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Focus

Laurence Vielle : les mots comme une chair

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publié le par Catherine De Poortere

Sa voix ne vous est peut-être pas inconnue. Ces derniers temps, on a pu l'entendre sur Musiq3. Tous les jours, durant le confinement, c'était un poème glissé à l'oreille, comme un rite de passage vers un espace autre, illimité. Laurence Vielle est poétesse et comédienne. Les mots, elle aime les sentir, et qu'ils circulent, musique d’une pensée, langue du dedans, écoute du dehors.

Sommaire

« — Dire tout haut, cela met aussi en branle une émotion charnelle, une vitalité physique. Cela ouvre le cœur — ».

Les mots

PointCulture - Durant la période de confinement, vous avez animé sur Musiq3 un podcast filmé reposant sur le dispositif : un poème par jour. Baudelaire, Rabelais, également Julios Beaucarne, Françoise Héritier, ou encore les voix fraîches et rageuses de Kate Tempest ou Cécile Coulon sont passés par chez vous. Tant d’éclectisme appelle une première question : comment s’opère le choix des œuvres ?

Laurence Vielle - J’ai animé ce podcast pendant le confinement. Il reprendra sans doute de façon hebdomadaire dès le mois de septembre. À suivre… Le champ de la poésie est vaste, et j’ai choisi ces trente-cinq poèmes dans le souci de donner à chacune des sept semaines un élargissement de ce qu’on met derrière le mot « poème ».

D’abord j’aime les poèmes qui se prêtent volontiers à l’exercice de l’oralité. J’aime les mots à dire. Tout poème bien sûr peut se dire tout haut, mais certains portent davantage en eux cette dimension d’oralité, d’adresse directe aussi.

Regarder un extrait de la série - Laurence Vielle lit la poésie / Céline Coulon : Rester ainsi

Chaque semaine, j’ai désiré qu’un poète d’aujourd’hui côtoie un poète d’hier, que les voix de femmes et d’hommes se succèdent. Par exemple Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue et féministe, ou Raymond Devos, humoriste, immense poète à mon goût. J’ai aussi désiré que, dans chacune de ces semaines, deux poète·sse·s belges soient présent·e·s.

« — Ouvrez une anthologie, vous ne trouverez pratiquement que des hommes. Quant aux prix littéraires, c’est rare qu’une poétesse en reçoive un, et aussi, que quelqu’un qui ne se dit pas poète puisse y apparaître — ».

D’autre part, j’essayais qu’indirectement chaque poème ouvre une fenêtre dans ce temps confiné. Et puis, pour clore chaque « capsule », j’ai choisi les phrases fantastiques du poète américain de 101 ans, Lawrence Ferlinghetti. Son petit livre rouge Poésie Art de l’Insurrection aux éditions MaelstrÖm. Je suis reconnaissante à David Giannon pour tout son travail poétique, d’édition, d’écriture, de visibilité. Il a d’ailleurs, pendant le confinement et maintenant encore, lu chaque jour des poètes, tout comme Jérémie Tholomé, Ludivine Joinot, et tant d’autres, je pense aussi à la phrase du jour, qui faisait toujours mouche, publiée par les Midis de la Poésie.

« — Tout à coup, la poésie a pu se faire entendre autrement que dans le bruit et l’empressement des jours « normaux ». La forme courte du poème et son travail de la faille, des interstices, de la langue, son cri aussi, son urgence, sa dilatation des sens et du temps, son rythme, sa musicalité, tout ce qui fait le poème en somme, en ce temps singulier, effrayant, solitaire pour beaucoup, a pu trouver toute sa place. — ».

- Comment adresse-t-on cet objet intime et intimidant que semble le poème ? La voix y suffit-elle ?

- La voix, oui. Donner voix haute à un poème, cela peut le faire entendre, l’ouvrir au monde. Il y a des poèmes qui se prêtent mieux, me semble-t-il, à une lecture intime, un tête-à-tête silencieux, des mots nus posés sur la page d’un livre que l’on ouvre un jour, et tout à coup, le bouleversement s’opère. Mais pour ce partage sur Musiq3, la voix et l’image ont permis, je crois, au poème de se partager davantage, de s’ouvrir au plus grand nombre ; c’est une chance inouïe que Carine Bratslavsky ait eu l’idée de lancer ces capsules dans ce temps confiné. Tout à coup, la poésie a pu s’y faire entendre autrement que dans le bruit et l’empressement des jours « normaux ». La forme courte du poème et son travail de la faille, des interstices, de la langue, son cri aussi, son urgence, sa dilatation des sens et du temps, son rythme, sa musicalité, tout ce qui fait le poème en somme, en ce temps singulier, effrayant, solitaire pour beaucoup, a pu trouver toute sa place. Et ce fut pour moi une ressource quotidienne de côtoyer les poètes et de dire leurs mots. Car oui, dire tout haut, cela met aussi en branle une émotion charnelle, une vitalité physique. Cela ouvre le cœur.

Regarder un extrait de la série Laurence Vielle lit la poésie : Marguerite Duras, Les Mains négatives

- Comédienne et poétesse : comment ces deux vocations s’articulent-elles dans votre vie ?

