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Focus

Mário Lúcio (tout peut changer par la créolisation)

Mário Lúcio
Comment désenclaver un pays loin de tout ? Par la culture et la musique. Mário Lúcio en est certain : elles sont les piliers du développement. Ce mercredi 2 février 2022, il donnera un mini-concert au PointCulture de l’ULB dans le cadre de Métamorphose dans un monde en mutation.

Sommaire

Mário Lúcio est convaincu du rôle de la culture et du patrimoine dans la transformation de la société. Partisan du métissage culturel, de la fusion des musiques et de la créolisation, le chanteur du Cap-Vert viendra offrir un mini-concert au PointCulture ULB dans le cadre du programme Métamorphose dans un monde en mutation (1) axé sur le multiculturalisme. Mais qui est Mário Lúcio ?

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Mário Lúcio

Né en 1964 à Tarrafal, une ville au nord de Santiago, la plus grande des îles du Cap-Vert, Lúcio Matias de Sousa Mendes a perdu son père puis sa mère au début de son adolescence. Il a vécu sous la garde de l’armée dans les bâtiments de la caserne, qui servaient de camp de concentration jusqu’à la révolution des œillets en 1973. Récemment, il y est revenu avec des Irlandais et des Belges afin de raconter les souvenirs qui ont marqué cette période de sa vie.

À vingt ans, il part à La Havane pour y étudier le droit. Il revient six ans plus tard au Cap-Vert et y travaille comme avocat. En 1992, il devient conseiller culturel auprès du ministre de la Culture. Il est membre du parlement capverdien pendant quelques années. Enfin, il devient ministre de la Culture de 2011 à 2016. L’histoire banale d’un homme de droit qui monte les échelons. Et si l’on en restait là, peut-être n’aurions-nous jamais entendu parler de lui, à part dans les entrefilets des journaux internationaux.

Mais voilà, Mário Lúcio a été contaminé par le virus de la musique : compositeur, parolier, interprète, musicien, animateur musical de radio et arrangeur, il propage l’envie de chanter, de jouer et de danser. Il crée des musiques pour la seule formation de danse contemporaine au Cap-Vert. Il devient l’auteur de projets musicaux pour l’exposition universelle de Séville et pour l’exposition internationale de Lisbonne, coordonne le Festival International de Jazz et est présenté comme star lors du festival des musiques du monde au Portugal. Sa passion de la musique circule aussi à travers ses rencontres et via les autres interprètes du Cap-Vert, auxquels il offre des chansons ou qui reprennent les siennes : Nancy Vieira, Mayra Andrade, Cesaria Evora, Tété Alhinho, Lena França,…


Simentera (1992-2004)

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Au lycée, le jeune Mário Lúcio joue dans le groupe Abel Djassi. Il fonde un autre groupe à Cuba et, à son retour au pays, il crée Simentera, une formation qui interprète la musique traditionnelle avec des instruments qui le sont moins, comme des synthétiseurs. Les dix musiciens amateurs (ils sont médecin, architecte, ingénieur, …) incarnent le nouveau visage de la musique capverdienne.

Le premier album du groupe, sorti sous le label Lusafrica, se concentre sur les racines (Raiz) de la musique du pays, avec des mornas poignantes, et se plonge dans le passé africain, comme le long morceau « Raiz » qui mêle le souffle des ancêtres aux dissonances issues du jazz. Ce répertoire traditionnel laisse néanmoins de la place aux compositions du groupe.

Celui-ci jouit rapidement d’une excellente réputation dans tout le pays et les trois albums suivants ne feront que renforcer leur célébrité, jusqu’en 2004, année durant laquelle Mário Lúcio s’en va poursuivre une carrière solo.

La musique de la vidéo qui suit est issue de leur dernier album Tr'adictional, avec l’hypnotique "Tabankamor" qui nous transporte dans une autre époque, un autre monde.

