Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Focus

Haro sur les Héros - NOVA_XX 2019

Marie-Eve Levasseur, An Inverted System to Feel (your shared agenda)”  ©Marie-Eve levasseur.jpg
Initiée il y a deux ans aux Halles Saint-Géry à Bruxelles sous l’impulsion de Stéphanie Pécourt, NOVA_XX prend ses quartiers à Paris durant tout le mois de décembre au Centre Wallonie-Bruxelles, nouvelle résidence de la fondatrice de cette biennale dédiée à l’innovation artistique, scientifique et technologique en mode féminin.

Sommaire

Les narrations et mythologies collectives, longtemps appréhendées sous le prisme viril des batailles et des défaites, des grandes conquêtes érigeant des figures de génie hypostasiant nos socles de référence communs, ont trop longtemps fait des femmes exceptionnelles des femmes d’exception. — Stéphanie Pécourt.

Mythologies collectives

Haro sur les héros, le titre de cette édition entend dénouer un paradoxe : L’Histoire pourrait-elle se passer des batailles ? Siège, lutte, prise d’armes : quel mouvement un tant soit peu engagé n'use pas de ce champ sémantique-là, guerrier, conquérant, dans son mode opératoire ? Un paradigme que NOVA_XX se met au défit de dépasser. Sans se départir d'une ligne éditoriale forte, l'équipe ne se laisse pas prendre au piège du positionnement critique, ce ciment dont sourd un genre de déconnexion propre au numérique, des idées qui s'attirent et se replient dans un système d'affinités algorithmiques, c'est le fameux biais de confirmation. Aussi, pour NOVA_XX, l’intersectionnalité des luttes se pose-t-elle comme un principe d’inclusion.

Penser l’oppression du genre, c’est de facto donner des priorités à toute réflexion sur les autres formes de domination. — Stéphanie Pécourt

Lire aussi :

Organique avant même de s’avérer déceptive, l’analogie entre la puissance réticulaire du numérique et son incarnation dans la société reste un idéal viscéralement défendable. Pourquoi en effet faudrait-il s’empêcher de croire qu’un potentiel quasi illimité de connexions dans une sphère ne présente pas sa traduction heureuse dans une autre ? Ce que le virtuel peut ouvrir dans le réel, il s'en trouve quotidiennement de nombreux exemples qui, fussent-ils porteurs, n'en auraient pas moins à leurs trousses tout un contingent d'arguments contraires. Qu'à cela ne tienne, en conjuguant science, art et technologie en mode féminin, NOVA_XX compte bien peser de tout son poids du côté des forces liantes et constructives.

Porosités

Valoriser la part féminine dans la création, à l’aune de la 4ème révolution industrielle en dénonçant l’invisibilisation qui la particularise, vise à mettre en lumière le paradigme d’une innovation plurielle, démocratique, en un mot représentative.

Le NOVA_XX entend contribuer au dépassement des frontières de genres et de corporations pour favoriser un monde résolument trans, hybride et connecté. — Stéphanie Pécourt

Au programme, des concerts, des rencontres, des conférences, des performances et des installations d’artistes sélectionnées par un jury regroupant les incontournables de la sphère numérique en FWB (Bozar.Lab, iMAL, KIKK festival et leThéâtre de Liège) associés pour l’occasion à quatre opérateurs français (Art [ ] Collector, la Biennale de l’image tangible, la Galerie Charlot, Némo). Au-delà de sa relative fraîcheur, l’art numérique interpelle en ce que les questionnements qui s’y déploient concernent au premier chef le medium dans lequel ils s’expriment. Cette nécessaire mise en abime devient le siège d’une réflexion auxiliaire dont l’œuvre qui la supporte tire sa pertinence, sa justesse, son amplitude. En suivant le constat que la technique en soi ne porte pas de valeur morale et que seuls les usages devraient à cet égard s’avérer qualifiants, l’art numérique installe un espace intermédiaire de conception et d’usage critiques. Dans le meilleur des cas, il s’agit d’un espace contigu à l’imaginaire, un lieu d’échanges et de redistribution des rôles, un quai bordant l’étendue d’où partent des agencements codés qui parfois agrègent du son, des visions, des narrations.

Hélène Barrier, le Minotaure ©Ian Riviera-RS.jpg

Hélène Barrier, le Minotaure, ©Ian Riviera.

Du jeu

Au quai NOVA_XX, les bâtiments amarrés offrent la possibilité d’une multiplicité de voyages. Inutile de se voiler la face, le paysage est compliqué, retors, a priori hermétique. Non que les installations manquent de consistance matérielle ou mentale. Seulement, cette dimension charnelle dépend de celle que le visiteur se montre prêt à leur accorder. Le soir de l’ouverture, un Minotaure s’étant introduit parmi les invités, une voie symbolique fut activée au travers du labyrinthe de la technologie. Dans sa tenue thériomorphe, l’artiste française Hélène Barrier donne ainsi à voir ce qu’allume sur son passage une figure mystifiante, mystificatrice – donc absolument pas démystifiée. Cette silhouette, ni femme ni bête, opaque et galopante, a le pouvoir d’enrayer l’idée même de voracité virile pour ne plus laisser transparaître que celle du jeu, décrétant à son passage, entre les œuvres de la biennale, la fin des oppositions binaires.

