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Focus

9ème Biennale de Photographie en Condroz : le plein de bonnes ondes

Vibrer Biennale Ferme de Carine Vrancken Ossogne Photos du stage

café, photographie, parcours photographique, photos à la ferme

publié le par Pierre Hemptinne

La 9ème édition de la biennale a fermé ses portes. Un très bon cru. Une fois de plus, l’alchimie a fonctionné : autre chose qu’une accumulation de photos. Un dispositif qui régénère nos rapports à l’image. Retour sur une immersion riche en vibrations positives.

Bonnes ou mauvaises vibrations ? Comment savoir ? Peut-on choisir ?

Quelles sont les vibrations qui nous ancrent ici ou là, dans une topographie paysagère ou mentale, qui nous déportent vers d’autres idées ou d’autres formes, qui organisent nos parcours de vie et de sens ? De ces vibrations, quelle est la part qui émane de nous-mêmes, des autres, des choses, des configurations invisibles qui régissent les flux de vie ? Et comment toute cette vibrologie se traduit-elle dans la production d’images, spontanées, imprévues, non voulues ou au contraire, recherchées, guettées, bricolées savamment, fabriquées patiemment, recourant à des techniques de pointe ou plutôt anciennes, détournées ? Comment ces vibrations nous apparaissent-elles en évidence pour constituer un patrimoine vibrant, un conservatoire retraçant les généalogies de ce qui nous motive à aller de l’avant ? Faire apparaître cela sur des photos relève probablement du même exercice qui consiste à saisir la réalité des fantômes, des esprits, des extra-terrestres, c’est souvent en photographiant autre chose que cela va se révéler, parmi des objets innocents, le flottement d’êtres qui se cherchent, des corps simplement immergés dans leur présent perdu, les lignes inattendues d’un paysage, les ombres peuplées d’un intérieur. C’est une part de cela que la Biennale veut saisir, en tout cas, avec cela qu’elle invite à renforcer des liens, à propos de cela qu’elle souhaite stimuler une prise de conscience urgente dans un monde de plus en plus figé, voire pétrifié par le poids de la rationalité économique néolibérale qui envahit tous les domaines de la vie, publics et privés, organisant un vaste désenchantement et une impuissance à relever les défis, notamment climatiques. Pour autant, si « les vibrations sont partout, nous sommes en elles et elles sont en nous », comme l’écrit Emmanuel d’Autreppe en introduction au catalogue, il y a de bonnes et de mauvaises vibrations. Beaucoup de nuisibles – dont les plus médiatisés actuellement sont Bolsonaro, Salvini, Francken – se nourrissent et se propagent par vibrations aussi et, dans leurs zones d’influences, « s’émeuvent ensemble » aussi. La Biennale, sans aucun autoritarisme ni prêchi-prêcha d’aucune sorte, dans une série de lieux culturels, cultuels et intimes, fait affleurer une constellation de ces vibrations qui nous connectent à tout ce qui ne se voit pas et aident à voir, entendre, sentir, comprendre – à « viser un monde sans cible » –, pour faire émerger une société tolérante, soucieuse des différences et des minorités, de tous les fils visibles et invisibles qui tissent une réelle attention à soi et aux autres (humains et non humains).


© Jacky Lecouturier - Oeuvre de Nathalie Amand

© Jacky Lecouturier - Œuvre de Nathalie Amand

Un réduit plein d’enchantements, de souffles retenus, sexe et vanité, Éros et Thanatos, vibrations au fondement de toute image

Au Centre culturel de Marchin, voisinant l’accueil où l’on reçoit guide, plan et cordiales indications, un cabinet obscur où luisent le genre d’images qui furent longtemps interdites, cachées, échangées sous le manteau, des photos de nus féminins, culs, sexes, seins, hanches, reins cambrés, jeux de bas sur chair, jambes ouvertes, transformisme surréaliste. Une manière de renvoyer aux sources des ondes « inavouables ». Il s’agit de quelques-uns des « hommages licencieux » de Nathalie Amand, reprises de poses et de genres célèbres, commentaires iconiques, autant que « retour à l’envoyeur », réappropriation de protocoles d’exhibition codés par les hommes, repris par une femme. Et, même si on peut s’y tromper, ça change tout et ouvre une perspective vers de nouvelles manières d’aborder le nu. Le tout, installé avec vitrines intrigantes, merveilleux piège à voyeurisme (dispositif où la vibration de voir est à son comble), objets, collages, membres de mannequins, oiseaux empaillés, curiosités et natures mortes, vanités. Actualisées. Éros et Thanatos, le décor est planté, rien ne vibre sans conflit, sans antagonisme qui lui permet de se maintenir, de tresser un fil, aucune vibration ne persiste sans proximité rivale. Voyez (dans une salle, plus loin) ce couple enlacé dans une gare, l’homme qui regarde sa montre. Cet autre couple sortant d’une salle d’exposition, le mâle se retournant pour regarder une solitaire absorbée par les œuvres accrochés au mur (Ángel Marcos).

