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Focus

Interview de Pitcho

Pitcho Womba Konga

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publié le par Yannick Hustache

Entretien avec Pitcho Womba Konga par rapport à son parcours singulier (du hip hop à Peter Brook) et ses racines africaines.

Né au Congo, mais ayant grandi à Bruxelles, Pitcho Womba Konga suit depuis une vingtaine d’années le très libre tracé d’un itinéraire artistique arborescent des plus singuliers. De ses premiers pas dans le hip-hop (au sein d’Onde de choc) à son implication au quotidien dans la structure événementielle Skinfama, de ses nombreux rôles de comédien au théâtre (chez Peter Brook) et au cinéma, en passant par son statut de cheville ouvrière de la première édition du festival Congolisation, Pitcho est l’archétype en devenir d’un artiste urbain, à la fois passeur et « passerelle », à l’identité complexe et multipolaire, qui par son travail œuvre à un renversement des perspectives culturelles et sociologiques.

PointCulture : Pourrais-tu nous donner la signification de ton nom complet, Pitcho Womba Konga, et retracer les grandes étapes de ton parcours artistique ?

Pitcho : « Pitcho est mon véritable prénom africain qui vient de Papitcho. Un hommage à ma grand-mère et le nom par lequel on me nomme dans ma famille. Womba Konga est simplement mon nom de famille. Au départ, je n’avais pas l’ambition de devenir artiste, l’envie m’est venue au gré des rencontres et des événements. J’ai grandi à Schaerbeek où tu croises des gens qui font du graffiti, du tag, et écoutent ensemble la même musique que toi près du panier de basket, qui vont aux mêmes concerts. Petit à petit, on s’implique dans quelque chose d’assez restreint où on peut se reconnaître aisément. Après la musique, je me suis intéressé à l’écriture, aux textes, à la poésie, et via le slam, c’est le monde du théâtre que j’ai rencontré, ce qui m’a permis de passer plus de cinq ans en tournée avec Peter Brook. Enfin, dernièrement, je me suis lancé dans une carrière cinématographique. »

PC : Tu es originaire du Congo, mais tu arrives très tôt sur le sol belge. Conserves tu quelques souvenirs d’enfance liés à l’Afrique ou bien tout commence vraiment pour toi à ton arrivée en Belgique ?

Pitcho : « Mon premier souvenir remonte au moment où je monte dans l’avion. Il m’aura fallu 22 ans après mon arrivée en Belgique pour que je retourne au pays et ressentir – au sens d’éprouver par ses sens – ce que veut dire appartenir à une terre, prendre conscience de ce que c’est d’être né quelque part. J’ai surtout vécu avec mon père. Ma mère, je ne l’ai connue que jusqu’à l’âge de trois ans, moment de leur séparation. J’ai eu la chance d’avoir été très entouré, par mes tantes en particulier, qui ont compensé le manque affectif »

PC : Quelles raisons selon toi expliquent que le hip-hop belge n’a jamais obtenu la même reconnaissance que le rap français ?

Pitcho : « Pour avoir vécu l’évolution du hip-hop en Belgique, je pense qu’il y avait autant de talents en Belgique qu’en France, mais je crois qu’au moment où la culture rap s’est développée, elle a dû pâtir d’un manque de support et de compréhension des institutions. On a tenté de le replacer dans un contexte social, alors qu’on avait affaire à des artistes avec une vraie recherche esthétique et pas seulement à des porteurs de messages. À l’époque où on a monté Souterrain Productions avec Rival et CNN199, on fonctionnait en opposition, décidés à suivre notre chemin coûte que coûte. On a eu raison de penser que cette culture allait rester. 30 ans plus tard, le hip-hop est dans les musées, les galeries. On était aussi fort tributaire de ce qui se faisait en France. »

PC : L’absence d’un gros label spécifiquement hip-hop n’a-t-elle pas pesé ?

Pitcho : « Souterrain Productions, 9mm… des gens ont essayé. Et puis on a eu la référence Starflam, et même avant ça, Benny B. On doit aussi composer avec la donne linguistique belge qui est complexe. Si on fait du rap en français, on s’adresse d’abord à une communauté en particulier. Je pense aussi que le sud du pays montre moins d’attrait pour Bruxelles que le Nord et reste attaché à ses scènes locales. En France, tout le monde a le regard focalisé sur Paris quand il s’y passe quelque chose. La plupart des artistes qui ont marché, bien avant Marseille, étaient de Paris. »

PC : Quelles différences ou ressemblances vois-tu entre le théâtre et le hip-hop ?