« Quel est celui qui a dit que le monde est grand ? Dis-lui que je dis non, le monde est petit ! Dans ce monde, il n’y a que l’amour qui est Grand. Et l’enfant aussi ! »


Mar E luz (2004)

Bien qu’il ait sorti un disque en 1996, on considère Mar e Luz comme le premier des albums de Mário Lúcio. Mar e Luz (mer et lumière, attributs des îles du Cap-Vert) sonne étrangement comme les premières syllabes du nom de l’interprète. Peut-être porte-t-il en lui ces deux éléments ?

La voix de Mário Lúcio semble frêle et mal assurée, surtout dans les notes aigües, mais cette fragilité sied aux mélodies raffinées, tout en douceur, jouées à la guitare avec l’accompagnement quelquefois d’un saxophone. Il écrit tous les titres et se fait accompagner, le temps d’une chanson, par la jeune Mayra Andrade, quasi inconnue à ce moment-là (« Finaçon de Djusé cu Djoana ») ou par le célèbre Gilberto Gil qu’il initie au créole capverdien lors de l’enregistrement de « Nha Mudjer ».

Précédant l’excellent « Tabanka de Tchom Bom », cadencé et presque dansant, « Ilha de Santiago » est représentatif du style épuré de cet album sobre, délicat et mélodieux. C’est ce dernier morceau, repris en 2013 sur Lovely Difficult par Mayra Andrade, qui est l’objet de la vidéo qui suit.


Badyo (2008)

Badyo serait le nom qui désigne aujourd’hui l’habitant de l’île de Santiago au temps de sa première occupation. Le texte d’ouverture indique que « Badyo était tout noir et refusait d'être esclave ; libre, il ne reconnaissait pas le contrôle des institutions sociales dominantes ».

Album harmonieux, Badyo oscille entre les racines africaines (« Goré ») et européennes (« Pretty Down »), avec un aspect presque didactique que Mário Lúcio revendique. La Funaná, musique et danse traditionnelle qui se joue à l'accordéon (« Diogo e Cabral », « Scodja »), côtoie la tabanka, plus proche de la musique brésilienne.

Comme pour le premier album, Mário Lúcio s’associe à des musiciens chevronnés, Manu Dibango (et son saxo), et la participation de Maria João et Paulinho da Viola.

Plus vivant que Mar e Luz, dans ses rythmes et ses arrangements, Badyo compte sur des chansons fortes : « Amar Elo » avec un violon nerveux qui vibre et joue avec la voix du chanteur ou « Alter » au tempo marqué par le claquement des mains,

« Dodu », dans la vidéo suivante, est une ritournelle agréable, entêtante, qui évoque un couple qui joue au jeu du chat et de la souris : « Quand je l'ai plaquée contre le mur, elle a dit : hé fou, hé fou, hé fou. Quand j'ai perdu la tête, elle a dit : hé fou, hé fou, hé fou. Quand je suis monté au ciel

Elle a dit : hé fou, hé fou, hé fou… Quand je me suis transformé en tonnerre et pluie

Elle a dit : hé fou, hé fou, hé fou. »


Kreol (2010)

Kreol, chanté en créole du Cap-Vert, en portugais et même en français, affirme la volonté de créolisation de la musique ainsi que celle de notre monde, de ce "métissage, plus autre chose qu'on ne peut jamais définir" (2).

Pour cet album, Mário Lúcio a choisi de s’entourer d’interprètes venus d’ailleurs, d’âges, de cultures et de ressentis différents : marier les spécificités, n’est-ce pas ça, l’esprit créole ? Harry Belafonte place sa voix rauque sur « Planet », le Cubain Pablo Milanes préfère la douceur de « Petit son » et la Portugaise Teresa Salgueiro (du groupe Madredeus) pose sa voix gracieuse sur le sublime « Hora de Andorinha ».

Nous partons au Mali quand Toumani Diabate accorde sa kora et sa voix avec celle de Mário Lúcio. Le voyage se continue vers les Antilles. « Egal Ego » y fredonne « Le soleil me tape fort, ma peau me dit: toutes les peaux sont égales. Égal ego. Je ne veux pas d’un Nord qui serait né plus fort, je ne veux pas d’un Sud qui serait de sang pur… ».

« Nacapela » ouvre l’album avec un entrecroisement de voix a cappella qui rappellent les chants sud-africains.