Quand la photo sème le doute, égare la réalité de ce qu’elle montre, les vibrations cherchent, palpitent

Elle aimante, la grande photo de couchant urbain, jaune solaire et pollution métallique, où un avion dans le ciel inscrit son sillage dans un ciel nuageux, marqué par les reflets circulaires d’un éclairage intérieur – les luminaires d’un plafond reflétés dans la vitre à travers laquelle la photo est prise ? –, comme cherchant à échapper à une invasion de soucoupes volantes. Il y a fusion entre ciel extérieur, paysage intérieur, réalité, croyances et fantasmes, et c’est dans l’improbable rapprochement de ces plans que quelque chose d’inattendu palpite, dans la nasse excitante de ces « pièges à l’œil », pour reprendre l’expression qui caractérise souvent le style de Sébastien Reuzé. En face de ce grand format cosmique, s’opère une sorte de retour vers l’humus. Le sous-bois fourmillant d’un tapis éclatant et vibratile d’ail des ours, comme un autel de célébration d’offices sauvages, voisine, d’une part, avec un groupe d’arbres qui semblent pencher et tomber – à la manière d’un Mikado – avec un ou deux troncs déjà effondrés, en travers de l’alignement et, d’autre part, avec le portrait de ce que l’on rapproche d’un ermite voguant parmi les épaves entassées, les fourrés, dans cette enclave éphémère, abris de fortune. Voilà, à l’écart de l’agitation consumériste obnubilée par la croissance, des lieux et instants simples de reconnexion, de dépouillement et ressourcement. À cet homme des bois des temps actuels, échappé du monde matérialiste, fait écho un nu de Damien Caumiant, visible dans l’église d’Ossogne, vu de dos, traversant des fourrés d’hiver, et y restant immobilisé, faisant corps avec le tressage végétal, la chevelure déployée, corps formant là un cocon, cherchant son destin chrysalide, enfouissant un besoin de transformation, de passage lustral égratignant la peau.


De la fascination des vedettes aux archives d’émois populaires en région liégeoise, en passant par la vie atemporelle de petits bistrots flamands, populaires

La présence des œuvres de Renaud Monfourny rappelle à quel point la photo a cultivé et entretenu les émotions suscitées par les célébrités artistiques, rapprochant les fans et les admirateurs-trices, de la personnalité qui les fascine. L’artiste réussit à le faire en dépouillant partiellement les stars de leurs auras rigides, télévisuelles, leur restituant une inhabituelle humanité éloignée de leur rôle principal, une force de frappe qui peut déstabiliser. Cette veine – investigation des vibrations reliant vedettes et publics – est complémentée, à un autre endroit de la balade, par les archives d’une agence de presse liégeoise (fonds Desarcy-Robyns). Une sélection de clichés épatants, un échantillon de regards sur ce qui faisait vibrer le peuple, petits ou grands événements. Avec une empathie juste et un souci esthétique rare qui n’ont rien à voir avec la démagogie qui fleurira dans les médias de masse. Une manifestation féministe, une tribune de supporters de football (RFC Liégeois, 1950), un couple réuni à la libération, le portrait de Miss Province de Liège (1948), une bande d’enfants (Home de Mont-Comblain, 1950) égayés sur un chemin de campagne, une foule massée lors de la question royale (1950)… Des gens qui, un instant, se trouvent synchronisés avec une temporalité historique et vibrent avec quelque chose qui les dépasse (ou la font advenir). A l’opposé, sur une tangente savoureuse et touchante, le reportage de Jef Van den Bossche dans les bistrots réussit à saisir les histoires à l’écart de tout historicisme dominant, ces bouts de connivences banales, d’excentricités quelconques, qui aident à vivre, inventions de familles de substitution, moignons romanesques savoureux. Ainsi, cette épatante image d’une vielle dame attablée devant son Sprite et qui salue un monsieur qui passe à l’extérieur..., leurs mains levées vont toper à travers la vitre. Où l’on voit des trognes angoissées, surgies de la nuit, qui marquent un arrêt avant de pousser la porte, jettent un regard pour identifier qui est là, pressées de retrouver le cocon du bar, une bulle hors du temps. On joue aux cartes ou au Loto, on improvise une danse, une vieille dame coupe un bout de saucisson, on exhibe fièrement l’inscription sur son bide, et la bière on en redemande… Les vibrations au plus près des tripes et de leurs vérités rêvées, barges.


