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Focus

Luis Vicente : confinement jazz à Lisbonne

Luis Vicente
Au printemps 2017, PointCulture Charleroi avait fait jouer le trompettiste lisboète Luis Vicente au Vecteur. La rencontre avait été tellement inspirante à l'époque que nous avons eu envie de lui demander de ses nouvelles de musicien confiné au Portugal.

Introduction : Le Portugal, terre accueillante pour le jazz contemporain et aventureux.

Depuis 1984, on retrouve à Lisbonne un festival à la programmation toujours pertinente : Jazz em Agosto. Mais aussi Clean Feed, label créé en 2001, qui accueille les musiciens les plus audacieux de la scène jazz internationale au sein d’un catalogue d'environ 600 titres. On y retrouve notamment : Anthony Braxton, Joëlle Léandre, Kris Davis, Mary Halvorson, Joe McPhee, Kaja Draksler, Rob Mazurek, etc. Mais également la passionnante scène portugaise : Carlos Zingaro, Susana Santos Silva, Rodrigo Amado, Marcelo Dos Reis, Hugo Antunes, etc.

Le trompettiste lisboète Luis Vicente fait partie de ces musiciens qui développent un langage musical à cheval entre traditions issues du jazz et des musiques improvisées. De nombreuses collaborations avec des musiciens internationaux, différents groupes aux approches diverses – oscillant entre une forme entièrement libre et la composition – avec lesquels il tourne régulièrement en Europe.

Au printemps 2017, PointCulture avait invité Luis Vicente (au sein du Frame Trio avec le guitariste portugais Marcelo dos Reis et le contrebassiste belge Nils Vermeulen) à jouer au Vecteur à Charleroi. Outre le musicien très professionnel, à la technique époustouflante et à la grande créativité, nous avions rencontré une personne chaleureuse, à la joie de vivre communicative. L'année qui vient de s'écouler a été marquée pour lui par la paternité et par la sortie d’un album solo (en juin dernier). En cette période difficile pour tous les musiciens, nous avions l’envie de lui demander comment il a vécu ces derniers mois hantés par la pandémie.


- Jérôme Henry (PointCulture) : Peux-tu nous dire concrètement en quoi la pandémie de coronavirus a touché tes activités et tes projets musicaux ?

- Luis Vicente : Cette pandémie gâche la vie de tout le monde. À titre personnel, plusieurs de mes concerts ont été annulés, des festivals et des tournées aussi. Tout a changé dans notre manière de vivre. J’apprends encore sur la manière de gérer ça. Ce n’est pas facile de s’adapter à un aussi soudain chamboulement. L’horizon parait sombre et on ne sait pas combien de temps cette situation va durer.

- Au-delà de ses côtés handicapants ou inquiétants, penses-tu que cette période de confinement forcé a aussi débouché dans ton cas sur l’un ou l’autre élément positif ?

- Je suis devenu papa début 2020. Donc, le bon côté, c’est que j’ai plein de temps à passer avec ma fille, je peux la voir grandir, suivre son évolution, ce qui est magnifique. Grâce à elle, tout est plus facile à vivre. Sans la pandémie, je serais en tournée, loin de la maison et je n’aurais pas de temps pour ça. C’est donc un aspect très positif dans cette époque un peu folle. Je me suis également mis au sport, je cours et prends soin de ma condition physique – ou du moins, j’essaie. J’ai aussi consacré du temps à composer et à jouer, ce qui est difficile quand on est en tournée.

- Tu as récemment sorti ton premier album solo. Peux-tu nous en dire plus ?

- J’ai donné un concert solo le 17 novembre 2017 au Couvent de Santa Clara a Nova dans le cadre de Anozero, la Biennale d’Art contemporain de Coimbra. L’enregistrement de ce concert, intitulé Maré, est sorti en CD sur le label Cipsela Records.

- Est-ce que l’acoustique du lieu a eu une influence sur ton jeu ?

