Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Focus

Mijade, un éditeur de livres pour enfants à Namur

Mijade illustration de Guy Servais
Le dessin et la couleur tout autant que de belles histoires sont l'âme de ces livres qu'on aurait tort de croire réservés aux enfants

Sommaire

« — Elle offre un moyen sûr de renouer avec cette sorte d’abandon qui rend le rapport au monde si désirable chez l'enfant. — »

Des livres — pour enfants ?

Tout petit, l’enfant aime tester la résistance du papier contre ses mâchoires, il s’en délecte mélangé à de la salive. Identifiant certaines formes il s’exclame, rit et, le doigt écrasé contre la page, se met en bouche quelques morceaux de vocabulaire naissant.

Le livre devient un ami, c’est un doudou, compagnon des nuits et des promenades. Doudou, il est légion et il est unique, absolument nécessaire et glorieux. Monde dans le monde dont il ne se distingue pas. Les personnages, le décor, les éléments d’intrigue, le contexte extérieur, la voix qui raconte : une même plénitude les embrasse, une même radicale ferveur les possède.

Les qualités d'une écriture, d'un trait ou d'une mise en couleurs comme la justesse d'un propos sont des aspects du livre qui ressortent peu à peu lorsque celui-ci change de statut. Défini comme objet, support de fiction, il attire, rebute, parle ou ne parle pas. Le lecteur qui, sans doute, n’est plus un enfant, perd la capacité d’en jouir comme d'un être dont il se sentirait compris.

Et pourtant… Mise au rebut, serrée dans des cartons, silencieuse et patiente, la littérature enfantine conserve, comme un secret bien gardé, un peu de ses anciens pouvoirs. Fût-ce par les mécanismes primitifs qu’elle réveille au seuil de la mémoire,  elle offre un moyen sûr de renouer avec cette sorte d’abandon qui rend le rapport au monde si désirable chez les plus jeunes.


Mijade 3

Sait-on jamais ce qu’un enfant a dans la tête ? On sait en revanche que le temps finit par nous mettre à distance des bibliothèques. La quantité de livres en attente d'être lus nous rend fous quand elle ne nous décourage pas d'aller vers eux. Ces vastes pans de bibliothèque abandonnés, des chemins moins régressifs peuvent encore nous y conduire. Ainsi par exemple du goût pour l’illustration – dessin, couleur, matière – qui anime Mijade.

Et d'abord, d'où vient ce nom, Mijade ? Simplement d'un acronyme familial : MIchel (le "père" fondateur des éditions), Jordan (son fils), Aline (sa fille) DEmeulenaere.


La chenille qui fait des trous : itinéraire de l'éditeur

Éditeur, Michel Demeulenaere a toujours désiré l’être, par goût pour une bande-dessinée "faite main". Libraire à Louvain-la-Neuve dans les années 1980,  il monte une première maison, Les Éditions du Miroir. Si lourde s'avère l’économie de la BD que l'entreprise doit être cédée aux Humanoïdes associés... L’ouverture d’une seconde librairie à Namur offre à Michel l’occasion de revoir ses positions. À la faveur d’une collaboration avec L’École des loisirs, il découvre un univers où le dessin, également mis à l’honneur, bénéficie d’une plus grande souplesse structurelle. La chenille Mijade peut commencer sa mue : de librairie elle deviendra bientôt maison d'édition à part entière.

La chenille qui fait des trous Eric Carle

La littérature jeunesse présente quelques points faibles qui ne demandent qu’à être résolus. En France par exemple, il existe très peu de fonds de catalogue. Les livres font l’objet d’une première publication, à la rigueur d’une seconde, et c’est tout. Une fois épuisés des succès de librairie deviennent introuvables. Ainsi de La Chenille qui fait des trous, une création d’Eric Carle publiée pour la première fois aux Etats-Unis en 1969. Des années plus tard, Nathan abandonne les droits pour la version française. Dans la foulée, Mijade reprend le flambeau, geste fondateur aux sources d’une politique de réédition qui, couplée à de nombreux échanges avec l’étranger, assure désormais la prospérité de la maison. Dans la collection « Les Petits Mijade », on  trouve des classiques tels que La Coccinelle mal lunée (1977), L’Ile aux lapins (1977), Ours brun dis-moi (1967), Trois souris peintres (1989) et bien d’autres encore. Un catalogue de pépites qui ne cesse d’augmenter du fait de la part active que prennent des enseignants et des bibliothécaires dans le signalement de titres épuisés.


