choisir des acteurs issus de l’immigration sans se préoccuper de leur parcours juste parce que leur couleur de peau est synonyme de soutien financier ? Une politique inclusive ?

Enfin, il y a cette question sur la rencontre de l’autre, sur les clichés établis. Est-ce possible de mettre de côté les préjugés, les différences d’âge ? L’art peut-il servir à ça ?

Cette pièce à tiroirs est d’une grande richesse de thèmes, de tons et de polémiques. Plus nécessaire que jamais, alors que le monde de la culture n’a pas encore ouvert ses portes cette année, elle nous fait prendre conscience à quel point l’art est essentiel dans la réflexion de ce que nous sommes. Il implique la prise de recul et l’analyse, nous permet d’y voir plus clair dans ce que nous subissons. Sommes-nous toujours d’accord avec ce qui nous oblige ? Si Qui a peur ne donne pas la réponse, à la sortie du spectacle, même si nous avons beaucoup ri, la question reste en suspens…

QAP 4- ©Prunelle Rulens.JPG

Toujours debout !

Le 5, 6 et 7 mai, ces représentations au Théâtre Varia étaient ouvertes au grand public (dans le respect des mesures sanitaires) dans le cadre de Still Standing for Culture. Des représentations « illégales » selon le politique, mais importantes pour le public. Qui a peur est le spectacle frondeur adéquat qui montre combien nous avons besoin de retourner dans les théâtres, les cinémas, les salles de concerts. Si les artistes ne savent pas vivre sans nous, nous non plus, nous ne pouvons pas vivre sans eux !

Jean-Jacques Goffinon

Première officielle de Qui a peur : saison prochaine.
https://varia.be/

Spectacle à voir sur la plateforme Auvio le vendredi 25 juin 2021.

(c) Crédit photo : Prunelle Rulens

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