J’ai passé deux jours à tester l’acoustique du bâtiment, cherchant dans quelle pièce je pourrais enregistrer. J’ai choisi une pièce qui possédait une énorme réverbération que j’appréciais particulièrement. C’était très intéressant d’aborder tout le potentiel que le lieu offrait et de trouver comment utiliser au mieux son acoustique. J’ai appris énormément sur la manière dont un lieu influence ton son, ton jeu. Ça a été une expérience fantastique et, en plus, je suis comblé par le résultat. — Luis Vicente

- Est-ce que l’aspect historique de ce monastère, construit au 17ème siècle, a influencé également ton approche ?

- Je crois que nous sommes influencés par tout ce qui nous entoure. Dans ce cas, c’est une pièce aux dimensions imposantes qui a un impact sur toi. Tu fais face au poids de l’histoire, à tout ce qui a pu se dérouler entre ces quatre murs. Je ne peux pas le décrire précisément mais tu ressens quelque chose quand tu es là, à l’intérieur. Le silence y est présent depuis toujours et c’est impressionnant de le percevoir là. Penser aussi que les moines étaient probablement les seuls à y avoir vécu, ça dégage automatiquement une atmosphère spirituelle, et à nouveau, la présence du silence y est vraiment particulière.

- Quel est le disque de musicien solo que tu préfères ?

- J’adore Carlos Zingaro. Un véritable maître qui utilise à merveille la réverbération de l’espace, l’interaction avec les lieux et qui dispose d’un jeu à la fois poétique et lyrique tout à fait unique.

- As-tu ressenti un choc musical quand tu étais jeune ? Une musique que tu as écoutée et qui t’a marqué profondément ?

- J’ai eu un choc lorsque j’ai écouté Nevermind de Nirvana dans ma période pré-adolescente. C’était la musique représentative de ma génération.

J’ai vraiment intégré le mouvement 'grunge'. Son mode de vie un peu sauvage et rebelle. On vivait intensément à cette époque. Je n’oublierai jamais cette période, je n’ai jamais plus ressenti quelque chose de similaire. On faisait les choses sincèrement, on vivait ce moment précis, et même en sachant que c’était stupide, c’était ce dont on avait besoin. C’était une période assez dingue… — L. V.

- La thématique de l’année à PointCulture est consacrée à la révolte. Te considères-tu comme un musicien révolté ?

- Je me considère comme un musicien révolté quand je vois des choses injustes et mauvaises se produire dans le monde aujourd'hui. Je ne peux rien faire pour les changer. Je peux essayer, mais seul c'est difficile, tout comme il est difficile de changer la mentalité des gens. Au minimum, j’apporte ma contribution pour améliorer certaines choses, en commençant par les actions basiques de la vie quotidienne. Traiter les gens avec un sens de l’égalité et du respect, prendre soin de la planète, etc. Je fais de mon mieux là où c'est possible, en admettant mes erreurs. Ce n'est pas facile mais on peut améliorer les choses si chacun participe. Je peux me révolter quand il y a des choses élémentaires qui ne sont pas faites, à cause de gens qui veulent atteindre leurs propres objectifs ou qui agissent avec ignorance, sans penser aux conséquences. Nous pourrions évoquer ce que nous faisons à la planète que nous détruisons et abîmons. Ou l'oppression des pays puissants sur les plus faibles, à la conquête de terres ou exploitant simplement les ressources naturelles. Il y a beaucoup de choses à améliorer et ce qui ne va pas et ce qui est injuste fait de moi une personne révoltée.

- Quel album évoque chez toi la révolte ?

- J’adore Chaos AD de Sepultura et le premier album de Rage Against The Machine.

- Prévois-tu des sorties ou nouvelles collaborations en 2021 ?

- Plusieurs albums doivent sortir. Je serai aussi en tournée en février avec un nouveau quartet avec John Dikeman (sax), John Edwards (contrebasse) et Onno Govaert (batterie). On pourrait enregistrer ensemble. Plusieurs autres choses à venir, on verra ce que ça donnera…

- Que peut-on te souhaiter pour cette nouvelle année ?

- Ce dont on a tous besoin : créativité, inspiration, et évidemment santé et énergie…


> site de Luis Vicente

Interview : Jérôme Henry
réalisée par échange d’e-mails (en anglais) début janvier 2021

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