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© Jacky Lecouturier - Œuvre de Colin Gray


Raconter un amour dans son quotidien familial, jusqu’à la mort. Retrouver le regard suspendu d’enfants du XIXème siècle, prendre la mesure de productions vibratoires intenses de certaines époques révolues, pas si lointaines

La famille, c’est un peu comme le bistrot, une institution où se distille de bonnes ou mauvaises ondes. Quand tout se met bien, elle permet de résister, trouver sa raison d’être, elle est le foyer où se forment et se transmettent les gestes d’attention, de soins affectifs, les connivences banales, voire routinières, qui illuminent néanmoins les existences nouées ensemble. C’est ce que documente Colin Gray en suivant la vie aimante de ses parents, jusque dans la prise en charge partagée de la vieillesse, de la maladie, la dégradation des corps, les tristesses. Un fil narratif qui ne cache rien, tout en restant pudique et qui souligne le contraste avec la gestion de plus en plus déshumanisée des hôpitaux. Avec Evenepoel, peintre et photographe (1872-1899), on s’immisce en noir et blanc dans une autre intimité familiale. Surtout pour fixer le regard d’enfants, souvent alités, ensommeillés ou malades, arrêtés dans leurs jeux, regroupés autour de la mère, interrogatifs dans l’immobilité de la pose, comme questionnant ce qui leur arrive, étonnés d’être là. Lits cages, empilements d’oreillers et de matelas, réservoir d’eau chaude dans la chambre, cadres au mur, cheval de bois, vaisselle et bouteilles sur la table, tout renseigne sur un agencement mobilier typique de l’époque, cocon à travers lequel l’enfance cherche à capter le monde. Christian Cadet livre une autre contribution significative à une archéologie des vibrations sociales. Scènes urbaines, rues commerçantes avec le chaland représentatif de la mode vestimentaire, ou en banlieue avec un ouvrier sur le pas de sa porte, paysage d’usines ou de campagne, il a photographié intensément son époque, l’état du monde à un moment précis tel qu’il se traduit dans le quotidien de tout un chacun, et en a conservé intacte la force vibratoire, pas univoque mais secouée de contradictions, de forces antagonistes reflétant la réalité des classes sociales, avec, en toile de fond, l’esprit de libération avec ces nudistes dans une rivière d’Ardèche. Magnifique photo où, probablement sans que ce soit perceptible à l’époque, fusionnent l’éphémère et l’universel intemporel : deux touristes lisant leur gazette devant une grande affiche annonçant la sortie du film Les Dents de la mer. Il était important de redonner une actualité à ce travail photographique, chez Linda Duval et Philippe Carton, qui en parlent si bien, dans un intérieur qui pourrait avoir été déniché dans une photo de Cadet.


Panorama sans titre -Renaud Monfourny

© Jacky Lecouturier - Oeuvres de Renaud Monfourny

La photographie et ses techniques voisines, dessin, peinture, fusion d’objets. Pour une fabrique d’images hybrides, plus large, plus proche de la part intérieure, neuronale, de toute image