Ce faisant, nous participons à déplacer les lignes séparant les conceptrices ou concepteurs d’une part et les joueurs et joueuses d’autre part. Pour que nous soyons toutes et tous les actrices ou acteurs de nos vies simulées comme de nos vies réelles. — Dominique Moulon

Intense et émouvante interactivité

Actrices ou acteurs de nos vies simulées comme de nos vies réelles : rien n'est trop personnel pour le fait politique. Ni trop incarné. Et à y regarder de plus près, Laura Colmenares Guerra (Lagunas), Pepa Ivanova (An Evolution Game / Decay), Katerina Undo (Creature Clusters) ou encore Marie-Eve Levasseur (An Inverted System to Feel) en appellent toutes, par l’activation de canaux d’interactivité intenses et émouvants, aux sens autant qu’à l’esprit. Ici, pour s’animer, l’œuvre attend le visiteur dans une posture qui ne se veut jamais définitive et tend, par une série de signaux discrets, à éveiller son attention sur ce qui, elle, la préoccupe : la détérioration du paysage et des ressources naturelles, l’épuisement des énergies vitales. Une telle trajectoire n’est pas éloignée des chemins qu’emprunte Naziha Mestaoui lorsque, avec Sounds of Light, l’artiste s’emploie à rendre visible l’impact vibratoire d’un chant sacré sur une surface liquide teintée d’or.

Naziha Mestaoui, Sounds of light ©Naziha Mestaoui RS.jpg

Naziha Mestaoui, Sounds of Light ©Naziha Mestaoui.

Cette brève série d’installations converse avec les œuvres picturales de Laurie Simmons, Sarah Charlesworth et Kristin Sue Lucas (collection LIME), artistes qui, sur des mediums plus traditionnels, font émerger la problématique de l’identité féminine dans un contexte d’assignation aux normes sociales. Ainsi, les Walking Objects de Laurie Simmons consistent en une suite de photographies représentant des jambes de femmes (talons hauts, dénudées ou court vêtues) surmontées par divers objets : maison, revolver, tomate, hot dog – et c’est ici toute la malice du patriarcat que mettent en exergue ces emblèmes de l’American way of life.

Laurie Simmons Walking Objects RS.jpg

Laurie Simmons, extrait de la série Walking Objects.

S'abstraire dans la dérive

Au final, le rapprochement entre ces œuvres graphiques, d’une part, et, d’autre part, l’art numérique et ses objets (impressions 3D), met en évidence leur profonde communauté d’intérêts. Quelle que soit la forme, est-il jamais d’autre sujet que celui qui concerne le va-et-vient entre le visible et l’invisible ? La version la plus épurée de cette dynamique se rencontre auprès de Cinzia Campolese. Son installation Frame of Reference établit un cas où l’interactivité, non contente d’habiter cet entre-deux sensible, va jusqu’à le corrompre. L’œuvre présente une surface réfléchissante rectangulaire posée perpendiculairement à un mur que viennent peindre quelques traits lumineux, rouge et noir. Dans un premier temps l’œil distingue un cadran d’horloge, l’horloge paraissant certes un peu spéciale. Fixé attentivement, le mécanisme semble bientôt partir à la dérive. L’aiguille ralentit d’un côté, accélère de l’autre, des pointillés apparaissent sur un orbe qui n’en finit pas de se reprendre, de se disloquer, fragile, indéchiffrable. De ce tableau, les frémissements surviennent comme en réaction aux mouvements du spectateur auxquels cependant le système ne répond pas. Cette horloge pernicieuse, que nous indique-t-elle sinon la part relative du temps, seule mesure de nos jours calmes et de nos heures éperdues ? Existe-t-il invitation plus limpide au dérèglement ?

L’idée, toujours, [est] de nous donner des lectures de fragments ou du monde au travers d’attitudes et de formes. Quand ce ne sont pas des attitudes de ces artistes femmes qui continuent à devenir forme dans une société en mouvement. — Dominique Moulon


Informations pratiques

NOVA_XX 2019

Du 29/11 au 05/01

Centre Wallonie-Bruxelles / Paris

Programme complet


Texte et mise en page : Catherine De Poortere

Les citations de Stéphanie Pécourt et Dominique Moulon sont extraites du programme

Image en bannière : Marie-Eve Levasseur, An Inverted System to Feel (your shared agenda) ©Marie-Eve Levasseur.

Classé dans

En lien