Je dirais même plus

Mijade 5

Au cœur de la politique éditoriale de Mijade, il y a donc aussi des rapports étroits noués avec des pays plus ou moins lointains. De la Flandre à la Chine en passant par la Russie, les traductions, dans les deux sens de l’importation et de l’exportation, confèrent une ampleur rafraîchissante au catalogue. Les foires de Francfort et de Bologne sont à cet égard des plateformes de choix pour toucher une audience internationale. Michel va jusqu’à imprimer lui-même les maquettes de ses livres en anglais pour promouvoir les œuvres de ses auteurs. Cette politique de diffusion permet à une entreprise de taille moyenne de survivre sur un petit marché. En outre, cela renvoie l’image d’une maison stylée, image que Michel n’a pas eu forcément conscience de construire. Conforme au cahier des charges initial, l'élégance et le caractère intemporel des productions Mijade reflètent, aujourd'hui encore, l’attachement de la maison pour les outils et techniques d’illustration classiques (crayon, gouache, aquarelle).

 

Mijade magazine je dirais même plusSi le marché du livre pour enfants affiche une relative stabilité, le nombre des publications dans ce secteur (comme dans celui de la BD) ne cesse lui de croître. La France, on l’a vu, ne s'engage pas à proprement parler dans une véritable politique des auteurs. Publier moins mais mieux, c'est en revanche le fait des Américains. Mises en concurrence, les productions françaises ont une durée de vie en rayon très éphémère. Cette situation met les éditeurs au défi de défendre leurs auteurs, de leur assurer un minimum de visibilité dans les librairies comme auprès des enseignants. Réalisé en collaboration avec trois autres éditeurs complices (défendant une ligne éditoriale de qualité), le semestriel Je dirais même plus  tente de proposer une solution au problème. Plus qu'un simple outil promotionnel, ce tout nouveau magazine se donne l'ambition de grandir et de mettre en exergue une information de qualité. Outre un choix argumenté parmi les  parutions récentes, le premier numéro offre une belle variété d'interviews, des encadrés historiques et quelques coups d'éclairage sur les catalogues.

Mijade 2

La défense des techniques traditionnelles de dessin et de coloriage fait-elle de Mijade un îlot de résistance contre les injonctions d'une époque qui, il y a quelques années, aurait scellé le sort du livre ? Qu'on ne se méprenne pas. Mijade n'est pas non plus sans tirer un certain bénéfice des innovations technologiques. Ainsi, la numérisation permet à une équipe d’à peine six personnes de prendre en charge la totalité de la chaîne de production jusqu’à l’impression. Pour le reste, avec le rachat de NordSud France, ZoneJ et Memor et par là une extension au domaine de la littérature pour adolescents, le développement de Mijade ne pourrait pas donner tort à la radicalité de ses partis-pris esthétiques. D'abord parce que les liseuses n'ont pas eu le succès escompté. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le livre papier n'est pas un objet devenu obsolète. Le fait est que le livre numérique n'a rien pour convaincre un public fatigué des écrans. Les parents, quant à eux, sont dépassés voire, écœurés, par l’attraction inexorable que les tablettes et les smartphones exercent sur leurs enfants. Dans le monde du tout-numérique, ces charmants ouvrages d’encre et de papier qui gardent dans leur maladresse même la trace de la main artiste font soudain figure d’aimables contrepoisons.

Il n’y a donc pas d’âge pour venir à eux, seulement des affinités c’est-à-dire, d’innombrables voies d’accès. Parmi elles, le désir de combler un enfant pourrait signifier, plus largement, se combler, soi. Une disposition particulière que ces livres réveillent et généralisent à d'autres livres, à tous les livres qu'on peut aimer.

Catherine De Poortere

Mijade papillon Eric Carle

 


Éditions Mijade

Rue de l'Ouvrage 18

5000 Namur

Mijade.be

Crédits photos :

bandeau : illustration de Guy Servais - copyright Mijade 2018

photos : Catherine De Poortere / PointCulture

Classé dans

En lien