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Focus

Hommage à Jasraj (1930-2020)

Pandit Jasraj.jpg
Si la chanson que tu vas interpréter est plus belle que le silence, alors chante-la. Jasraj ne chante plus. Silence.

Sommaire

Pandit (1) Jasraj est un personnage que tu ne connais sans doute pas. Ce n’est ni le frère de Ravi Shankar, ni le neveu de Gandhi, ni le grand-père de Manushi Chhillar, la Miss Monde de 2017.

Avec plus de 80 années dans le domaine musical, ce vieux chanteur de râgas (2) s’est fait connaître par la qualité de son interprétation vocale dans la musique classique hindoustani (3).

Shankar - Gandhi - Manushi Chhilar - Jasraj

Jasraj, ses cheveux et son gourou

Jasraj a commencé à jouer du tabla, une percussion typique du nord de l’Inde, mais il était mécontent du traitement réservé aux joueurs de cet instrument, considérés comme inférieurs dans le domaine musical. Aussi a-t-il juré de ne plus se couper les cheveux tant qu’il n’aurait pas appris à chanter. Rassure-toi, il n’a jamais atteint le record de Nilanshi Patel, une jeune fille aux cheveux d’1m 90 de longueur ! En effet, sept ans plus tard, après son premier enregistrement à la radio, à 22 ans, il se fait enfin couper les cheveux.

Donc, il veut apprendre à chanter et, à table avec l'un de ses frères, il donne son avis sur la bonne façon d'interpréter les râgas. Autant te dire que son frère a réagi tout de suite : « Jasraj, tu joues d'un instrument fait de peau morte, que sais-tu des râgas ? ». Heureusement, il a un autre frère aîné et celui-ci va devenir son gourou, son professeur, mais pour interpréter le khyal, la mélodie typique de sa province, il doit respecter la tradition et les codes de la gharana, l'école de chant de sa région.


Dans la vidéo suivante, tu peux repérer Jasraj dans un exercice vocal (à droite) et son frère Maniram à gauche, avec des mouvements de tête qui montrent combien il a l'air content de son élève aux cheveux mi-longs.


Jasraj et le râga Malhar


Excuse-moi car je sors un peu du sujet, sans doute distrait par l'averse qui fouette la fenêtre.

Aimes-tu la pluie ? Peut-être pas.

Alors, je dois te parler de Kapiapia, ce vieil homme en symbiose avec la nature qui l'entoure, qui perçoit l’humidité de l’air et qui sent la pluie arriver (4). Ou encore de la fiancée d’Anzar, celle qui, nue, tourne sept fois autour du sanctuaire du maître de la pluie pour mettre fin à la sécheresse.

Ou enfin de Tamsen, musicien à la cour de l’empereur Akbar, qui lui demande de chanter le râga de la lumière. Les lampes s’allument aussitôt tandis que le corps de Tamsen se met à bouillir, l’obligeant à s’asseoir dans la rivière pour se refroidir. Cependant, l’eau est prête à s’évaporer et Tamsen se met à chercher qui pourrait chanter le râga Malhar. Voyant sa détresse, les sœurs Tana et Riri entonnent le râga et les pluies tombent par torrents, sauvant finalement Tamsen.

Laisse Pandit Jasraj te chanter ce râga, entre dans cette vidéo. Mais sois prudent, un Malhar est si vite arrivé !


Jasraj et la musique :

Il fait sec à nouveau. Nous pouvons reprendre notre histoire. Il est cinq heures, le pandit s'éveille. Il perfectionne sa voix et s'entraîne au chant pendant quatorze heures, tous les jours (5). Car il a été accepté comme artiste de la radio à Calcutta et c'est le meilleur endroit pour se faire connaître dans les années 1950 et 1960. Il y chante les râgas classiques mais commence progressivement à incorporer des éléments d'autres traditions, au grand dam des puristes de l'époque.

Tout le monde prenait ce qui était génial dans chaque gharana et le mélangeait. Jasraj était à la tête de tout cela. Quelques années plus tard, les gens ont commencé à apprécier cette musique. — S. Kalidas, critique musical indien

Sache que Jasraj rejette l'élitisme de la musique indienne. S'il est populaire, c'est surtout parce qu'il aime son public, parce qu'il n'est ni capricieux, ni strict, ni prétentieux. En effet, que penses-tu d’une musique, d'un chant, d'un article de magazine ou d'un film qui ne seraient réservés qu'à une minorité intellectuelle ?

