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Focus

Je suis né étranger

Stéphanie Saadé

migration, exil, migrer, Retirada 2019

publié le par Alexandra Garin

25 expositions en Occitanie célèbrent la Retirada. Et documente avec humanité les migrations actuelles. En exergue, cette phrase d’Amin Maalouf : “Je suis né étranger, j’ai vécu étranger et je mourrai plus étranger encore” (Le Périple de Baldassare).

Les Abattoirs (FRAC Occitanie, Toulouse) commémorent opportunément la Retirada dans toute l’Occitanie, l’arrivée et l’accueil de 500.000 Espagnols fuyant la guerre civile contre Franco, qui marqua profondément la région. C’est aussi et surtout un engagement culturel qui entend éclairer autrement l’actuelle crise migratoire. Au Palais des Évêques de Saint-Lizier, en Ariège, sont présentées des œuvres de Gaël Bonnefon, Marco Godinho, Teresa Margolles, Cildo Meireles, Stéphanie Saadé. Elles sont disposées dans l’enceinte du Palais, le jardin de la cathédrale et les salles du Musée départemental qui rassemblent les témoignages archéologiques et les traces de la vie traditionnelle régionale. C’est dire si le travail artistique dédié à l’errance et aux contraintes migratoires y trouve sa place, s’inscrit dans l’identité du territoire. « L’exposition collective Marcher pour vivre, une déambulation sur les chemins de la mémoire de la Retirada et de tous les exilés du monde ».

Forever Immigrant

La première intervention est due à Marco Godinho, discrète, une fresque recréée in situ à chaque présentation. C’est un cachet qui évoque ceux qui doivent authentifier divers documents administratifs et qui participent, notamment, des pratiques de contrôles des immigrés. Le voisinage avec la collection muséale (pièces de monnaies, effigies anciennes et autres vestiges) attestant d’une administration locale très ancienne confère à ces nuages de cachets, directement apposés sur les murs, le statut de document archéologique pour les générations futures. Ils témoigneront de la manière dont les actuelles politiques dominantes traitent les migrant·e·s, les condamnant à une existence fantomatique d’illégaux rejetés de toute citoyenneté et de tout droit, de « migrants à jamais ». Car c’est cela que proclame les nuées de tampons : « Forever immigrant », une nuée qui donne une idée de la multitude d’individus concernés et qui errent dans une sorte de vide politique.

Forever Immigrant

Le chemin de quel retour ?

Quel bout de chemin nous tient particulièrement à cœur ? Quels chemins et quels paysages, parcourus régulièrement, ancrés en nous, nous habitent et symbolisent pour nous le trajet autour duquel s’organisent nos sentiments, les pas qui nous conduisent entre deux points qui font sens. Pour l’artiste libanaise installée à Paris, Stéphanie Saadé, c’est l’itinéraire qui la conduisait de son appartement au jardin des Tuileries. Elle l’a reconstituée en dalles de pierre, à l’échelle, dans la pelouse qui jouxte la cathédrale. La miniature d’une promenade répétitive qui l’aidait probablement à se sentir partie prenante d’un lieu et qui, redessiné dans l’enclos d’un jardin, devient une sorte de labyrinthe linéaire, méditatif. Labyrinthe parce que si l’œuvre s’intitule « Le Chemin du retour », il n’y a ni départ, ni arrivée, pas de sens. Où est le pôle de l’exil, ou celui du chez soi ? Juste un chemin, à parcourir dans un sens et dans l’autre, aller et venir, s’habituer à la désorientation, la perte de repères, y tracer tout de même une consistance, un cheminement.

Économie précaire, beauté dangereuse des flots

Les crises économiques génèrent des exodes, et de petits boulots imprévus (qui, indirectement, soutiennent l’économie) voient le jour. Au Venezuela, la pauvreté pousse beaucoup de personnes vers la Colombie. Ils en ramènent des marchandises, et le commerce des « carretilleros » s’est développé, consistant à transporter ces achats sur le pont reliant les villes de Cucuta et San Antonio. Teresa Margolles rend hommage aux femmes qui se livrent à ce gagne-pain précaire. La photo est présentée près de l’installation de Cildo Meireles, Marulho (La Houle). C’est un ponton et une jetée de bois clair qui surplombent une étendue de vagues en papiers, assemblage de livrets ouverts, feuillets couverts de photographies de la mer, en gros plan. Le Chant du Ressac est confié à des voix de tous genres et âges répétant le mot « eau » dans trente langues différentes. La clameur et la force visuelle de l’installation conduisent, par immersion, à des sentiments contradictoires : à la fois, la sensation d’une immensité accueillante, enrichissante et enivrante et, tout aussi bien, la perception de quelque chose d’hostile, infranchissable sans danger. Une densité perturbée où il est facile de perdre, de fondre sans retour.

Ruines d’hier et d’aujourd’hui, histoire de surveillance

Gaël Bonnefon est un peu le régional de l’étape (originaire de Foix). Son travail photographique plonge dans les forêts et montagnes ariégeoises, le genre de sentiers et de paysages « qu’ont pu sillonner les exilés républicains dans leur fuite ». Les sous-bois morts et vivants, entre décomposition et irréelle éternité des forêts primaires, léthargiques, englués dans une brume tenace, un voile tenace. Ils semblent eux-mêmes en sursis, condamnés à se déplacer, chercher un ailleurs. En vidéo, défilent aussi les clichés pris dans le village de Belchite, près de Saragosse, complètement détruit par les combats entre nationalistes et républicains. Les ruines seront conservées en l’état et le village reconstruit en retrait de ce mémorial. On regarde les photos de ruine. Anciennes. Et pourtant si récentes. L’ensemble est accompagné d’un matériel historique et didactique sur l’accueil des réfugiés espagnols, la nature des camps où ils étaient hébergés, les formes de contrôle et de surveillance qui se mirent en place. On pense aux ruines abondamment montrées de Syrie suite aux atrocités guerrières, responsables d’un flux migratoire important vers l’Europe et qui déclenchèrent le reniement de l’hospitalité, une série de décisions politiques indignes pour décourager les migrants, les empêcher de trouver refuge.

Une excellente initiative que d’informer la question migratoire par une telle démarche culturelle. Il faudrait, c’est évident, visiter les 25 expositions de « Je suis né étranger ». Si vous passez en Occitanie, n’hésitez pas. C’est accessible jusqu’en décembre 2019.

Pierre Hemptinne


Infos pratiques :

Je suis né étranger / Retirada 2019
Programme d'art contemporain des Abattoirs en région Occitanie
De mars à décembre 2019

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