Pitcho : « La grande différence vient du public. À mes débuts au théâtre dans Bintou de Koffi Kwahulé (2003), j’ai cru que le public hip-hop allait me suivre au théâtre, que des connexions allaient se faire. Je me suis rendu compte que les publics ne se mélangeaient pas, sauf à de rares exceptions. Le point commun, c’est l’écriture, la force des mots, l’envie de raconter des histoires et de les partager, le bonheur d’exister sur scène, de passer un message rien qu’avec la force physique du corps. Le rap m’a aidé au théâtre dans la rythmique des mots, donné cette musique interne qui me permet de poser les textes. Le théâtre m’a amené une rigueur, m’a amené à accepter que sur scène, on soit dans l’échange, on joue un personnage, c’est un show. Alors que dans le hip-hop, on te dit "be real" (sois vrai) ».

PC : J’ai relevé cette phrase sur ta page Internet : le poids des mots, la force de la parole, héritier de griot, pour Pitcho l’art a de l’intérêt s’il est utilisé comme un outil d’échange et de transmission. Tu te vois donc comme un passeur. Mais de quoi ?

Pitcho : « En tant qu’artiste issu de la diaspora congolaise, la première fois que je suis retourné au Congo (il y a plus de dix ans), j’y allais avec la prétention d’aider les gens, l’intention d’organiser des trucs. Au bout de deux semaines, je me suis senti perdu. Qu’est-ce qui me donnait le droit de dire aux gens ce dont ils avaient besoin ? En Belgique, j’avais souvent l’impression d’avoir le « cul par terre », à m’identifier en tant que Belge, tout autant qu’en tant que Congolais. Après réflexion, j’ai fini par me voir comme une espèce de pont : de ramener mon ressenti de là-bas en Belgique, et vice & versa quand je suis au Congo. Une transmission qui n’est pas synonyme d’imposition, qui touche au vrai don, quand celui qui reçoit transforme, fait ce dont il a envie, grandit ».

PC : Tu es très actif au sein de l’ASBL Skinfama, agence de booking et de distribution, mais pas seulement. Tu peux nous en dire un mot ?

Pitcho : « On a créé Skinfama avec mon ami Lino Grumiro parce qu’il n’existait aucune structure qui comprenne la démarche du hip-hop, à une époque où il faisait encore peur. On avait décidé de créer une structure qui soit une passerelle entre le mouvement et certaines institutions, et on voulait faire aussi de la production, fabriquer des disques, en assurer la distribution et faire la promotion des concerts. Au fur et à mesure, certaines choses nous sont apparues évidentes. On était les premiers à imposer des artistes belges, français ou africains issus du milieu urbain. On fonctionne à trois de façon constante, mais ponctuellement, ça peut tourner autour de sept/huit personnes. »

PC : Toujours sur la page de Skinfama, j’ai trouvé à propos du festival multidisciplinaire Congolisation, qui a regroupé en janvier et février 2015, concerts, expositions, théâtre, cinéma et littérature : Congolisation, un festival qui a pour ambition de situer à sa juste place l’apport de la diaspora congolaise et subsaharienne dans le paysage culturel belge. C’est aussi une manière de rendre hommage aux combattants de la liberté, et plus spécifiquement Patrice Lumumba assassiné le 17/01/1961. Quel bilan tires-tu de cette première édition ?

Pitcho : « Un bilan très positif. On est partis, Lino et moi, à New York en 2005 en plein Black History Month, une rétrospective de toutes les figures noires américaines. Rien de comparable avec la Belgique. En 2010, au moment des 50 ans de l’indépendance du Congo, j’ai proposé avec le musée royal de Tervuren Héritage, une carte blanche à laquelle participaient une vingtaine d’artistes issus de la diaspora congolaise. Une façon de réfléchir à cette indépendance. On a mesuré l’importance du flou et du non-dit vis-à-vis de cette histoire et du sens que peut avoir aujourd’hui le combat d’un Patrice Lumumba. On est arrivés au concept/symbole de congolisation en se plaçant dans une perspective inhabituelle : ce que le Congo et sa diaspora ont apporté à la Belgique et on a réussi à mettre en valeur des artistes qui débordent du cadre de la « tradition » et ont fait le choix de se prendre en main. À la clé, pas mal de retours positifs et un public mélangé et passionné ! »

PC : Cette diaspora congolaise vit quelque part sur un paradoxe. Elle vit en Occident, mais garde des liens au pays. Ces liens sont-ils d’ordre purement familial ou relèvent-ils du fantasme ?