Si ça t'intéresse, Jasraj a aussi créé le jasrangi, une nouvelle forme de chant interprété par un chanteur et une chanteuse qui chantent chacun des râgas différents en même temps. Dans cette vidéo produite par sa fille, c'est la jeune génération qui interprète une de ses compositions. Écoute, écoute...


Jasraj et le cinéma

Ce serait une insulte à ta culture que te demander si tu connais Bollywood. Jasraj y a trempé lui aussi. Bon, déjà qu'il a épousé la fille d'un réalisateur indien célèbre, que celle-ci a réalisé des documentaires et un film, que sa propre fille est productrice à la télévision, mais, en plus, il chante dans des films, dont le plus célèbre est l'Odyssée de Pi (2012).

Et les chansons pour Bollywood ? Eh bien, je te laisse découvrir l'une d'elles, sirupeuse à souhait, avec, en bonus, la bande de lancement du film d'horreur 1920 dont elle provient (après 3 min 45)


Jasraj, le passeur

C'est bien de chanter, dis-tu, mais a-t-il été dépourvu quand l'âge mûr fut venu ?

Pandit Jasraj ne se contente pas d'interpréter mais souhaite préserver le style de chant classique hindoustani et transmettre aux jeunes générations l'art vocal et l'éducation musicale.

Aussi, depuis 1995, il est à l'origine d'une école de musique dans le New Jersey, à Pittsburgh puis à New York. De même, à Toronto s'ouvre un institut orienté vers l'enseignement, qui organise, tous les deux ans, un grand spectacle musical composé d'étudiants.

Tous les 30 novembre, en Inde, a lieu le festival (6) que Jasraj a initié en 1972, en mémoire de son père et de son frère. S'y produisent les meilleurs représentants de la musique classique indienne.

Enfin, – l'ignorais-tu ? –, Jasraj a en lui une base de gourou. Il passe chaque année six mois aux USA ou au Canada afin d'enseigner et de transmettre son art vocal. Encore jusqu'il y a peu de temps, il continuait à guider ses étudiants via skype. Coincé aux États-Unis par la pandémie, il n'a pas pu rejoindre son pays natal...

Regarde, le voici avec ses étudiants. Est-ce toi, avec la grosse moustache et le pyjama rayé ?


Jasraj et « atteindre le divin »

La musique appartient à tout le monde. Elle devrait être entendue par tout le monde. Ce n'est qu'alors que cela créera de nouvelles idées et atteindra Dieu. — Pandit Jasraj

Invocation du terrible Shiva, évocation du petit Krishna au berceau, vocation d'emmener son public vers le divin... Le chant de Pandit Jasraj va te conduire à la spiritualité, plus fort et plus beau que le silence.

Chante Jasraj, chante...

Je crois que la musique n'est pas quelque chose que vous pouvez perfectionner même dans une vie. Avec chaque vie, vous partez de là où vous vous êtes arrêté dans votre vie précédente. Une fois que vous avez compris cela, l'âge n'est plus une barrière et la mort n'est pas la fin de votre pèlerinage musical. — Pandit Jasraj



(1) Pandit est un titre honorifique octroyé aux personnalités importantes en Inde.

(2) Le râga est à la fois un mode et un thème musical interprété dans le nord-ouest de l’Inde et laissant place à l’improvisation.

(3) L’hindoustani est la langue littéraire qui a donné naissance à l’hindi et à l’ourdou, langues de l’Inde.

(4) Écoute à ce propos « Kapiapia » d’Aline Frazão dans l’excellent article sur la chanson de langue portugaise durant le confinement.

(5) La pratique de la musique, appelée Riyaz, est rigoureusement suivie et prise au sérieux par les étudiants. Si tu dors près d'un de ceux-ci, apprête-toi à subir plus de dix heures de chant dès le lever du soleil.

(6) Le festival Pandit Motiram Pandit Maniram Sangeet Samaroh, qui porte le nom de son père et de son frère, qui fut également son gourou.