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Focus

La place des femmes dans la musique électro

Céline_Gillain_photo_Claudia_Höhne
Dans le cadre de leur cycle, "Elles se font entendre ! La musique au féminin en FWB", PointCulture et Le Delta ont organisé, le 3 mars dernier, un concert de Céline Gillain suivi d’une discussion sur la place des femmes dans la musique électronique.

Sommaire

Pour Céline Gillain, entrer dans le monde de la musique électronique fut un parcours de combattante contre « un auto-sabotage permanent dans un monde trop masculin ». Le 3 mars dernier, l’artiste s’est prêtée au jeu d’une table ronde au PointCulture de Namur et a répondu aux questions du public mais aussi à celles de Sophie Dubé, Animatrice à Vie féminine, Samuel Vanden Heede, Programmateur des musiques actuelles au Delta, et David Salomonowicz, entre autres curateur à En Musique Simone et chargé de communication du festival Esperanzah!

« Les filles n’osent pas se casser la figure »

Céline Gillain, 43 ans, s’est lancée dans la musique électronique à 35 ans. Avant ça ? Elle avait une sale impression :

Je pensais que je n’avais pas le droit de faire de la musique ni de monter sur scène. J’avais trop peur. C’était inimaginable pour moi. Je ne me donnais pas la permission de me lancer. — C. G.

Musicienne, chanteuse, artiste multidisciplinaire, Céline Gillain est aussi Professeure à la Cambre où elle constate que malgré une présence féminine majoritaire, « la prise de parole reste difficile pour beaucoup de filles. » Selon elle, il existe un sexisme intériorisé, insidieux, dont il est difficile de se défaire. Dans le monde de la musique électronique, elle explique : « on vient de loin, mais il y a eu un progrès positif énorme ces cinq dernières années. Aujourd’hui, dans les festivals de musique, d’un point de vue international, 25 % des actes sont féminins. Il y a quinze ans, c’était 2%. »

Cela reste cependant difficile pour une femme de se lancer, comme le ressent Céline, « c’est pas facile, pour tout le monde, de s’accomplir, de trouver sa voie…. Mais en tant que femme, il y a une double dose de sabotage, car le sexisme insidieux, intériorisé, est très ancré. Même si les personnes qui feront obstacles ne sont pas des personnes mal attentionnées, c’est difficile. La société envoie beaucoup de messages qui font douter les femmes et elle les enferme souvent dans des programmes, des cadres, des étiquettes. Par exemple, moi, j'ai commencé à faire de la musique au moment où j'aurais dû faire des enfants. On sent qu’on a pas droit à l’erreur de la même manière. Je me sens moins libre de faire ce que je veux. J’envie la nonchalance de certains garçons. »

Sophie Dubé confirme le sexisme généralisé, « Nous travaillons beaucoup là-dessus chez Vie féminine. Ce problème prendra du temps à résoudre mais ça s’améliore. Le sexisme est lié à l’éducation, à la confiance qu’on donne aux garçons et moins aux filles, cela se reflète dans tous les pans de la société. On attend beaucoup des filles, une certaine perfection, et, de ce fait, elles n’osent pas se casser la figure. »

« Même si on a peur, il faut y aller ! »

De 2010 à 2015, Céline Gillain faisait partie d’un collectif d’artistes femmes, de performeuses,… « J’y ai fait de la musique en mode freestyle, punk sur les bords. La musique dans l’art contemporain c’est encore quelque chose à part », raconte-t-elle, « En travaillant avec ce collectif je me suis rendue compte que j’avais le droit de faire ce que je voulais ! Pas que du dessin et de la peinture mais aussi de la musique électronique ! Je me suis familiarisée avec un programme de création de musique électronique, Logic pro de Apple. Je travaille sans hardware. Juste avec mon ordinateur et un clavier MIDI. » Et tout a commencé…. Au début, Céline faisait des performances, elle déclamait des textes. Petit à petit, elle s’est mise au chant. Aujourd’hui encore, elle est morte de trouille mais, comme le dit la musicienne : « Mais même si on a peur, il faut y aller ! »

À la question de Sophie Dubé : « C’est le collectif, d’autres musiciennes électro, qui t’ont poussé ? », Céline répond :

Le collectif, c’est ce qui m’a donné le courage et la permission. Mais je me suis lancée seule. J’ai commencé à faire de la musique en solo car je voulais faire quelque chose sans compromis. D’ailleurs je ne fais jamais de collaborations. — C. G.

Comment se faire une place ?

« Il faut continuer à se battre. » Selon Céline, Samuel, Sophie et David, les acquis ne sont pas encore suffisants. La lutte ne s’arrête jamais. Il y a encore beaucoup à faire. Notamment, David Salomonowicz pense qu’un travail de communication de la part des festivals (en Wallonie, 100% sont gérés par des hommes), il faut faire attention à la surexposition des femmes qui ont beaucoup de succès. Car cette surexposition colmate les brèches d’un système qui n’est pas encore changé dans le fond.

Céline témoigne : « Dans le monde de la musique électro, les codes sont des codes de mecs. Quand on est une femme, on est outsider car on ne comprend pas toujours ces codes. Quand je fais DJ et que je ne comprends pas un logiciel que je découvre par exemple, que je demande des conseils, c’est souvent perçu comme une forme de faiblesse. Pour les hommes, c’est différent. Les femmes ne comprennent pas toujours la manière de fonctionner des hommes,… je dis ça sans faire de généralité ni d’attaque personnelle bien sûr. »

Céline Gillain : "Bad Woman" (Antinote Records, 2018)

Céline Gillain : "Bad Woman" (Antinote Records, 2018)

Les conseils de Céline Gillain pour les personnes qui veulent se lancer…

…et en particulier si elles sont des femmes.

- Lutter contre le programme, c’est à dire identifier ce que la société, notre famille, notre milieu, notre classe sociale attendent de nous et refuser de se plier à ces attentes, les questionner.

- S'interroger en permanence sur son propre désir, le préserver autant que possible, le cultiver. Le désir c’est un peu le seul guide.

- Apprendre à faire confiance en son intuition et écouter ce que notre corps nous raconte.

- Affronter sa peur de se montrer, sa peur d’exister.

- Ne pas se laisser dire ce qu’on doit faire, ni par des personnes proches ni par des personnes du monde 'professionnel' qui pensent qu'ils savent mieux. Il y aura toujours des gens pour vous dire ce que vous devez faire ou ne devez pas faire, la difficulté c'est évidemment d'écouter les conseils quand c'est nécessaire mais de ne pas se laisser trop influencer par des avis extérieurs non plus. Ne pas se laisser vampiriser. Faire attention aux gens qui donnent leur avis quand leur avis n'est pas sollicité.

- Bien s’entourer, c’est à dire s'entourer de gens qui vous font confiance artistiquement et ne questionnent pas vos choix, des gens qui sont capables d’écouter vraiment ce que vous faites.

- Ne pas toujours chercher à éviter la crise.

- Accepter qu’il y a des moments de retrait, d’apprentissage, de silence, et qu'on commet des 'erreurs', qu'on a le droit de changer, et de changer d’avis.

- Ne pas se laisser décourager par des mauvaises expériences.

- Accorder autant de crédit au feedback des femmes qu'au feedback des hommes.

- Travailler avec des femmes et essayer de construire des dynamiques de travail nouvelles, qui questionnent les relations de pouvoir dans le travail.

Le faire même si on se dit qu’on n’a ‘plus l’âge’, même si la société nous dit que passé un certain âge, en tant que femme on doit commencer à se cacher.


compte-rendu : Astrid Jansen
photo : Claudia Höhne

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