Pitcho : « Il y a un lien très clair qui nous lie et perdurera même après 3-4 générations. En même temps, il y a cette complexité qui rappelle la situation des « évolués », ces Africains qui ont été avant l’indépendance à l’école des blancs et qui ont développé un langage spécifique. Avec le danger pour nous de vouloir procéder là-bas à un copier-coller de ce qui existe ici. Notre force vient de notre capacité à nous réinventer, d’utiliser la tradition pour construire quelque chose de neuf. Pour moi, c’est passé par le hip-hop. La seule chose « vraie » dans la vie, c’est la transformation. »

PC : Une construction identitaire africaine qui doit s’inscrire au sein d’une géographie particulière, pour l’essentiel artificielle, le fruit du découpage colonial du XIXème siècle, effectué au mépris des premiers intéressés. Un chantier sans fin ?

Pitcho : « Il faut en tenir compte, mais dépasser l’idée de réparation et permettre « la possibilité du mouvement » dans une Afrique qui a du mal à bouger, à engranger des avancées. Éviter le repli sur des traditions locales… pour la plupart importées d’ailleurs. »

PC : Tu es peut-être au courant de ce que l’on appelle post-colonialisme ? Ce courant littéraire et de pensée né dans les années 1960, qui s’intéresse aux écrits produits par les auteurs issus des pays qui ont une histoire de colonisation. Le colonialisme a instauré dans le pays colonisé un système de valeurs fondé sur des idées européennes. Ce système présupposait la supériorité du monde occidental. N’êtes-vous pas vous aussi par votre travail en train d’œuvrer à une déconstruction/réaffirmation progressive des mécanismes et schémas culturels, mentaux et comportementaux d’une identité qui ne place plus « l’ex-colonisé » dans une position de moindre importance ?

Pitcho : « Le combat se situe au niveau d’un besoin de reconnaissance. Perso, j’ai toujours cru en mes rêves et au bon sens. On voit des tas de gens sur le terrain qui font des trucs incroyables sans être passés par des écoles. Dans les sociétés africaines, c’est l’éducation scolaire à l’européenne, ignorante des parlers locaux qui est valorisée. La langue, c’est d’abord un outil. Les jeunes Africains d’aujourd’hui sont plus décomplexés, ont davantage de considération pour eux-mêmes ».

PC : Un autre glissement de nos sociétés est celui du tout à l’image et en corollaire, une montée en puissance des « personnes de couleur » dans le cinéma ?

PC : « Je vois deux choses. D’une part, l’illusion d’être le reflet de la société. Et de l’autre, le public cible, majoritairement blanc en fonction duquel l’offre cinématographique se construit. Une offre qui s’est modifiée avec l’arrivée de nouveaux publics issus de l’immigration, mais aussi sous l’influence de personnes qui portent en elles un changement comme Peter Brook qui fait jouer du Shakespeare à un acteur noir. Aujourd’hui encore, ces mêmes acteurs sont souvent cantonnés dans des rôles en connexion avec le pays d’origine. Les choses évoluent lentement. La discrimination positive à l’américaine est une espèce de solution, mais elle « oblige » les réalisateurs à coloriser leur casting, plutôt qu’à essayer de trouver des acteurs simplement « capables » de jouer leur rôle. J’espère un jour voir des cinéastes issus de l’immigration raconter des histoires de blancs au sein desquels ils vivent ».

PC : En Belgique, ça a été le cas de Nabil Ben Yadir, réalisateur des Barons qui a bien marché dans les salles belges, mais très peu en France, sans doute parce qu’il charriait un sens de la dérision bien belge ?

Pitcho : « Ce film a été une vraie révolution pour moi. Les acteurs sont arabes OK, mais l’histoire est totalement ancrée dans le quotidien avec de l’amour, de l’amitié, des conflits, une foule de petits détails bien vus… ce que tout le monde vit finalement ».

PC : Pour revenir à Patrice Lumumba, figure essentielle de l’indépendance congolaise, disparu dans des circonstances troubles, que vouliez-vous signifier ou ajouter au travers de Congolisation ?

Pitcho : « Avec Congolisation, on a constaté que Lumumba reste un vrai problème en Belgique. On a voulu remettre la figure de Lumumba au centre des débats. Il est partout au Congo et totalement absent ici. On voudrait développer une vraie réflexion, mais de façon artistique, et se demander de quelle manière il est encore présent chez les jeunes générations. »

PC : Tes prochains projets ?

Pitcho : « Je viens de terminer un film, Le Chant des hommes qui sortira en septembre. Je travaille sur l’édition 2 de Congolisation et j’espère tenir le cap avec Skinfama. »

 

Entretien et retranscription : Yannick Hustache
été 2015 dans le cadre de la thématique "Colonies - héritages et tabous"


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