« Quand l'histoire fait dates » de Denis van Waerebeke

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publié le 20 Janvier 2021 par Daniel Mousquet

À quoi l'histoire nous est-elle utile ? Pourquoi enseigne-t-on l'histoire dans les écoles et pourquoi des documentaires historiques ? Et quand les dates font-elles l'Histoire ?

Sommaire

Quelle est l'utilité de l'histoire ?

La connaissance du passé nous permet d'éviter de reproduire les mêmes erreurs. Or, l'humanité a été informée des atrocités perpétrées jadis et cette connaissance n'a pas empêché l'apparition de nouvelles guerres, de génocides, de dictatures ou autres horreurs. La connaissance, la compréhension et la culture n'ont jamais stoppé les massacres.

Aussi est-il dangereux d'établir des parallèles entre les événements passés et actuels. L'histoire ne se répète pas (ou du moins pas à l'identique, avec un autre contexte, un autre espace, d'autres intervenants).

Si l'histoire a pour but de nous proposer des modèles, des guides moraux ou politiques, des personnages vénérables, alors elle freine tout progrès humain par une conception sacrifiant l'exigence de véracité au souci d'édification. L'enseignement de l'histoire ne peut pas se substituer à des leçons de morale. Et en présentant les faits et les personnages de façon manichéenne, on risque bien de créer des mythes, des fictions poétiques et des contes tantôt merveilleux, tantôt effrayants.

Alors quelle est l'utilité de l'histoire ?

Sans doute, celle d'éveiller l'esprit critique, d'évaluer le passé et de le confronter aux idées et aux événements actuels.

Celle de mieux connaître le passé pour mieux se connaître soi-même.

L'histoire est avant tout humaine : elle fait appel à nos facultés de recherche, de réflexion et de jugement. Elle nous nourrit aussi d'émotions, que nous devons apprendre à gérer sans les occulter.

L'humanité qu'elle révèle dans les événements passés, elle la restitue dans le présent, en éveillant notre curiosité et surtout notre réflexion, afin que ce long progrès de la raison humaine puisse nous permettre de choisir de nouvelles directions et de nouvelles valeurs.

Il ne s’agit pas de chercher dans le passé matière à se rassurer, se conforter, se réidentifier à nos ancêtres, à la continuité, à la nation, etc., mais à penser notre propre rapport au présent (1) — Patrick Boucheron

Quand une série documentaire historique fait-elle date ?

La série documentaire Quand l'histoire fait dates a pris le parti de « faire sens », d'ouvrir cette réflexion et d'éveiller la curiosité et le sens critique.

Et l'on ne pouvait choisir autre historien et pédagogue que Patrick Boucheron.

Professeur à l'université Panthéon-Sorbonne, puis au Collège de France, cet insatiable féru d'histoire collabore au magazine L'Histoire et au journal Le Monde, intervenant également et régulièrement sur France Culture.

Mais ce qui fait date est sans nul doute l'Histoire mondiale de la France (2017), dont il a dirigé la publication, entraînant avec lui 122 historiens pour construire une autre histoire de la France, non pas nationaliste mais qui « ouvre la focale pour conter une histoire au niveau des hommes, englobant aussi bien les paysages que les dérèglements climatiques, la littérature que les découvertes scientifiques ou les échanges économiques. » (2)

C'est dans le même esprit progressiste et vulgarisateur que Patrick Boucheron présente la série documentaire Quand l'histoire fait dates, diffusée sur Arte depuis 2017.

Quand certaines dates font-elles l'histoire ? Certainement quand elles font sens, quand elles titillent notre curiosité, quand elles évoquent déjà des images en nous-mêmes. Mais aussi quand elles nous sont inconnues et que nous désirons étancher notre soif d'apprendre.

La réalisation du documentaire a tout mis en œuvre pour garder une intimité et une proximité bienveillante. Patrick Boucheron est le prof d'histoire que nous avons toujours rêvé d'avoir.

Sur fond noir, à gauche de l'écran, assis sur un ruban d'images colorées empilées, il suscite notre questionnement et s'adresse à notre raisonnement autant que son enthousiasme et sa passion s'adressent à notre cœur. On le sent habité par ce qu'il nous fait découvrir et c'est terriblement contagieux.

Les dates choisies font le tour du monde (La Mecque, Pékin, Athènes, le pôle Sud), parfois évidentes (l'an mil, 4 juillet 1776), parfois obscures (la bataille de Panipat, menée par le roi moghol Babur). Quelquefois, la date choisie est incertaine, comme la fondation de Rome. L'historien alors s'interroge : de quand date la date de la date ?

Le canevas des épisodes de la saison 2 est semblable à celui de la première saison. En introduction, on voit apparaître la date et l'événement. L'historien pose les premières questions : que devons-nous à ce fait historique ? En quoi est-ce que cet événement fait date ?

Ensuite, en partant de l'évocation format carte postale, Boucheron décortique le sujet de l'épisode, le situe dans l'époque, l'alimente par d'autres faits antérieurs ou postérieurs, sème le doute quant à la véracité supposée de la datation ou de l'événement lui-même.

Il nous mène dans les lieux, à travers le temps, et exploite toutes les sources possibles : les écrits, les dessins, les mosaïques, les photos, les gravures, les statues..., tout ce qui peut nous aider à mieux comprendre l'événement.

Souvent par des images, des photos et plus rarement par des extraits de films, nous remplissons notre diaporama interne d'images porteuses de sens.

Au bout de quinze minutes environ, place est faite à un spécialiste, souvent un historien ou un archéologue, qui, grâce à ses recherches plus pointues, donne un nouvel éclairage à l'événement.

Enfin, après avoir parcouru brièvement ce qui se passe dans le reste du monde à la même époque, Boucheron ouvre la voie à d'autres questionnements : que reste-t-il de ce fait historique ? Quelle est sa relation avec le présent ?

Posons-nous maintenant la question de savoir si cette série documentaire fait date ou non.

D'autres émissions historiques ont marqué le petit écran, les historien·ne·s Georges Duby, Henri Guillemin, Alain Decaux et Régine Pernoud ont eu un succès médiatique important, des années 1960 aux années 1980. Les émissions étaient consacrées à des grandes figures historiques (Jeanne d'Arc, Napoléon), des événements marquants de l'histoire (révolutions), des périodes (Moyen Âge, Renaissance) ou la place de la femme au temps des cathédrales.

Il aura fallu attendre 2017 pour retrouver un historien plus généraliste, orienté davantage vers le monde dans une série documentaire qui donne du sens aux dates et à l'histoire. Une série qui fait et fera date.