- Depuis toute petite, le poème a pour moi été lié à l’oralité. À peine avais-je appris l’écriture que je disais tout haut les mots qui s’écrivaient. Et puis les deux chemins, écrire / dire, n’ont cessé de se nourrir l’un l’autre. En même temps que j’écrivais, j’apprenais l’art du dire auprès de professeurs, de maîtres extraordinaires. Pour en citer quelques-uns, qui fondent mon chemin : Pascale Mathieu, Pietro Pizzuti, Pierre Laroche, Monique Dorsel, Claude Guerre, Valère Novarina, Laurent Fréchuret.
Et puis, cette passion de la musicalité. Les mots sont pour moi comme une chair. La chair de l’homme, dirait Valère Novarina. Une substance vitale. Ainsi mes amis musiciens avec qui je partage la scène et le travail participent aussi de cette voie : Vincent Granger, Catherine Graindorge et tant d’autres. Et j’aime énormément poser les mots entre moi et le public. Jouer avec eux de cet instant du dire. L’acte du mot. La parole en action. L’action poétique.

- Quelles personnes, réelles ou imaginaires, rencontrées dans la vie ou dans les livres, se tiennent à votre côté dans votre cheminement avec les mots ?

- Celles et ceux que je viens de citer, et puis des poètes qui ne me quittent jamais : Apollinaire, Michaux, … et puis les ami·e·s poète·sse·s. Dans le paysage poétique d’aujourd’hui, il y a une grande fraternité, sororité entre les poète·sse·s. et ceux qui rendent visible la poésie. Je pense au projet Poète national qui a magnifiquement ouvert le voyage des poètes et de la poésie entre la Flandre, Bruxelles et la Wallonie. C’est ainsi que j’ai découvert Peter Holvoet, Michaël Vandebril, Els Moors, Maud Van Hauwaert, Charles Ducal, etc. Carl Norac porte le rôle de poète national en ces temps agités de façon inégalable. Le projet Fleurs de Funérailles, et tous ces mots postés quotidiennement, relient, ouvrent, accompagnent. J’ai déjà mentionné les Midis de la Poésie, menés par Mélanie Godin. Il y a aussi le festival organisé par La Maison de la Poésie à Namur, qui tente en Belgique, malgré des moyens très réduits, de faire vivre et rayonner la poésie. Et puis ceux qui partagent le même art, avec qui le dialogue n’a de cesse : Milady Renoir, David Giannoni, Lisette Lombe, Timoteo Sergoï, Aurélien Dony, Carl Norac, Aliette Grizz…

« — Si les journaux n’ont de cesse de la rendre chaque jour plus familière comme une amie à qui s’adresser, s’ouvrir, si dans les écoles, elle est enseignée comme une parole vivante, active, à laquelle chacun·e peut prendre part, alors la poésie aura une chance d’exister. Car oui, chaque poème est porteur d’un élan, d’une énergie qui donne l’envie de prendre à notre tour la parole et réveiller, court-circuiter, berner, titiller, faire danser notre monde qui brûle — ».

- Un poème pour vous ce serait : des mots ? une idée ? des images ? une sensation ? un rêve ? un geste ? une mise en scène ? une question ? un moment, un état ? une écoute ?

Tout cela et tant d’autres choses.

- Si le rapport particulier avec la langue, dont la forme poétique est le témoin, est aussi l’indice d’un rapport singulier au monde, sur quel ton la poésie peut-elle prendre la parole dans l’espace public ? Faut-il qu’elle murmure, qu’elle s’accorde au silence pour en rappeler la nécessité, la valeur ? Faut-il qu’elle s’amuse, feigne de ne pas se prendre au sérieux ? Ou encore, qu’elle s’avance dans l’ombre de la musique ? A-t-elle seulement une chance d’exister par elle-même ?

- Vous répondez joliment à votre question par d’autres questions. J’adhère à chacune d’elle. Oui, elle a une chance d’exister par elle-même. Si le lecteur/ le spectateur / l’auditeur est là, elle existe. Si chaque librairie met au premier plan le rayon « poésie ». Si les journaux, comme ils le font aujourd’hui, grâce entre autres à Nicolas Crousse, n’ont de cesse de la rendre chaque jour plus familière, comme une amie à qui s’adresser, s’ouvrir. Si, dans les écoles, elle est enseignée comme une parole vivante, active, à laquelle chacun·e peut prendre part. Car oui, chaque poème est porteur d’un élan, d’une énergie qui donne l’envie de prendre à notre tour la parole et réveiller, court-circuiter, berner, titiller, faire danser notre monde qui brûle.

- Peut-on considérer qu’internet et les réseaux sociaux donnent une nouvelle vie à l’expression poétique, lui offrant finalement ce qu’elle n’a jamais eu : un accès direct à la personne du lecteur, de l’auditeur ?

- Oui. C’est une chance pour la poésie.

- Ce qui déclenche en vous la venue d’un poème, ce serait plutôt la saisie d’un événement intérieur ou la réponse à un contexte particulier ?

- Les deux. J’aime aussi marcher pour écrire, prendre le pouls du réel du monde. Glaner des phrases d’autrui. Faire écho aux mots dits par ceux à qui personne ne donne la parole. Répercuter les rythmes du monde. Épuiser la langue aussi, m’essouffler, pour rejoindre le silence.


Les liens

Fiche de Laurence Vielle sur le site Maelström Reevolution

Laurence Vielle lit la poésie sur Musiq3 : toutes les vidéos

« Tu colles à mes semelles de géante » : Laurence Vielle s’entretient avec Marie Richeux sur France Culture [lien]


Questions et mise en page : Catherine De Poortere

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