Enfin, la reine de la morna, Cesaria Evora vient partager « Mar Azul » une des chansons nostalgiques de son album du même nom, que nous pouvons entendre dans la chanson ci-dessous.

Funanight (2018) - Hino à Gratidão (fin 2021)

Alors que Badyo reconstituait les styles originels du Cap-Vert des premiers arrivants d’Afrique de l’Ouest et que Kreol rendait hommage à l’esprit de la créolisation, Funanight évoque les racines rythmiques issues du continent africain. C’est l’album des soirées animées et de la fête. Très fun, très night mais toujours funaná (3), un peu de ska, de reggae, de musique cubaine et d’a cappella : on mélange, on secoue, et voilà le délicieux cocktail à déguster entre deux pas de danse, quelques moments intenses.

"Cet album est ma mémoire de funaná, mon voyage depuis mon enfance à Tarrafal jusqu'aux quartiers de Coqueiro, Castelão et Achada Mato, où je vis aujourd'hui, authentiques laboratoires de nouvelles chansons. C'est mon hommage."

Le single Hino à Gratidão est sorti en octobre 2021 et célèbre toutes les musiques du monde. Déjà repris en ce début 2022 par Djavan, Angélique Kidjo, Araceli Poma, Teresa Salgueiro, Tinkara et Youssou Ndour, chacun dans sa langue, cet hymne calme et puissant, est chanté par Mário Lúcio accompagné par le Zulu Gospel Choir. « J'étais assis dans mon jardin … et j'ai entendu le bruit de l'eau d'une fontaine dans un petit lac… Soudain, j'ai senti la musique, la mélodie et les paroles descendre. J'ai mis mon téléphone portable pour enregistrer, j'ai pris la guitare, j'ai commencé à suivre la mélodie dans ma tête, et à chanter les mots qui tombaient des nuages. … " déclare l’artiste en avouant qu'au milieu de la chanson, il ne pouvait pas contenir les larmes - "J'ai commencé à pleurer, surpris et reconnaissant de ce qui m'arrivait."

L’écrivain

Mário Lúcio n’est pas seulement chanteur, musicien, peintre ou ministre. Depuis les années 1990, il publie des poèmes, écrit des romans, des fictions, des essais et œuvres destinées au théâtre.

Ce 19 janvier 2022, Mário Lúcio a présenté son dernier ouvrage Manifesto a Criolização, un manifeste qui développe la notion de créolisation. Dans un premier temps, il explique les origines du créole capverdien et les langues créoles dans le monde. Ensuite, il étend la créolisation au-delà de la linguistique, dans une expérience humaine où l’identité composite dont nous avons héritée dépasse toute origine biologique, historique et géographique. C’est une créolisation dynamique qui se nourrit de la relation à l’autre, un processus par lequel l’humanité se créolise, un métissage qui ne peut que nous enrichir, qui produit de l’inattendu dans un espace où les différences permettent un rassemblement, une culture ouverte et créatrice. Le concept amené par l’écrivain Edouard Glissant est actuellement repris dans la politique de La France Insoumise et de Jean-Luc Mélenchon.

«Si on veut sauver l’humanité, cela s’appelle la planète culturelle » — Mário Lúcio


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(1) "Metamorphosis in a Changing World" est un programme scolaire intensif (CIVIS –school). Il se déroule à l’Université Libre de Bruxelles du 24 janvier au 4 février 2022 : conférences quotidiennes, séminaires, travaux de groupe et ateliers se concentrant sur le multiculturalisme à travers un partage se concentrant sur le cas de la lusophonie.

(2) Edouard Glissant (1928-2011). Chez lui, la créolisation désigne « l'imprévisible » du monde, les identités culturelles inédites résultant de la confluence des différences.

(3) La funaná est à la fois une danse traditionnelle et un style de musique, souvent jouée à l’accordéon et rythmée par le battement des mains ou par le ferrinho (barre de fer frottée par une baguette métallique). « Le rock a beaucoup de ressemblance avec le funana, la musique qui a libéré l’être capverdien. » (Mário Lúcio, 2015)

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