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Focus

Les statues meurent aussi

Colonies Héritage et tabous

publié le par Françoise Vandenwouwer

Un film d'Alain Resnais, Chris Marker et Ghislain Cloquet

« Quand les hommes sont morts, ils entrent dans l’histoire. Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l’art. Cette botanique de la mort, c’est ce que nous appelons la culture. »

Ces premières phrases posées sur les premières  images de statuettes résonnent étrangement. Qu’est-ce que cette botanique de la mort ?

Partant de l’énigme d’un territoire de déserts et de forêts où l’homme blanc, explorateur et conquérant découvrit « des nations et des palais », le film porte son regard sur l’art, sur le rapport entre l’homme et l’objet dans une région du monde où depuis l’ustensile domestique  le plus humble jusqu’à  la statuette sacrée, tout était art. Un art de l’équilibre, du juste milieu entre l’homme, la nature et les dieux. Un art qui « continue la création du monde ». Un art par lequel l’homme « affirmait son règne sur les choses en lui imprimant sa marque et quelque fois son visage ». L’art marquant le moindre objet du signe de l’interaction entre la vie, la mort et le sacré. On parle à l’imparfait. Temps d’un passé révolu, pourtant pas si lointain lorsque le film fut tourné. Temps d’un passé où l’homme blanc n’avait pas encore découvert les nations et les palais de l’Afrique noire. « Ces grands empires sont les royaumes les plus secrets de l’Histoire. Contemporains de Saint Louis et de Jeanne d’Arc, ils nous sont plus inconnus que Sumer ou Babylone. Au siècle dernier, les flammes des conquérants ont fait de tout ce passé une énigme absolue. »

De l’approche de cet art, de ces statues dont les regards semblent nous interroger autant qu’ils nous interpellent, le film dérive sans concession vers la dénonciation de l’attitude colonisatrice. Et les images d’archives défilent, illustrant les commentaires, édifiantes. Un côté absurde émane de ces actes archivés de notre Histoire, comme cette décoration épinglée sur le pagne d’un homme, actes pourtant tellement sérieux, soulignés par les commentaires de cette voix off qui accompagne les images. « Ce que nous faisons disparaître de l’Afrique ne compte guère pour nous en face de ce que nous y faisons apparaître (image d’une voiture transportée par voie fluviale sur un radeau). C’est que nous sommes les martiens de l’Afrique. .. Nous débarquons de notre planète avec nos façons de voir, notre magie blanche et avec nos machines.» Mais si l’absurde fait parfois sourire, l’humiliation de ces nations, leur exploitation cruelle au nom du progrès s’étale laide, si réelle, justifiée, sanctifiée, dévastatrice. Et l’art se meurt dans la productivité organisée et rentable du souvenir de pacotille et désormais le regard des statues se heurte aux parois de verre dans les musées. « Entre le paradis chrétien et l’immortalité laïque, le culte des ancêtres s’évapore. »Le travail perd toute valeur s’il n’accompagne plus le rythme simple de la vie. L’équilibre est brisé, l’homme asservi,  réduit à une condition de domestique, d’ouvrier, d’esclave dont on a emprisonné l’âme et la dignité dans les rouages du capitalisme conquérant, pour un salaire de misère et la répression violente contre toute expression de révolte.

Le film était une commande de la revue « Présence africaine ». Dès sa parution, en 1953, il fut frappé d’interdit. En 1963 on en autorisa une version raccourcie par les auteurs. Ce n’est qu’en 1968 qu’il put être projeté dans son intégralité.

 

 

Françoise Vandenwouwer

 


 

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