Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Focus

Japan Film Festival – interview de Francesco Serafini

Japan Film Festival - affiche
Du 19 au 24 septembre 2021 se tient à Bruxelles le premier festival consacré au cinéma japonais, le Japan Film Festival Brussels. Francesco Serafini, créateur et programmateur de cette édition répond aux questions de PointCulture.

- PointCulture : Comment est née l’idée de ce festival ? Vous aviez déjà ce projet en 2020 mais cette édition a dû être annulée ?

- Francesco Serafini : Malheureusement, ce festival est né par moi. Je suis marié – un heureux mariage – avec une Japonaise et je baigne dans cette culture depuis très longtemps. Je ne suis pas un otaku, un geek, mais j’ai toujours été assez proche du Japon. Je suis photographe de profession.

Un jour, j’ai proposé ce projet de festival à Freddy Bozzo du BIFFF (où j’ai travaillé comme photographe) et nous sommes devenus associés. Cela a mis un peu de temps, c’est même lui qui m’a relancé, parce que j’avais oublié. Il m’a appelé : « Francesco, ton idée de festival, pourquoi on ne le fait pas ? ».

Je me disais qu’il manquait en Belgique un festival de cinéma japonais, malgré le nombre de festivals déjà existants, surtout à Bruxelles. Je pensais qu’on trouverait facilement un soutien financier mais là on s’est un peu gourés.

- Cela a donc été très difficile de trouver un soutien financier ?

- Impossible ! Pour deux raisons : la frigidité – et j’utilise bien le terme frigidité – des sociétés en temps de… – je dis toujours en temps de choléra – en temps de covid donc et surtout parce que c’est une première édition. Même si on est certain que le public va nous suivre, il faut tellement secouer le cocotier qu’à la fin il n’y a plus de noix de coco sur l’arbre. Nous avons reçu un peu d’aide de l’ambassade du Japon mais nous avons dû remplir tellement de paperasses pour une subvention qui n’arrivera qu’après la fin de celui-ci… On a le temps de couler. On a également fait un crowdfunding qui n’a pas du tout fonctionné parce qu’il y en a trop. C’est une formule qui est obsolète.

- Vous avez donc créé un festival sans un sou. Vous organisez également une après-midi (le dimanche 19 septembre) avec diverses activités. Pouvez-vous en parler ?

- Sans un sou. Je ne le cache pas, j’ai même fait un prêt bancaire. Je ne tiens pas ma langue dans ma poche et je n’hésiterai pas lors de l’ouverture à en parler. Outre le côté japonais, on a été lâché complètement du côté belge parce qu’on fait un festival sur le Japon et donc, d’après eux, sans lien avec la Belgique. Alors qu’au contraire, un des buts du festival, c’est de montrer aussi comment la culture japonaise s’est intégrée en Belgique. On va distribuer la Uijin Beer, une bière brassée en Belgique. Il y aura également dans l’après-midi du 19 septembre des démonstrations d’arts martiaux par des clubs sportifs, une séance d’habillage de kimonos par des Japonais installés en Belgique, une présentation du livre Japonaises de Florence Plissart... Cela va vraiment dans les deux sens, pas uniquement le sens Japon.

Notre premier but est évidemment de montrer des films, tout en organisant quelques autres activités, un peu sur le modèle des matsuri japonais, les fêtes de quartier locales.

- Le Japon est un pays aux facettes multiples. Est-ce que ça se voit dans votre programmation ? Les films qu’on connaît ici en Belgique, ce sont souvent des films de Kurosawa, Mizoguchi, Ozu… qui ont eu des prix, mais au Japon, il existe un autre cinéma.

- Très bonne question. Justement, c’était mon but principal : je me suis aperçu, qu’en parlant ici du cinéma japonais, on ne connaissait que les grands maîtres, Kurosawa, Ozu, Mizoguchi, et des cinéastes plus modernes comme Naomi Kawase, alors que cette dernière est inconnue au Japon. Et Kore-Eda, il n’y a que le dernier film qui a eu du succès au Japon simplement parce que le Premier ministre a critiqué ce film, ce qui provoqué de la curiosité du public et il est entré dans le box-office.

Il y a deux types de cinéma au Japon : il y a le cinéma pour les Japonais et le cinéma pour les gaijin, les étrangers. Et ce sont deux cinémas complètement différents. Les films que nous avons sélectionnés, Freddy et moi, du moins dans la partie qui est montrée à l’espace Lumen, ce sont des avant-premières. J’espère que ces films seront distribués un jour en Belgique mais j’en doute fort. C’est un éventail de genres différents : un film d’horreur – un clin d’œil au BIFFF, des comédies, des anime, des films pour teenagers, des drames – en même temps on a essayé d’éviter ce style parce qu’on vit en période de covid et le drame on l’a tous les jours. Nous avons donc essayé d’éviter un peu ça et de montrer des films plus joyeux.

C’est dommage que les films japonais ne soient pas distribués en Belgique. J’ai été étonné quand j’ai vu que Shin Godzilla n’est jamais sorti, même pas en dvd. Ce film a fait un carton au Japon et dans le Sud-Est asiatique, rapportant des millions de dollars. Avec le festival, on veut essayer de manière très timide d’essayer de corriger le tir.

- Vous n’avez pas choisi un thème particulier pour le festival, mais il y a cependant un focus sur un cinéaste en particulier, Hitoshi Matsumoto. Pouvez-vous en dire plus ?