La Biennale, dédiée à la photographie, ne se laisse pas enfermer dans un programme pour photographes experts ou fétichistes du matériel. Elle élargit le champ aux différentes techniques, à la mixité de techniques qui permettent de produire des images. Elle ouvre ainsi le champ des vibrations possibles et c’est bien utile quand il convient au fond d’enrayer le face à « face à nos écrans plats, aux graphiques économiques secs ». Plusieurs artistes présentent des recherches où photographier ne fait sens qu’associé à d’autres techniques, le dessin, la peinture, le bricolage réunissant objets trouvés, papier photosensible et lumières, les rudiments de la magie. Et ça en dit long sur la pratique photographique qui, avant le maniement d’optiques, de chambres, de vitesse, de capteurs de lumière, est une « imagerie mentale ». Il y a les compositions raffinées, minimalistes, de Babs Decruyenaere, des jeux d’ombre, en équilibre, de fragments de mobiles immobilisés. Elle collectionne des objets naturels trouvés – feuilles, coquillages, bouts de bois, écorces – et les assemble en délicats ballets tremblés, des calligraphies abstraites, sur du papier photosensible ensuite exposé à la lumière. C’est ce qui donne à ce noir une consistance et une profondeur si charnelle, de chair aérienne. Arpaïs Du Bois, de son côté, explore les convergences sensorielles et cognitives entre photo et dessin. « Pendant dix ans, jour après jour, tous les soirs, elle a posté en diptyque une photo et un dessin. » Photos de matières, d’objets empilés, de mobiliers vus sous des angles déconcertants, des fragments de machines, des captures de lignes dans un décor, la traînée d’un animal, les palmes d’une plante exilée… En vis-à-vis, elle dessine une traduction, pas une copie ni une reproduction du réel, mais la saisie des formes, couleurs, rythmes et vibrations de ce que cette chose photographiée, qui a arrêté son regard, provoque en elle. Ce « journal visuel » de dix ans constitue des archives d’émotions brutes, instantanées, une syntaxe à élucider et reste le matériau principal de ses travaux récents, formes, taches, couleurs et textes qui semblent répertorier lentement une étude bachelardienne des ondes qui lui sont vitales. Mégane Likin aussi photographie et peint. Les photos semblent de la matière brute, surfaces vivantes en train de muter, de sans cesse faire émerger ce qu’elles représentent : lumières, ombres, silhouettes sylvestres, spécimens floraux, herbes et lisières, les choses semblent s’incarner, faire des plis dans le papier impressionné. Des plissements sensoriels qui se prolongent dans les peintures sur bois, des textures végétales, des cimes, des stries géologiques, des traînées gazeuses et poussières stellaires ondoyantes, des éblouissements sombres, des souvenirs épanchés, troubles et tremblants dans des gouffres, des textures peintes palpitant au rythme des lignes du bois, des textures de peaux tannées, de tissus vivants bosselés d’hématomes émotifs, des fumigations littéraires tramées d’apparitions (la façon d’écrire en images brutes dans le fond de sa caverne neuronale). Coupes transversales dans des tumeurs mémorielles. De petites peintures perdues, retrouvées en grattant d’autres toiles, énigmatiques. Des palimpsestes qui ne dévoilent qu’une de leurs innombrables couches avec lesquelles il semble possible de nourrir un dialogue silencieux sans fin. Un petit pan de luminosités et odeurs proustiennes par un peintre oublié (hollandais du XVIIème siècle).

De son côté, Sarah Seené réalise systématiquement des portraits de personnes aveugles ou malvoyantes, elle montre ceux et celles qui ne voient pas. Elle joint à l’exposition un descriptif succinct de la pathologie à l’origine de la cécité ou de la dégénérescence optique. Les portraits sont accompagnés d’un descriptif en braille : et voilà, des images que l’on ne voit pas, qui s’allumeront dans le cerveau d’un·e aveugle dont les doigts liront le texte (par ailleurs illisible pour la plupart des visiteur·euse·s).


Ce n’est pas qu’un parcours. Un programme complet de sensibilisation à la création et au regard sur ce qui fait photo. Avec des stages, des ateliers, des animations, des résidences d’artistes.
Matthieu Marre était le résident de cette édition. Il livre une installation faite de limbes, d’images ectoplasmiques, à l’étage d’un moulin.

