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Focus

INTERVIEW : Célia Jankowski, sons de mouches amplifiés

Interview de Célia Jankowski. Propos recueillis par Bertrand Backeland le dimanche 16 Juin 2013 à Bruxelles.

Interview de Célia Jankowski. Propos recueillis par Bertrand Backeland le dimanche 16 Juin 2013 à Bruxelles.

Bertrand Backeland : De tes projets récents que j’ai vu/entendu, il y en a un qui m’a beaucoup interpelé c’est ta performance de chant accompagné par ce curieux objet : l’aquarium rempli de mouches. On y reviendra. Dans un premier temps peux-tu brièvement présenter ton passé musical, ton rapport à la musique, ton cursus.

Célia Jankowski : A propos de mon parcours : de 6 à 16 ans, j’ai suivi une formation de piano classique, à Albi en France. Ca a été un choix personnel, on ne me l’a pas imposé. J’ai suivi des cours particuliers, sans la pression des examens vu que je n’étais pas dans un contexte « conservatoire ». Ma professeure, Mme Enjalran, me permettait de choisir les morceaux que je voulais. J’ai jeté mon dévolu sur Chopin !

BB : Pourquoi Chopin spécialement ? Peu d’enfants connaissent Chopin, comment as-tu fait ce choix ? Comment avais-­tu accès à la musique ?

CJ : Mme Enjalran me jouait des morceaux et je choisissais ceux qui me plaisaient, simplement  à l’écoute, au feeling. C’est sans doute pour l’aspect tourmenté et nostalgique que j’ai choisi Chopin.

BB : Il n’y avait aucune base théorique, genre apprentissage du solfège ? Comment ça se passait ?

CJ : Cette professeure au départ, formait des élèves pour l’entrée au conservatoire ; il y avait donc une base théorique de solfège. Moi, je venais pour mon propre plaisir, je n’aimais pas vraiment les exercices et préférais passer plus de temps sur l’interprétation des morceaux. Elle me donnait donc le minimum d’exercices théoriques. Au point que je n’ai pas de souvenirs d’ennuyeuses répétitions d’exercices rébarbatifs. J’ai la sensation que l’apprentissage de la lecture des notes s’est faite naturellement, dans le flux de la motivation. Mme Enjalran me permettait de rester trois semaines sur le même morceau pour en travailler l’interprétation. Tout cela m’a convenu jusqu’au jour où j’ai ressenti l’envie de jouer sans partition.

BB : C’est à dire ?

CJ : Malgré l’envie, sans mes partitions je n’étais nulle part… J’osais à peine toucher le piano ! La peur de la fausse note. Je me souviens d’être devant le clavier et de ne rien pouvoir faire! Blocage total. Le déclic est venu d’une amie, pianiste autodidacte ; qui ne savait pas lire la musique mais jouait superbement bien. Un jour, elle m’a proposé de jouer les yeux bandés. Je redécouvrais mon piano ! Pourtant, lorsque j’ai retrouvé « la vue », le blocage était toujours là ! Peu de temps après, je partais à Paris pour mes études en Arts Plastiques. J’ai mis le piano de côté pour un temps.

BB : Tu es restée dans le domaine artistique. Comment as­-tu abordé ces études ? Est-­ce que le piano t’a apporté quelque chose là­-dedans ?

CJ : Oui. D’une certaine manière. En fait j’ai opté pour la démarche inverse. J’ai laissé dès le départ ma créativité s’exprimer et j’ai surtout cherché à ne rien apprendre des codes esthétiques. Je ne voulais pas « savoir dessiner » !

BB : Si je comprends bien tu voulais t’éloigner d’une certaine forme d’académisme qui t’avais, dans le cadre de tes cours de piano, bridé ta créativité. Mais dans un rapport complexe à la créativité, c’est à dire ni noir ni blanc, mon interrogation porte tout de même sur l’apport d’atouts techniques, liés notamment à un apprentissage académique. Te reste-­t-­il quelque chose de tes apprentissages académiques ou as-­tu fait tabula rasa ?

CJ : Concernant mon apprentissage de la musique, je n’ai pas fait de rejet total. J’ai simplement pris du recul. Coté technique je garde indéniablement des atouts : dissociation/indépendance des mains, agilité des doigts, connaissance des harmonies…

BB : On en arrive à ce qui intéresse plus spécifiquement « insolutherie », c’est à dire ton aquarium rempli de mouches que tu utilises dans le cadres de concerts-­performances. Qu’est­-ce donc exactement ?

