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Focus

« Protest Song » de Yves Delmas et Charles Gancel

Protest song

Etats-Unis, livre, années 1960, protest song, Révolte !, Le Mot et le Reste, Charles Gancel, Yves Delmas

publié le par Anne-Sophie De Sutter

Une décennie (1961-1972) de chansons contestataires aux États-Unis.
« Ce livre n’est pas un livre d’Histoire mais d’histoires, ce n’est pas un documentaire, mais un concert. » — Yves Delmas et Charles Gancel

Il y a différentes manières de raconter l’Histoire : le plus simple est d’énumérer des dates et des faits dans une longue liste un peu indigeste, mais il est possible de leur donner vie au travers d’éléments sociologiques, économiques ou culturels. Dans Protest Song, Yves Delmas et Charles Gancel ont choisi l’angle de la chanson de protestation pour raconter l’histoire des États-Unis. Tous deux sont dirigeants d’entreprise mais sont de fins connaisseurs de la culture musicale américaine des années soixante et cela transparaît dans cet ouvrage.

Les auteurs ont choisi une période limitée, de 1961 à 1972, ou de l’arrivée de Bob Dylan à New York à Joan Baez chantant sous les bombes américaines à Hanoï. Cette période est marquée par trois grands mouvements : la lutte pour les droits civiques, la contre-culture et l’opposition à la guerre du Vietnam. Les États-Unis sont sortis de la Seconde Guerre mondiale depuis plus d’une décennie et connaissent une période de prospérité inédite jusqu’alors. Les jeunes vivent une adolescence souvent dorée, mais surtout, ils veulent s’affranchir des carcans désuets du passé. La musique – le rock et le folk – leur permet de trouver une voix, de s’exprimer haut et fort à un moment où la société américaine est fortement divisée. Les Noirs, tenus à l’écart par la ségrégation et le racisme des Blancs, revendiquent leurs droits tandis que l’Amérique s’enfonce au Vietnam dans une guerre de moins en moins défendue et voulue par la population. Dans le livre, ce sont les chansons qui sont le fil rouge pour mieux comprendre cette époque. Au cours de la décennie, les styles musicaux évoluent, les textes porteurs de sens, dominants dans un premier temps, sont abandonnés au fur et à mesure et les guitares électriques véhiculent des émotions de plus en plus brutes.

Tout commence donc en 1961. Bob Dylan arrive à New York et chante dès le premier soir des textes de Woody Guthrie dans un club de Greenwich Village. Cet événement permet un retour en arrière, vers les sources du folk et les premières chansons contestataires, composées par Guthrie, mais aussi par Pete Seeger et bien d’autres. Ces morceaux sont essentiellement acoustiques, mettant en avant les textes. Divers sujets sont abordés, les conditions sociales, la vie des travailleurs, l’écologie, mais aussi la question des droits civiques qui a pris de l’ampleur dans les années 1950 quand Rosa Parks a occupé un siège réservé aux Blancs dans un bus.

Une révolution musicale s’annonce : les Beatles déferlent sur l’Europe et les États-Unis, et dès 1965 commence un nouveau chapitre dans l’histoire du protest song (et une seconde partie dans le livre). Quatre éléments vont bouleverser ces quelques années, jusqu’en 1968 : la naissance du folk-rock, la guerre du Vietnam, la radicalisation noire et la contre-culture. Bob Dylan abandonne sa guitare acoustique, au grand dam de ses fans, et se tourne vers un rock très électrique, et beaucoup moins contestataire. C’est l’ère du folk-rock qui ne sera finalement qu’une courte parenthèse, d’autres mouvements prennent le relais. La guerre du Vietnam bouscule en effet le paysage musical. C’est la première fois que musique et guerre sont autant liées : le marché est en pleine expansion, les soldats peuvent écouter les multiples radios mais aussi les cassettes qui se copient facilement. Il y a la musique du front mais aussi les compositions pacifistes et anti-guerre qui soutiennent les grandes manifestations contestataires au pays.

À cette même époque, le mouvement noir se radicalise avec notamment la création du parti des Black Panthers mais aussi la voix d’Aretha Franklin qui demande haut et fort plus de « respect » pour les femmes afro-américaines. La question de la libération sexuelle et l’égalité entre femmes et hommes est d’ailleurs abordée à divers moments du livre.

La contre-culture prend forme, avec une bonne dose de drogues et un mouvement hippie qui se focalise sur le « peace and love ». C’est le début des grands festivals et l’apogée d’artistes comme Grateful Dead, Janis Joplin et Jimi Hendrix.

La troisième partie du livre, de 1968 à 1972, est marquée par un déclin progressif des protest songs ; les guitares électriques prennent le dessus, oblitérant quelque peu les textes. C’est une période de violences et d’un durcissement politique. Le festival de Woodstock est vu comme le chant du cygne du mouvement hippie, Martin Luther King est assassiné, le parti des Black Panthers est dissous, Nixon entre dans un contexte d’escalade guerrière, des fusillades ont lieu, comme celle de l’université de Kent où la Garde nationale a tiré sur des manifestants pacifistes, et les chansons de protestation disparaissent d’elles-mêmes du répertoire, laissant la place au disco.

Les dernières pages du livre analysent les sursauts de la chanson contestataire, notamment dans le business du charity rock et des grands concerts à vocation humanitaire pendant les années 1980.

Il a fallu plus de quatre cents pages pour décrire dix ans de protest song aux États-Unis, mais Yves Delmas et Charles Gancel ont réussi à écrire une fresque historique et musicale très agréable à lire, et surtout très complète, citant de nombreux artistes et analysant des textes de chansons très diverses, du folk, du rock, du blues, de la soul… (en version originale, avec une traduction en français). C’est un livre indispensable pour mieux connaître cette décennie qui a changé le visage des États-Unis.


Texte : Anne-Sophie De Sutter

Yves Delmas et Charles Gancel, Protest song. La chanson contestataire dans l’Amérique des sixties, Le Mot et le Reste, 2012

https://lemotetlereste.com/musiques/protestsong/