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Focus

Quelques questions à Laura Wandel, réalisatrice d' "Un Monde"

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Un monde, Laura Wandel, Karim Lekou, harcèlement scolaire

publié le par Yannick Hustache

Alors que sort (enfin) son premier long métrage "Un Monde", qui porte la marque incontestable d'une auteure à suivre, on a eu la chance de s'immiscer dans son agenda très chargé et de lui poser quelques questions. Attention talent !

PC : J’avais lu/entendu quelque part que ton film était une sorte de thriller à la Hitchcock filmé dans une cour de récréation ?

Laura Wandel : « Ce n’est pas comme cela que je définirais mon film que je vois davantage comme un drame social mais c’est très bien que les gens le voient ainsi, qu’ils se l’approprient. Je suis étonnée quand on me dit que mon film est thriller. La violence est d’avantage maintenue hors-champ et elle est bien plus forte de cette façon.

Je leur expliquais le début d’une situation en leur demandant d’inventer la suite puis de jouer et de dessiner la scène. Ils ont ainsi construit un scénario visuel des scènes à jouer. Il nous est arrivé de modifier le scénario en cours de tournage en fonction de ce que les enfants trouvaient et proposaient. — Lara Wandel

PC : Comment – alors que c’est ton premier film – t’y es-tu pris pour travailler avec des enfants. Comment s’est fixé ton choix pour Nora & Abel ?Quelle est ta méthode de travail? Quand avez-vous tourné le film ?

LW : On a vu une centaine d’enfants durant le casting. Au départ, je n’imaginais pas Maya (Nora) comme ça. Alors qu’elle ne vient absolument pas d’un milieu proche du cinéma, elle m’a dit du haut de ses 7 ans « moi, je veux donner toute ma force à ce film ». Je demandais aux enfants de me dessiner leur cour de récréation et les jeux auxquels ils s’adonnaient, pas des scènes à répéter/jouer. Dès que la caméra était posée sur elle, quelque chose d’énorme se dégageait. Quand à Gunther (Abel), il était plus tardif sur le casting mais dégageait une énergie pas possible qu’il m’a d’ailleurs fallu apprendre à canaliser. Pour le casting adulte, je choisi les comédiens sur lesquels je flashe. Karim (Lekou, le père), je l’avais vu dans plusieurs films. Il a quelque chose d’à la fois dur, sauvage et de débonnaire. Enfin, Laura Verlinden (madame Agnès) vient du cinéma néerlandophone . Elle possède-t-elle aussi, quelque chose de fragile et de doux.

On a tourné de juillet à aout, pendant les vacances. On a travaillé tous les weekends, quatre mois durant avec les enfants avec une orthopédagogue qui a mis en place une méthode qui a bien fonctionné : Je leur expliquais le début d’une situation en leur demandant d’inventer la suite puis de jouer et de dessiner la scène. Ils ont ainsi construit un scénario visuel des scènes à jouer. Il nous est arrivé de modifier le scénario en cours de tournage en fonction de que les enfants trouvaient et proposaient.

PC : Tu as choisi de filmer cette école comme une sorte de champs de bataille à hauteur d’enfants. Le monde des adultes, même s’il n’est pas hors-champ est vu comme au travers de lunettes pour myopes. On ne voit véritablement ceux-ci que quand ils se placent au niveau des enfants ? Comment as-tu procédé pour que les paroles des enfants sonnent « justes »?

LW : Mon objectif avec ce film était de produire chez le spectateur une sorte de retour immersif vers ses souvenirs d’enfance. Et la meilleure manière de le faire est de suivre un personnage et de ne jamais le quitter. Quand on est enfants, tout nous parait énorme.

On a développé un énorme travail en amont (voir ci-dessus) pour éviter de placer des paroles d’adultes dans la bouche des enfants. Par exemple la scène « des tartines » vient des enfants.

PC : Finalement, même si elle a ses lois propres, la cour de récré est une sorte de chambre d’écho du monde des adultes avec une certaine reproduction de ses inégalités sociales. Le père, sans emplois, les remarques des (ex) amies de Nora. Son exclusion de la fête d’anniversaire…

Lw : Jusqu’à ce moment du film, Nora ne se pose guère de questions sur ce que fait son papa (en fait, on n’en saura rien). Mais on commence à la voir remettre certaines choses en question parce que ça freine son besoin d’intégration. L’intégration à une communauté, qui est le vrai sujet du film.

PC : Dans Un monde, on voit une espèce d’évolution inversée du rapport grand frère/ petite sœur. En début de film, Nora ne quitte pas son frère d’une semelle. Puis, alors qu’Abel devient le souffre-douleur du groupe, il vient manger le midi à la table de sa sœur. Les enseignants, dans ton film, ressemblent parfois à des pompiers sociaux de première ligne : ils font face à l’urgence alors qu’ils sont débordés et seuls face aux drames. ?

LW : Abel a déjà ses copains d’école. C’est au moment où elle vient le chercher que ses potes de classe commencent à se moquer de lui. Les premiers retours que j’ai sur le film montrent que tout le monde ne voit pas les choses de cette façon, mais c’est très bien ainsi.

J’essaye, quand j’écris mon scénario de ne pas porter de jugement sur les personnages. Je n’ai pas envie de blâmer qui que ce soit. Je montre une situation que j’ai observée durant des mois en immersion à l’école. Et j’ai vu des professeurs complètement débordés.

c’est important pour moi de souligner que dans les phénomènes d’harcèlement, tout le monde, même de manière inconsciente, est ou a été tour à tour témoin, bourreau et victime. — Laura Wandel

PC : On voit que le problème du harcèlement scolaire est loin d’être facile à montrer sans éviter le manichéisme, et encore moins à combattre. On voit Abel passer successivement du statut de victime à celui de bourreau. Les bourreaux d’Abel ressemblent furieusement à des gamins comme les autres… On voit aussi toute la difficulté de constater, d’en parler et cette fameuse loi du silence.

LW : Au départ, Nora est plutôt un témoin puis elle évolue et change. Et c’est important pour moi de souligner que dans les phénomènes d’harcèlement, tout le monde, même de manière inconsciente, est ou a été tour à tour témoin, bourreau et victime. Tant que cette violence/souffrance n’est pas écoutée et reconnue, elle continue de se reproduire. Par exemple, on peut pressentir qu’Antoine (l’un des bourreaux d’Abel) a des rapports « compliqués » avec son père.

Comment fait-on pour aider l’autre dans pareil contexte ? Se plaindre auprès des adultes peut aggraver votre sort. C’est très compliqué.

PC : j’ai noté quelques occurrences avec ton premier court-métrage Les Corps étrangers. Tu nourris un rapport de fascination avec l’élément liquide et l’univers des piscines ?

LW : Il y a une notion de danger et de malaise à la piscine qui m’attire. On a tous des souvenirs de piscine terribles.

PC : ton sentiment après les premiers bons retours critiques sur ton film qui aurait dû arriver sur les écran début 2020, et le danger qu’il ne sorte en catimini sur les plateformes telle que Sooner ?

LW : Je pense vraiment que c’est un film à voir en salles. On est ensemble et on partage une émotion commune au même moment.

Questions : Yannick Hustache

Relecture : Anne-Sophie Vermaut

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