- Hitoshi Matsumoto est un personnage très intéressant. Au Japon, c’est un talento, un personnage hyper-présent dans les shows sur les tv japonaises. Je crois qu’il est le showman le plus connu actuellement au Japon avec son compère Hamada. Son émission est un peu débile mais moi ça me fait mourir de rire. C’est vrai que cela peut sembler un peu débile pour des gens qui ne connaissent que peu la culture japonaise actuelle, mais en même temps ces shows possèdent une corrosivité morbide, on se demande jusqu’à quel point les personnages iront dans leur stupidité. Matsumoto est assez similaire à Takeshi Kitano qui lui aussi était hyper présent à la télé japonaise ; il avait son personnage qui s’appelait « Beat Takeshi » alors qu’a cinéma, il se faisait appeler Takeshi Kitano. Hitoshi Matsumoto suit plus ou moins la même voie et il fait des films complètement différents, très nature. Je trouve que ce sont des chefs-d’œuvre d’une originalité jamais égalée et ce n’est pas du tout stupide par rapport aux shows télé. C’est complètement différent.

- Vous avez aussi programmé des films LGBT ?

- Oui, on en a deux, Chanson pour l’enfer d’une femme de Mamoru Watanabe (1970) et The night beyond the tricornered window de Yukihiro Murigati (2021). La communauté japonaise à Tokyo – celle que je connais le mieux – est très particulière. Les LGBT sont très présents, on les voit et ils font des choses mais en même temps ça reste tabou. Par exemple dans les shows tv, il y a deux stars trans hyper connues. On sait très bien qu’elles sont trans mais personne ne dit rien. Et au Japon, le mariage homosexuel toujours est interdit.

- La condition de la femme est également compliquée au Japon ?

- La condition de la femme est hyper compliquée. Ce n’est que depuis le gouvernement de Shinzo Abe que la femme est devenue un peu plus présente sur le devant de la scène. Mais elle a encore un rôle malheureusement très limité. Même les businesswomen actuelles doivent abandonner leur carrière si elles ont un enfant. Les Japonais n’arrivent pas à concevoir qu’une femme puisse être une bonne businesswoman en ayant des enfants.

- Est-ce qu’il y a un film dans la programmation qui aborde cette question ?

- Pas vraiment. J’aurais aimé faire une rétrospective Juzo Itami (L’inspectrice des impôts, Tampopo…) qui est pour moi le grand maître du cinéma actuel même s’il est décédé en 1997. Il a sauté d’une fenêtre, mais ce suicide pourrait avoir été mis en scène par les yakuzas (mais c’est une autre histoire). Il parlait beaucoup des problèmes de société. Actuellement le cinéma japonais n’en parle pas trop, sauf quelques exceptions comme Sion Sono dans The land of hope qui fait référence au tsunami de 2011. Les Japonais sont très au courant et très conscients des problèmes de société mais ils ne veulent pas les voir sur l’écran. Ozu a fait du cinéma social : quand on revoit Voyage à Tokyo, on y reconnaît des thématiques qui sont toujours très actuelles aujourd’hui alors que ce film date d’il y a plus de 70 ans. Ce n’est pas parce que la société japonaise n’a pas évolué mais c’est une société ancestrale qui a besoin de temps pour l’évolution.

- Il faut évidemment aller voir tous les films que vous avez sélectionnés, mais avez-vous quelques conseils plus précis ?

- The pass : last day of the samurai, le film d’ouverture, est une première mondiale. Il a été réalisé par Takashi Koizumu, un assistant de Kurosawa, notamment sur Ran et Kagemusha. C’est un excellent film historique, avec de bons acteurs mais dans un style très classique. Special actors est un film très différent, bien plus hilarant, très original avec un coup de théâtre qu’on n’attend pas du tout. Il y a également un biopic, Hokusai, sur l’illustrateur japonais qui a dessiné l’estampe très connue La grande vague de Kanagwa. C’est très différent de l’animé Miss Hokusai et raconte d’autres facettes de la vie du personnage. Il y a aussi Just two of us, le premier film du festival. On pourrait le comparer à Intouchables avec Omar Sy et François Cluzet vu qu’il raconte l’histoire d’un paraplégique et d’une infirmière aveugle. Quand on lit le synopsis, on se dit que ça va être un drame à kleenex mais c’est au final un film très léger, très plaisant, avec une touche délicate que seuls les Japonais sont capables de faire. Enfin, je proposerais Talking the pictures qui raconte les débuts du cinéma japonais au travers des yeux d’un benshi qui racontait les films muets et d’une actrice de l’époque.


Le premier Japan Film Festival de Bruxelles se tient du 19 au 24 septembre, avec une programmation en deux volets. La première partie est consacrée à des films très récents, en avant-première, et a lieu à l’Espace Lumen, ch. de Boondael 32-23, 1050 Ixelles.

La seconde partie propose des films plus anciens et se déroule à la Maison de la Poste, Tour & Taxis, rue Picard 7, 1000 Bruxelles. Une après-midi avec diverses activités est également organisée à Tour & Taxis le 19 septembre.

Les tickets sont en vente sur le site du festival, jffb.org.


Propos recueillis par Anne-Sophie De Sutter le 3 septembre 2021.

Crédit photo : Japan Film Festival

Toutes les bandes annonces sont disponibles sur la chaîne You Tube du festival.

Classé dans