Matthieu Marre a bénéficié d’une résidence d’une année à Marchin (et alentours). Il a pu se rendre réceptif aux ondes qui traversent la région, les paysages, la nature et l'agriculture, l’habitat, les habitants, le tissu social, le passé affleurant, les pistes d’avenir, tout en connectant ce qu’il récolte de ce territoire singulier à ce qu’il connaît d’autres territoires, intérieurs et extérieurs, où se déroule sa vie. Il cristallise dès lors les différents aspects de la thématique entre son imaginaire intime et celui collectif, sédimenté en innombrables autres imaginaires, humains, non-humains, végétal, animal, technologique, où il se trouvait immergé – sans en faire une exégèse, parfois juste pour laisser s’épanouir un ressenti à l’état brut. Il investit l’étage d’une ancienne meunerie, un véritable bric-à-brac muséal, et a mis en scène le résultat de ses investigations dynamiques dans une esthétique fantomatique, tout est fixé (le regard se pose bien sur un certain achèvement du travail), mais tout reste de passage, juste des apparitions qui se superposent partiellement, s’interpénètrent par transparences, reflets, points aveugles. Les images sont imprimées sur des toiles, suspendues, tendues ou souples, chiffonnées, évoquant des apparitions qui se produiraient dans les poussières de farine, traversées d’autre part de faisceaux lumineux multidirectionnels provenant d’une batterie de spots qui aveuglent aussi, désorientent l’œil spectateur. Des trames forestières intemporelles, de petits moments concrets, prosaïques, des mains occupées à des tâches traditionnelles (style broderie), une tapisserie comme témoignage du passé et toile de fond de visages très actuels (formant presque une anachronie), un corps enroulé dans ses draps chiffonnés (monument à la fuite têtue vers le rêve insondable), un feu dans la nuit, un visage trempé dans une douche carrelée, une île aveuglante trouant les frondaisons, une nudité écartée, une silhouette noire pâle en lévitation, une confusion organisée des cinq éléments. On évolue là dans la pénombre, l’aveuglement, on se faufile entre ces sortes de suaires portant traces de différentes formes de vie, et il semble que l’on marche dans le labyrinthe d’une seule photo déployée dans l’espace.

La Biennale, un seul grand dispositif vibratoire. Tout compte, tout ce qu’il y a entre les lieux d’exposition, le temps passé en promenade, propice à la rumination, au développement des impressions que laissent les photos en chaque subjectivité

La place manque pour rendre hommage à chaque exposant·e, chaque photo. Tout mériterait d’être replacé dans un fil narratif. Il y a les beaux travaux d’un stage, exposés dans une vaste serre et les murs d’une entreprise agricole. Il y a le résultat épatant d’un atelier réunissant des artistes déjà chevronnés, exposant sous un intitulé collectif, à l’étage d’une buvette installée dans une brocante, qui affole les mirettes. Il y a les échanges à distance entre Marie Sordat et Damien Daufresne, réunis à l’étage d’une remise avec une luminosité rare, une charpente artisanale, des murs sans apprêts. Le lieu est respecté, il n’est pas adapté au standard d’une galerie spécialisée dans la photo, il est choisi pour dialoguer avec les œuvres qui y sont montrées, il garde son âme. C’est cela aussi la Biennale. Non pas une organisation conventionnelle où l’on se trouve face à une série de photos, mais un environnement où l’on s’immerge, où l’on est entre les photos – le temps de latence entre chaque lieu, moment pour assimiler, cheminement pour se préparer à la suite –, des visites de corps de logis, la montée et la descente d’escaliers, des fenêtres qui cadrent le paysage et interpellent comme un tableau, où est favorisée, stimulée, la gestation de sa propre imagerie mentale, à partir des images de ces artistes toujours choisis avec beaucoup d’âme. Le récit interprétatif, que chacun·e ébauchera de ce qu’il a vu, va se construire organiquement, du fait de la manière d’agencer l’ensemble du projet, qui favorise les rebonds entre œuvres, entre lieux, et la manière d’ancrer le ressenti dans un territoire spécifique. En ce qui me concerne, le rappel inaugural de la part de vibration sexuelle dans tout désir de regarder – héritage d’une culture machiste –, et le bouleversement lent et progressif face aux peintures de Mégane Likin vont influer sur la lecture de l’ensemble de ce qui est exposé. Pierre Mossoux, croisé lors de la visite-promenade, interpellé sur sa perception de cette neuvième édition, soulignait de très belles alchimies entre les lieux choisis, les œuvres sélectionnées pour y rayonner et vibrer, les artistes, les habitants, et de très beaux retours des personnes venues voir. Une réussite sans ombre à saluer sans réserve ! Un seul regret, d’ailleurs récurrent : l’idéal serait de repasser, ne pas se contenter d’une seule balade. A prévoir pour la prochaine édition.

Pierre Hemptinne


9e Biennale de photographie en Condroz
Du 3 au 25 août 2019
Marchin – Ossogne

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