CJ : Il s’agit d’une performance multimédia interactive.  Dans un caisson vitré, des mouches volent autour de micros. Le son produit est amplifié et transformé en direct à l’aide de pédales d’effets. C’est avec cette base musicale que ma voix interagit. Je travaille en duo avec Anne­-Laure Misme, qui projette en direct sur grand écran les images des mouches grâce à des caméras placées dans l’aquarium. Les images sont parfois manipulées, mais en direct toujours.

BB : Tu considères l’aquarium comme un instrument de musique ?

CJ : Oui. Un instrument vivant. C’est comme si j’avais un partenaire de jeu. Ce n’est pas la maitrise du processus qui m’intéresse mais justement son coté aléatoire.

BB : C’est trouvé dans le commerce ou c’est du DIY (fait-maison) ?

CJ : DIY. Mon père m’a donné un coup de main ! La difficulté a été d’insonoriser l’aquarium car les micros utilisés pour capter le battement des ailes sont ultra-sensibles, et ce genre de micro « larsen »/larsennent facilement quand ils sont amplifiés. L’aquarium est donc en double vitrage. Ca a été assez compliqué à mettre en place je dois dire, mais nous y sommes parvenus

BB : Pour les mouches comment fais-­tu ? Un élevage ?

CJ : En effet, j’élève à la maison des asticots achetés dans des magasins de pêche. Le temps de leur transformation est assez contraignant question température. Ensuite, il a fallu faire des essais avec différentes mouches afin de trouver l’espèce assez grosse pour capter un bon bourdonnement. Enfin, les concerts demandent beaucoup de préparation car elles ont une durée de vie de trois semaines environ… Il ne faut pas se louper question dates…

BB : C’est quoi l’idée au départ ? Pourquoi les mouches ?

CJ : Plusieurs choses s’entremêlent. Le côté insaisissable de la mouche m’intéressait ainsi que son côté téméraire ; elle vient se poser sur le bout de ton nez ! Un jour dans une cave, j’ai écouté pleins de grosses mouches qui volaient ; il y avait une certaine résonance dans la pièce, de multiples fréquences, des sons subtils. C’était clairement un concert ! (rires)

BB : Elles font partie de notre quotidien mais on en connaît assez peu sur elles en fait. J’imagine que tu as appris des choses en t’investissant sur le sujet ?

CJ : Oui. Nous sommes, Anne Laure et moi même, allées à la rencontre de Bassem Hassan, Professeur et chef de groupe à la VIB à Louvain, spécialiste de la drosophile. Bassem est quelqu’un de très ouvert et fort intéressé par la rencontre de la science et de l’art. L’envie étant  de décloisonner les pratiques, d’ouvrir les frontières entre ces deux domaines qui ne sont pas fait pour se rencontrer à la base. Il nous a appris beaucoup de choses sur les aspects comportementaux de la mouche et notamment sur son cycle d’activité durant la journée. Cela m’a aidé pour les nourrir et savoir comment m’y prendre pour qu’elles ne dorment pas au moment du concert… Ce qui m’est déjà arrivé : aucune activité dans l’aquarium au moment de la prestation !

Ce genre d’incident t’emmène en terrain nouveau. Je le prends comme une opportunité. Je n’ai pas de « parachute » durant la performance : pas de sons préenregistrés des mouches, ou d’autre instrument… Je joue avec les aléas de ce dispositif et du live. La relation au public est stimulante et il faut être apte à rebondir car on ne sait pas trop ce qui va se passer avec un tel dispositif. Il faut un certain lâcher prise par rapport à ces phénomènes, contrairement à l’apprentissage d’un instrument et sa maîtrise. Ca revient et fait écho à ce que je disais au début de l’interview à propos de l’apprentissage académique qui lui ne laisse que peu de place aux chemins de traverses…

BB : On refoule systématiquement le côté accidentel des choses. A y réfléchir c’est le monde à l’envers. Je me penche actuellement sur le cas Adolphe Sax (inventeur du saxophone) et j’observe que l’élaboration du saxophone, aujourd’hui standardisé, fut une succession d’étapes fortuites et intuitives… Je trouve intéressant que le prétexte de départ, jouer avec des mouches, t’as emmené sur des terrains que tu ne soupçonnais pas au départ. C’est sans doute ça la voie de l’expérimentation, de la musique dite expérimentale… Merci d’avoir accepté l’interview.

CJ : merci à toi.

lien vers le site FLIES RATTLE (Célia Jankowski et Anne-Laure Misme)

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